Lettres à Richard Cobden/Lettre 2

Mugron, 8 avril 1845.


Monsieur,

Puisque vous me permettez de vous écrire, je vais répondre à votre bienveillante lettre du 12 décembre dernier. J’ai traité avec M. Guillaumin, libraire à Paris, pour l’impression de la traduction dont je vous ai entretenu.

Le livre est intitulé : Cobden et la Ligue, ou l’Agitation anglaise pour la liberté des échanges. Je me suis permis de m’emparer de votre nom, et voici mes motifs : je ne pouvais intituler cet ouvrage Anti-corn-Law-league. Indépendamment de ce qu’il est un peu barbare pour les oreilles françaises, il n’aurait porté à l’esprit qu’une idée restreinte. Il aurait présenté la question comme purement anglaise, tandis qu’elle est humanitaire, et la plus humanitaire de toutes celles qui s’agitent dans notre siècle. Le titre plus simple : la Ligue, eût été trop vague et eût porté la pensée sur un épisode de notre histoire nationale. J’ai donc cru devoir le préciser, en le faisant précéder du nom de celui qui est reconnu pour être « l’âme de cette agitation. » Vous avez vous-même reconnu que les noms propres étaient quelquefois nécessaires « to give point, to direct attention. » — C’est là ma justification.

Les noms propres, les réputations faites, la mode, en un mot, a tant d’influence chez nous, que j’ai cru devoir faire un autre effort pour l’attirer de notre côté. J’ai écrit dans le Journal des Économistes (numéro de février 1845), une lettre à M. de Lamartine. Cet illustre écrivain, cédant à ce tyran Fashion, avait assailli les économistes de la manière la plus injuste et la plus irréfléchie, puisque, dans le même écrit, il adoptait leurs principes. J’ai lieu de croire, d’après la réponse qu’il a bien voulu m’adresser, qu’il n’est pas éloigné de se ranger parmi nous, et cela suffirait peut-être pour déterminer chez nous un revirement inattendu de l’opinion. Sans doute, un tel revirement serait bien précaire, mais enfin on aurait, au moins provisoirement, un public, et c’est ce qui nous manque. Pour moi, je ne demande qu’une chose, qu’on ne se bouche pas volontairement les oreilles.

Permettez-moi de vous recommander, si vous en avez l’occasion, the perusal de la lettre à laquelle je fais allusion.

Je suis, Monsieur, votre respectueux serviteur.