Lettres à Lucilius/Lettre 38

Lettres à Lucilius
Traduction par Joseph Baillard.
../Hachettevolume 2 (p. 86-87).
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LETTRE XXXVIII.

Les courts préceptes de la philosophie préférables aux longs discours.

Tu as raison de vouloir que notre commerce de lettres soit fréquent. Rien ne profite comme ces entretiens qui s’infiltrent dans l’âme goutte à goutte ; dans les dissertations préparées et à grands développements qui ont la foule pour auditoire, il y a quelque chose de plus retentissant, mais de moins intime. La philosophie, c’est le bon conseil ; et nul conseil ne se donne avec de grands éclats de voix. Quelquefois on peut employer ces sortes de harangues, passe-moi l’expression, quand l’homme qui hésite a besoin d’entraînement ; s’agit-il au contraire non de l’engager à s’instruire, mais de l’instruire en effet, il faut prendre, comme nous, un ton moins relevé. Tout pénètre et se grave ainsi plus facilement ; car l’essentiel ce n’est pas le nombre des paroles, c’est leur efficacité. Répandons-les comme une semence qui, bien que toute menue, en tombant sur un sol propice y développe ses vertus et du moindre germe parvient aux plus vastes accroissements. Ainsi fait la raison : ses principes, de mince portée au premier aspect, grandissent en agissant. Ce qu’elle dit se réduit à peu ; mais ce peu, reçu par une âme bien préparée, se fortifie et croît bien vite. Oui, il en est de ses préceptes comme de tout germe : ils fructifient merveilleusement, si petite place qu’ils tiennent ; il ne faut, ai-je dit, que d’heureuses dispositions pour les saisir et les absorber. L’âme, en retour, produira d’elle-même à souhait et rendra plus qu’elle n’aura reçu.