Lettre sur le progrès des sciences/Article 9

Aſtronomie.

Il ſemble qu’on ne tire point aſſez d’avantages de ces magnifiques Obſervatoires, de ces excellens inſtrumens, de ce grand nombre d’obſervateurs habiles qu’on a dans différens lieux de l’Europe. On diroit que la plûpart des Aſtronomes croient leur art fini, & ne font plus que répéter par une eſpèce de routine les obſervations des hauteurs du ſoleil, de la lune, & de quelques étoiles, avec leurs paſſages par le méridien. Ces obſervations ont bien leur utilité, mais il ſeroit à ſouhaiter que les Aſtronomes ſortiſſent de ces limites.

On croyoit que les étoiles qu’on appelle Fixes, étoient toujours vûes dans les mêmes points du ciel. Des obſervations plus ſoigneuſes & plus exactes, faites dans ces derniers tems, nous ont appris qu’outre l’apparence du mouvement qui reſulte de la préceſſion des équinoxes, les étoiles avoient encore un autre mouvement apparent. Quelque Aſtronome précipité en conclut une parallaxe pour l’orbe annuel : un plus habile, celui-là même qui avoit découvert ce mouvement, fit voir qu’il étoit indépendant de la parallaxe, & en trouva la véritable cauſe dans la combinaiſon du mouvement de la lumière avec le mouvement de la Terre. Le même M. Bradley a découvert encore l’apparence d’un nouveau mouvement à peine ſenſible, qu’il attribue avec beaucoup de probabilité à l’action de la lune ſur le ſphéroïde terreſtre. Mais n’y a-t-il point un mouvement réel dans quelques étoiles ? Quelques Aſtronomes en ont déjà découvert ou ſoupçonné un, & il eſt à croire que ſi l’on s’appliquoit davantage à cette recherche, on découvriroit quelque choſe de plus : ſoit que ces étoiles ſoient aſſez déplacées par les planètes ou les comètes qui peuvent faire leurs révolutions autour d’elles, ſoit que quelques-unes de ces étoiles ſoient elles-mêmes des planètes lumineuſes de quelque corps central, opaque ou inviſible pour nous.

Enfin n’y auroit-il point quelque étoile réellement fixe, dont le mouvement apparent nous découvriroit la parallaxe de l’orbe annuel ? La trop grande diſtance où les étoiles ſont de la Terre, cache cette parallaxe dans celles que l’on a obſervées ; mais eſt-ce une preuve qu’aucune des autres ne la pourroit laiſſer apercevoir ? On s’eſt attaché aux étoiles les plus lumineuſes comme à celles qui, étant les plus proches de la Terre, ſeroient les plus propres à cette découverte ; mais pourquoi les a-t-on cru les plus proches ? Ce n’eſt que parce qu’on les a toutes ſuppoſées de la même grandeur & de la même matière : mais qui nous a dit que leur matière & leur grandeur fuſſent les mêmes dans toutes ? L’étoile la plus petite ou la moins brillante pourroit être celle qui eſt la plus proche de nous.

Si dans ces pays où il y a un nombre ſuffiſant d’obſervateurs, on diſtribuoit à chacun un certain eſpace du ciel, une zone de deux ou trois degrés parallèle à l’équateur, dans laquelle chacun examinât bien toutes les étoiles qui s’y trouvent, vraiſemblablement on découvriroit bien des phénomènes inattendus.

Rapprochons nous de notre Soleil. Nous voyons Saturne avec cinq Satellites, Jupiter avec quatre, la Terre avec un. Il eſt aſſez probable que ſur ſix planètes, trois ayant des Satellites, les trois autres n’en ſont pas abſolument dépourvues. On a déjà cru en apercevoir quelqu’un autour de Vénus : ces obſervations n’ont point eu de ſuite ; mais on ne devroit pas les abandonner.

Rien n’avanceroit plus ces découvertes que la perfection des téleſcopes. Je ne crois pas qu’on pût promettre de trop grandes récompenſes à ceux qui parviendroient à en faire de ſupérieurs à ceux que l’on a déjà. On a ſi ſouvent fait voir que la connoiſſance de la longitude ſur mer dépendroit d’un tel téleſcope, ou d’une horloge qui conſerveroit l’égalité de ſon mouvement malgré l’agitation du vaiſſeau, ou d’une théorie exacte de la lune, qu’il me paroît ſuperflu d’en parler encore. Mais je ne ſaurois m’empêcher de dire, qu’on ne peut trop encourager ceux qui ſeroient en état de perfectionner quelqu’un de ces différens moyens.