Lettre sur le progrès des sciences/Article 6

Pyramides & Cavités.

Ce n’eſt pas ſans raiſon qu’on a compté parmi les merveilles du monde, ces maſſes prodigieuſes de terre & de pierre, dont l’uſage pourtant paroît ſi frivole, ou du moins nous eſt reſté ſi inconnu. Les Égyptiens au lieu de vouloir inſtruire les autres peuples, ſemblent n’avoir jamais penſé qu’à les étonner : il n’eſt cependant guère vraiſemblable que ces pyramides énormes n’aient été deſtinées qu’à renfermer un cadavre ; elles cachent peut-être les monumens les plus ſinguliers de l’hiſtoire & des ſciences de l’Égypte. On raconte qu’il y a 900 ans, un Calife curieux fit tant travailler pour en ouvrir une, qu’on parvint à y découvrir une petite route qui conduit à une ſalle, dans laquelle on voit encore un coffre de marbre, ou une eſpèce de cercueil ; mais quelle partie ce qu’on a découvert occupe-t-il d’un tel édifice ? n’eſt-il pas fort probable que bien d’autres choſes y ſont renfermées ? L’uſage de la poudre rendroit aujourd’hui facile, le bouleverſement total d’une de ces pyramides, & le Grand-Seigneur les abandonneroit ſans peine à la moindre curioſité d’un roi de France.

J’aimerois cependant bien mieux que les rois d’Égypte euſſent employé ces millions d’hommes qui ont élevé les pyramides dans les airs, à creuſer dans la terre des cavités, dont la profondeur répondît à ce que les ouvrages de ces Princes avoient de giganteſque. Nous ne connoiſſons rien de la terre intérieure ; nos plus profondes mines entament à peine ſa première écorce. Si l’on pouvoit parvenir au noyau, il eſt à croire qu’on trouveroit des matières fort différentes de celles que nous connoiſſons, & des phénomènes bien ſinguliers. Cette force tant diſputée, qui, répandue dans tous les corps, explique ſi bien toute la Nature, n’eſt encore connue que par des expériences faites à la ſuperficie de la Terre ; il ſeroit à ſouhaiter qu’on pût en examiner les phénomènes dans ces profondes cavités.