Lettre pastorale des cardinaux, archevêques et évêques de France sur les droits et les devoirs des parents relativement à l’école

Nos très chers Frères,


Les Évêques de France vous adressèrent, l’an dernier, une lettre collective, pour vous signaler les graves atteintes que deux nouveaux projets de loi portaient à l’autorité des pères et des mères de famille, en matière d’enseignement et d’éducation.

C’était un cri d’alarme et une protestation dont personne ne mit en doute la nécessité, hélas trop manifeste. Aujourd’hui, nous venons vous rappeler, d’après la doctrine de l’Église, les droits et les devoirs des parents au sujet de l’école.

La famille est une société que Dieu a établie et que l’homme ne peut détruire. Quoi qu’en disent certains philosophes, imbus des erreurs grossières du paganisme, elle doit vivre dans l’État, sans se confondre avec lui. C’est à vous, pères et mères, que les enfants appartiennent, puisqu’ils sont l’os de vos os et la chair de votre chair, et c’est vous qui, après leur avoir donné la vie du corps, avez le droit imprescriptible de les initier à la vie de l’âme. Dans l’œuvre de l’éducation, l’État peut vous aider et vous suppléer, mais non vous supplanter. C’est à tort qu’il invoque, pour justifier ses prétentions, ce qu’on appelle le droit de l’enfant. L’enfant n’a pas de droit qui puisse prévaloir contre les droits de Dieu, en qui nous sommes obligés, dès l’éveil de notre raison, de reconnaître notre principe et notre fin ; il n’a pas, notamment, le droit de refuser jusqu’à dix-huit ans, selon la théorie d’un sophiste qui fut un mauvais père, l’instruction religieuse que les parents sont tenus de lui donner ou de lui faire donner.

Le droit de procurer à vos enfants une éducation conforme aux exigences de votre foi religieuse vous est reconnu, non seulement par la loi naturelle, telle que la saine raison la formule, mais par la loi divine, telle que les Saintes Écritures nous la révèlent. Nous lisons au Livre des Proverbes ce passage choisi entre bien d’autres : « Mon fils, garde les commandements de ton père et n’abandonne pas les enseignements de ta mère. Porte-les sans cesse gravés sur ton cœur » (Prov., VI, 20, 22). L’Apôtre saint Paul enseigne la même doctrine, par cette parole qui rétablit la famille sur le fondement primordial de l’autorité paternelle et maternelle : « Enfants, obéissez-en tout à vos pères et à vos mères. C’est la volonté du Seigneur » (Coloss., III, 20).

La mission d’éducateurs qui vous incombe, vous pouvez l’accomplir par vous-mêmes ou par d’autres, et comme vous la confiez d’ordinaire à l’école, il nous paraît très opportun, à cause des conflits de l’heure présente, de vous rappeler quels sont vos droits et vos devoirs, au sujet de cette institution, considérée, à juste titre, comme le prolongement de la famille, puisque le maître n’y instruit les enfants qu’en vertu d’une délégation des parents, auxquels ils appartiennent.

Pères et mères, vous avez d’abord le droit et le devoir de choisir pour vos enfants une école où ils puissent être élevés comme vos croyances le réclament.

Vous avez, en second lieu, le droit et le devoir de surveiller cette école et d’en retirer au plus tôt vos enfants, lorsque vous apprenez qu’elle constitue pour eux un péril prochain de perversion morale, et, par suite, de damnation éternelle.


I

Avant tout, nous tenons à alarmer votre droit et votre devoir de choisir pour vos enfants une école où ils puissent être élevés selon vos principes religieux.

On distingue, sous le régime scolaire en vigueur dans notre pays, deux sortes d’écoles : l’école libre ou chrétienne et l’école publique ou neutre. Il ne sera pas superflu de définir l’une et l’autre, avant de vous dire d’après quels principes vous devez fixer votre choix.

L’école libre ou chrétienne est celle où le maître possède, avec les aptitudes pédagogiques nécessaires, le bonheur de croire, et le courage de vivre selon sa croyance, imitant ainsi l’Instituteur Divin dont les Saints Livres racontent qu’il eut soin de pratiquer sa morale avant de l’enseigner. L’école chrétienne est celle où le maitre inscrit, au premier rang, dans ses programmes, la science religieuse, place entre les mains de ses élèves des livres d’une orthodoxie parfaite, et crée autour d’eux une atmosphère favorable à l’épanouissement de leur foi et de leur vertu. Cette école, vos enfants devraient la rencontrer partout, et l’État serait tenu, en bonne justice, de la mettre à la disposition des familles, surtout dans un pays comme le nôtre, où l’immense majorité professe la religion catholique ; car, ainsi que le disait, avec une suprême autorité, le Pape Léon XIII : « Il importe souverainement que des enfants, nés de parents chrétiens, soient de bonne heure instruits des préceptes de la religion, et que l’enseignement par lequel on a coutume de préparer l’homme et de le former dès le premier Âge, ne soit pas séparé de l’éducation religieuse » (Encycl. Nobilissima Gallorum Gens).

Voilà pourquoi, Nos Très Chers Frères, les vrais catholiques ont toujours compris la nécessité de l’école chrétienne. Quels sacrifices n’ont-ils pas faits pour multiplier, dans les villes et dans les campagnes, ces asiles où la science divine était dispensée, en même temps que la science humaine, par des maîtres dont la religion inspirait le dévouement et dont la compétence avait été bien des fois reconnue par des jurys peu suspects de partialité en leur faveur ? Et quand furent renversés, par la tempête qui sévit encore, ces établissements scolaires où s’abritait l’espoir des familles, quels concours admirables n’avons-nous pas rencontrés chez les catholiques, pour les relever de leurs ruines ? Toutefois le nombre des écoles reconstituées, depuis la dispersion de nos chères communautés enseignantes, est loin de suffire, et il le faudrait augmenter sans cesse. Que les personnes favorisées de la fortune se mettent à l’œuvre, sans objecter les charges nouvelles qu’une loi funeste, la loi de séparation, leur a imposées. La construction d’une école catholique est aussi nécessaire que celle d’une église. Il importe peu d’avoir des églises quand elles restent vides, et les nôtres ne tarderaient pas à se vider, si les écoles d’où l’enseignement religieux est banni continuaient à se remplir.

À côté de l’école libre ou chrétienne, se présente l’école publique ou neutre, dont vous connaissez les origines. Il y a environ trente ans, que, par une déplorable erreur ou par un dessein perfide, fut introduit dans nos lois scolaires le principe de la neutralité religieuse : principe faux en lui-même et désastreux dans ses conséquences. Qu’est-ce, en effet, que cette neutralité, sinon l’exclusion systématique de tout enseignement religieux dans l’école, et, par suite, le discrédit jeté sur des vérités, que tous les peuples ont regardées comme la base nécessaire de l’éducation ?

À toutes les époques et pour tous les pays, les Souverains Pontifes ont dénoncé et condamné l’école neutre.

Le Pape Pie IX la réprouva, le 1er  Novembre 1854, dans l’allocution consistoriale prononcée à propos de la loi qui s’élaborait alors en Piémont, Et dans sa lettre à l’Archevêque de Fribourg (14 Juillet 1864), l’illustre Pontife, après avoir condamné la neutralité dans l’enseignement supérieur, ajoutait : « Ce détestable mode d’enseignement, séparé de la foi catholique et de la tutelle de l’Église,… produira des effets plus funestes encore, s’il est appliqué aux écoles populaires, car, dans ces écoles, la doctrine de l’Église doit tenir la première place… La jeunesse est donc exposée au plus grand péril, lorsque, dans ces écoles, l’éducation n’est pas étroitement unie à la doctrine religieuse. »

Léon XIII, s’adressant à la France, a porté à son tour contre ce système de pédagogie la condamnation la plus catégorique et la plus fortement motivée. Il disait, en parlant de l’union nécessaire de l’enseignement avec l’éducation religieuse : « Séparer l’un de l’autre, c’est vouloir que, lorsqu’il s’agit des devoirs envers Dieu, l’enfant reste neutre. Système mensonger et désastreux dans un âge si tendre, puisqu’il ouvre la porte à l’athéisme et la ferme à la religion » (Encycl. Nobilissima Gallorum Gens).

Il enseignait la même doctrine aux Évêques de Bavière (2 Déc. 1887) ; et à ceux du Canada, il déclarait que l’école neutre est « contraire à la foi, aux bonnes mœurs et au bien social » (8 Déc. 1897).

À ces condamnations édictées par les Papes contre l’école neutre, les Évêques de France firent écho dès que le péril s’annonça, et si le régime de la neutralité scolaire s’est établi dans notre pays, il serait injuste de prétendre que ce fait douloureux se soit produit à la faveur de leur silence.

L’école neutre a été réprouvée par l’Église, et cette réprobation que certains esprits taxent d’intolérance se justifie sans peine. N’est-il pas permis de voir dans la suppression de tout enseignement religieux à l’école l’une des principales causes du mal profond dont souffre la France et qui atteint à la fois la famille, la morale et le patriotisme ?

Cependant, l’école neutre existe partout dans notre pays, et dès lors, pères et mères de famille, une question de la plus haute gravité se pose devant votre conscience : vous est-il permis de l’adopter pour vos enfants, ou bien êtes-vous obligés d’en choisir une autre qui soit chrétienne ?

Nous répondons d’abord que c’est un devoir rigoureux, partout où il existe une école chrétienne, d’y envoyer vos enfants, à moins qu’un grave dommage ne doive en résulter pour eux ou pour vous.

Nous répondons, en second lieu, que l’Église défend de fréquenter l’école neutre, à cause des périls que la foi et la vertu des enfants y rencontrent. C’est là une règle essentielle, qu’on ne doit jamais oublier. Il se présente néanmoins des circonstances où, sans ébranler ce principe fondamental, il est permis d’en tempérer l’application. L’Église tolère qu’on fréquente l’école neutre quand il y a des motifs sérieux de le faire. Mais on ne peut profiter de cette tolérance qu’à deux conditions : il faut que rien dans cette école ne puisse porter atteinte à la conscience de l’enfant ; il faut, en outre, que les parents et les prêtres suppléent, en dehors des classes, à l’instruction et à la formation religieuse que les élèves n’y peuvent recevoir.

Quelle est la force obligatoire de ces règles de conduite, qui s’appliquent aux institutions où l’on donne l’enseignement secondaire, aussi bien qu’aux écoles primaires ? Les instructions pontificales déclarent qu’elles obligent, sous peine de faute grave, et qu’il ne serait pas permis d’absoudre, au tribunal de la pénitence, les parents qui, avertis de leur devoir, négligeraient de le remplir.

À l’heure actuelle, personne ne peut le nier, un grand nombre d’écoles, soi-disant neutres, ont perdu ce caractère. Les instituteurs qui les dirigent ne se font pas scrupule d’outrager la foi de leurs élèves, et ils commettent cet inqualifiable abus de confiance, soit par les livres classiques, soit par l’enseignement oral, soit par mille autres industries que leur impiété leur suggère. Pratiquer ainsi la neutralité, c’est se mettre en contradiction flagrante avec le principal promoteur de l’école neutre, lequel, pour faire accepter sa loi néfaste, disait à la tribune française : « Si un instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant contre les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et aussi rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre leur personne à des sévices coupables » [1]. Il est aujourd’hui de notoriété publique que ces solennelles promesses sont étrangement méconnues en beaucoup d’écoles, où les maîtres, au lieu de respecter les convictions chrétiennes des familles, semblent n’avoir d’autre but que de faire de leurs élèves des libres-penseurs.

Devant ce travail impie, nous nous sentons obligés par notre conscience épiscopale de vous rappeler le non licet de l’Évangile. Non, il ne vous est pas permis de choisir pour vos enfants une école, de quelque ordre qu’elle soit, où ils seraient élevés dans le mépris des enseignements, des préceptes et des pratiques de notre sainte religion ; en le faisant, vous coopéreriez à l’œuvre la plus funeste, et cette complicité, gravement coupable, vous rendrait indignes des sacrements de l’Église.

II

Vous avez, en second lieu, le droit et le devoir de surveiller l’école.

Il faut que vous connaissiez les maîtres qui la dirigent et l’enseignement qu’ils y donnent. Rien de ce qui est mis entre les mains et sous les yeux de vos enfants ne doit échapper à votre sollicitude : livres, cahiers, images, tout doit être contrôlé par vous.

Outre le péril de la foi, il y a péril de la vertu ; vous devez vous en préoccuper aussi, surtout s’il s’agit de ces écoles mixtes, où l’on pratique, par le mélange des enfants des deux sexes, un système d’éducation contraire à la morale et tout à fait indigne d’un peuple civilisé.

Pour remplir plus efficacement leur devoir, certains pères de famille ont pensé qu’il serait utile de former des associations. Elles permettent, en effet, de se renseigner plus vite sur la situation morale d’une école, et elles donnent plus d’autorité à de justes réclamations, Nous ne pouvons qu’encourager ces associations, Du reste, on aurait tort d’attribuer l’initiative d’où elles procèdent à un sentiment d’hostilité. Les instituteurs qui n’ont rien à se reprocher — on en trouve encore et nous nous plaisons à leur rendre justice — n’ont rien à craindre. Ils doivent se réjouir, au contraire, de voir les familles ne pas demeurer indifférentes au travail de l’école et procurer, en soutenant le zèle des maîtres, une culture aussi intense que possible de l’esprit et du cœur des élèves.

Enfin, Nos Très Chers Frères, nous voulons nous-mêmes vous aider dans l’œuvre de surveillance à laquelle nous venons vous convier. C’est pourquoi, usant d’un droit inhérent à notre charge épiscopale et que les lois et les tribunaux chercheraient en vain à nous contester, nous condamnons collectivement et unanimement certains livres de classe qui sont plus répandus, et dans lesquels apparaît davantage l’esprit de mensonge et de dénigrement envers l’Église catholique, ses doctrines et son histoire.

Ces manuels, dont la liste est annexée à la présente lettre pastorale, contiennent une foule de pernicieuses erreurs. Ils nient, ou présentent insuffisamment démontrées, les vérités les plus essentielles, telles que l’existence de Dieu, la spiritualité de l’âme, la vie future et ses sanctions, la déchéance originelle, et ils rejettent, par voie de conséquence, tout l’ordre surnaturel.

Aussi, nous interdisons l’usage de ces livres dans les écoles, et nous défendons à tous les fidèles de les posséder, de les lire, et de les laisser entre les mains de leurs enfants quelle que soit l’autorité qui prétende les leur imposer.

D’autres manuels se rencontrent, qui mériteraient, peut-être au même degré, la censure de l’Église. Il appartiendra à chaque Évêque de les signaler dans son diocèse, et d’en proscrire l’usage, selon qu’il le jugera opportun.

Cette sentence portée par vos Évêques a l’autorité d’un jugement doctrinal qui oblige tous les catholiques, et en premier lieu les pères de famille. Les instituteurs de leur côté ne pourront pas ne pas en tenir compte ; ils se condamneraient eux-mêmes si dans leurs écoles, dont leurs élèves sont tous ou presque tous catholiques, ils introduisaient des ouvrages que le Pape ou les Évêques, seuls juges compétents en matière d’orthodoxie, ont formellement prohibés.

Vous surveillerez donc de très près, Nos Très Chers Frères, l’enseignement donné à vos enfants. Ce devoir est d’autant plus impérieux qu’il est plus facile de l’accomplir. Quand il s’agit du choix d’une école, il peut arriver que vous manquiez parfois de la liberté désirable ; au contraire, pour la surveiller, vous avez à votre disposition, partout et toujours le pouvoir et les ressources qui sont nécessaires. Si à l’aide de la vigilance éclairée que vous inspirera votre foi, vous venez à découvrir que l’école, au lieu de rester neutre, n’est plus, suivant une définition célèbre, qu’ « un moule où l’on jette un fils de chrétien pour qu’il s’en échappe un renégat », vous n’hésiterez pas à en retirer promptement vos fils et vos filles. Une loi en préparation vous rendra peut-être bientôt plus difficile l’exercice de l’autorité paternelle ; mais, quelques entraves que vous rencontriez du côté de la loi humaine, désireux avant tout d’observer la loi divine qui vous ordonne d’arracher au péril l’âme de vos enfants, vous vous souviendrez de la conduite des Apôtres devant les premiers persécuteurs de l’Église, et vous répondrez à ceux qui vous conseilleraient une attitude différente : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».

En vous rappelant vos devoirs d’éducateurs, nous ne pouvons oublier ceux que nous impose la paternité spirituelle dont nous sommes investis à l’égard de vos enfants. Aussi, nous nous déclarons prêts à tout souffrir pour vous aider à les défendre contre les périls de l’école et à leur conserver, avec l’inestimable trésor de la foi, les belles espérances dont il est le gage, pour la vie future.

La grande héroïne française que le Pape glorieusement régnant vient de placer sur les autels, disait, au cours de sa vie guerrière, quand on lui représentait les difficultés d’une entreprise : « Les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire ». Une lutte des plus ardentes est engagée à cette heure autour de l’école, et, quand on examine les obstacles qui se dressent de toutes parts, il peut paraître difficile de faire triompher cette cause sacrée qu’est l’éducation de vos enfants, Cependant, ayons confiance, Nos Très Chers Frères, combattons avec ensemble, avec esprit de discipline et avec courage ; combattons surtout, en nous tenant, comme Jeanne d’Arc, sous l’étendard de Jésus et de Marie, et Dieu, dont le secours ne saurait nous manquer, nous fera remporter la victoire. Puisse cette victoire nous procurer bientôt le régime scolaire qu’un peuple, épris de justice et de liberté comme la France, doit ambitionner par-dessus tout, et que les tristes résultats de l’école neutre nous font désirer plus vivement encore, dans l’intérêt de la famille, de la religion et de la patrie !


14 Septembre 1909, en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix.


Suivent les signatures.


Et sera la présente lettre pastorale lue dans toutes les églises et chapelles de nos diocèses, le 1er  Dimanche d’Octobre.

  1. Discours de M. Jules Ferry au Sénat, 16 Mars 1882, Journal Officiel du 17 Mars, page 227