Lettre du 19 février 1676 (Sévigné)





504. — DE LA PETITE PERSONNE, SOUS LA DICTÉE DE MADAME DE SÉVIGNÉ, À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, ce mercredi des Cendres, 19e février.

Je souhaite, ma chère fille, que vous ayez passé votre carnaval mieux que moi[1] ; rien ne doit vous en avoir empêchée : ma santé ne doit plus il y a longtemps vous donner d’inquiétude ; pour moi elle me donne de l’ennui. La fin infinie d’un rhumatisme est une chose incroyable : on ressent des douleurs qui font ressouvenir du commencement ; l’on meurt de peur ; une main se renfle traîtreusement, un torticolis vous trouble : enfin, mon enfant, c’est une affaire que de se remettre en parfaite santé ; et comme je l’entreprends, j’en suis fort 1676occupée il ne faut pas craindre que je retombe malade par ma faute ; je crains tout ; l’on se moque de moi. Voilà donc, comme vous voyez, ce qui compose une femme d’assez mauvaise compagnie. Outre cela, le bon abbé ne se porte pas bien ; il a mal à un genou, et un peu d’émotion tous les soirs ; cela me trouble. Mme de Marbeuf[2] m’est venue voir de Rennes, mais je l’ai renvoyée passer le carnaval chez la bonne princesse : elles reviendront tantôt me voir ; mon fils y a passé un jour ou deux ; il s’en va dans cinq ou six : c’est une perte pour moi ; mais il n’y a pas moyen qu’il puisse différer davantage ; nous ne penserons plus qu’à le suivre. Mais, ma fille, qui peut me guérir des inquiétudes où je suis pour vous ? Elles sont extrêmes, et je demande à Dieu tous les jours d’en être soulagée par une nouvelle, telle et aussi heureuse que je la puisse souhaiter[3]. Je ne sais quand mes lettres redeviendront supportables ; mais présentement elles sont si tristes et si pleines de moi, que je m’ennuie de les entendre relire ; vous avez trop bon goût pour n’être pas de même : c’est pourquoi je m’en vais finir ; aussi bien la petite fille se moque de moi. J’attends vos lettres, comme la seule joie de mon esprit : je suis ravie d’entrer dans tout ce que vous me dites, et de sortir un peu de tout ce que je dis. Hélène est arrivée depuis deux jours, dont je suis ravie : elle me console de Larmechin qui s’en va. L’on me mande mille choses de Paris, sur quoi l’on pourroit discourir, si l’on n’avoit point les mains enflées. . 1676

Adieu, ma très-chère et très-aimable : vous savez combien je suis à vous ; conservez-moi tendrement votre chère et précieuse amitié. J’embrasse M. de Grignan et les pichons. Comment se porte Marignanes ? Il me semble que nous sommes bien proches du côté du rhumatisme. Je vous envoie une douzaine de souvenirs à distribuer comme il vous plaira ; mais il y en a un pour Roquesante, qui ne doit jamais être confondu.



  1. LETTRE 504. — « Plus gaiement que moi. » (Ibidem.)
  2. Voyez ci-dessus, p. 197, note 5.
  3. Le texte de 1754 est ici très-différent de celui de 1734, que nous avons suivi : « Mon fils a passé deux jours avec elles ; il s’en va dans cinq ou six : c’est une perte pour moi ; mais il n’y a pas moyen qu’il diffère davantage ; nous ne penserons plus qu’à le suivre : cela consoleroit, si quelque chose pouvoit me guérir des inquiétudes où je suis pour vous. Je ne sais, ma fille, quand mes lettres, etc. »