Lettre du 11 octobre 1661 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 432-434).
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51. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE[1].

(Aux Rochers) ce 11e octobre.

Il n’y a rien de plus vrai que l’amitié se réchauffe quand on est dans les mêmes intérêts ; vous m’avez écrit si obligeamment là-dessus, que je ne puis y répondre plus juste qu’en vous assurant que j’ai les mêmes sentiments pour vous, que vous avez pour moi, et qu’en un mot, je vous honore, et vous estime d’une façon toute particulière. Mais que dites-vous de tout ce qu’on a trouvé dans ces cassettes[2] ? Eussiez-vous jamais cru que mes pauvres lettres, pleines du mariage de M. de la Trousse[3] et de toutes les affaires de sa maison, se trouvassent placées si mystérieusement ? Je vous avoue que quelque gloire que je puisse tirer, par ceux qui me feront justice, de n’avoir jamais eu avec lui d’autre commerce que celui-là, je ne laisse pas d’être sensiblement touchée de me voir obligée à me justifier, et peut-être fort inutilement à l’égard de mille personnes, qui ne comprendront jamais cette vérité. Je pense que vous comprenez bien aisément la douleur que cela fait à un cœur comme le mien. Je vous conjure de dire sur cela ce que vous en savez ; je ne puis avoir assez d’amis en cette occasion. J’attends avec impatience Monsieur votre frère[4], pour me consoler un peu avec lui de cette bizarre aventure : cependant je ne laisse pas de souhaiter de tout mon cœur du soulagement aux malheureux, et je vous demande toujours, Monsieur, la continuation de l’honneur de votre amitié.

M. de Rabutin Chantal.

  1. Lettre 51 (revue sur l’autographe). — i. Simon Arnauld, marquis de Pompone, fils d’Arnauld d’Andilly et neveu du grand Arnauld, était né en 1618 et mourut en 1699. Il prit d’abord d’un bien de sa mère le nom de Briotte, et en 1649 celui de Pompone, porté jusque-là par l’un de ses oncles. Intendant de Casal en 1642, puis des armées de Naples et de Catalogne, ambassadeur deux fois en Suède (1665, puis 1671), et dans l’intervalle en Hollande (1669), successeur de Lyonne aux affaires étrangères (6 septembre 1671), il fut renvoyé en novembre 1679, et rappelé au conseil en juillet 1691. Pompone était l’ami de Foucquet ; ce ministre avait même contribué à son mariage avec Catherine Ladvocat, qu’il épousa en 1660. La disgrâce de Foucquet rejaillit sur ses amis : Pompone fut relégué à Verdun, au commencement de mars 1662. Voyez sur l’origine de sa liaison avec Mme de Sévigné, la Notice, p. 69.
  2. Voyez les deux lettres précédentes.
  3. Le marquis de la Trousse avait épousé Marguerite de la Fond. Voyez la Généalogie, p. 344.
  4. Antoine Arnauld, abbé de Chaumes (1674), était l’aîné des enfants d’Arnauld d’Andilly. Il servit jusqu’en 1643 dans le régiment de son oncle Arnauld de Corbeville. Ayant ensuite embrassé l’état ecclésiastique, il donna la plus grande partie de son bien à son frère de Pompone. Il a laissé des mémoires curieux. Voici en quels termes il y parle de Mme de Sévigné (tome XXXIV, p. 314) : « Ce fut en 1657 que M. (Renaud) de Sévigné me fit faire connoissance avec l’illustre marquise de Sévigné, sa nièce, dont le nom seul vaut un éloge à ceux qui savent estimer l’esprit, l’agrément et la vertu. On peut dire d’elle une chose fort avantageuse et fort singulière : qu’une des plus dangereuses plumes de France (Bussy Rabutin) ayant entrepris de médire d’elle, comme de beaucoup d’autres, a été contrainte par la force de la vérité de lui feindre des défauts purement imaginaires, ne lui en ayant pu trouver de réels. » Voyez dans la Notice, p. 88, le tableau gracieux qui suit cet éloge.