Lettre de rémission de Henri II en réponse à la supplique d'Anne Falgouze et Agnès Chavalière pour les coups, les blessures et les tortures ayant entraîné la mort de Jehanne Andraulde, supposée sorcière



Henry [par la grâce de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous presenz et à venir nous avoir reçüe] l’humble supplication de Anne Falgouze femme de Michel Gilbert laboureur, paouvres simples femmes, demeurant au village del Fayet en Auvergne, diocèse de Clermont, contenant que, le samedy devant caresme prenant dernier passé, appelé selon le commun langage du païs le samedy gras, environ l’heure des vespres, les dites suppliantes seroient allées à un ruisseau, auquel l’on a de coustume laver laissives et drappeaulx, qui est entre le lieu de la Terrasse et le lieu du Fayet. Et ainsy que les dites suppliantes lavoient leurs drappeaulx au dit ruisseau, survint illec une nommée Jehanne Andraulde, à présent défuncte, voulant passer par une planche estant au dit ruisseau, laquelle les dites suppliantes aperceürent. Et parce que la dite Andraulde, en sa jeunesse, auroit toujours vescu en lubricité et, en sa vieillesse, vescu de sorcellerie, comme estoit le bruict commung au dit lieu, et qu’elle avoit ensorcellé plusieurs personnes, les dites suppliantes, pour l’extrémité de maladie en laquelle elles estoient détenus de jour en jour et pour la mort survenue à six ou sept de leurs enfans, ayant fantaisie que la dite Andraulde les avoit ensorcellées pour quelque haine contre elles conçue, se seroient adressées de parolles à la dite Andraulde, mesmes de la dite Falgouze, qui luy dict et remonstra qu’elle l’avoit ensorcellée et qu’il falloit qu’elle luy ostat ce mal. Auxquelles parolles la dite Andaulde, par arrogance, ne leur feïst aucune respponse, ains s’en vouloit fouyr, sans leur voulloir rien dire, par manière de dérision. Au moïen de quoy, les dites suppliantes, de ce indignées, par légiéretté d’esperit et perturbiés de leur cerveau et entendement le plus souvent par le moyen des dites maladies et sorcelleries en lesquelles elles estoient détenues, pensant recouvrer guarison en faisant parler la dite Andraulde et non qu’elles eüssent voulloir ne intention la tuer ne occir, de quelues petitz bastons de boys secs, qu’elles trouvèrent par terre en ung boys estant près dudit ruisseau, auroient donné quelques coups sur le doz, braz et jambes de la dite Andraulde, pour la faire parler et leur faire oster ce maléfice, ce qu’elle ne voulut faire. Et la laissèrent les dites suppliantes près du ruisseau, sans luy avoir faicte aucune effuzion de sang, ny plaie, ne autre mal. Et s’en allèrent les dites suppliantes en leurs affires et la dite Andraulde en sa maison. Et le lendemain et les aultres jours subséquens alloit et venoit par le villaige et autres lieux où bonlui sembloit sans ce plaindre et sans auculne démonstration d’estre blessée. Touteffoys neuf ou dix jours après comme les dites suppliantes ont ouy dire la dite Andraulde seroit allée de vie à trépas. Ne sçavent bonnement si si ce a esté au moïen de sa vieillesse ancien aage et décrépitude ou par le moïen des dis coups à elle donnez par les dites suppliantes et à faulte de se avoir faict penser et médicamenter. Et pour raison du dit cas les dites suppliantes craignans rigueur de justice se seroient absentées du païs et les officiers d’Aligoux se seroient esforcez procedder contre elles par adjournemens personnelz prinse de corps et aultres adjournemens en cas de ban et au dit païs ne ailleurs en nostre royaulme elles n’oseroient bonnement converser ne habiter se par nous ne leur estoit sur ce pourveü de nos lettres de grâce, rémission et pardon, et nous etc. et que attendu ce que dict est et que ce que les dites suppliantes en ont faict a été par leur fragillité et le grand soubpson qu’elles avoient que la dite Andraulde défuncte estoit sorcière parce que le commung bruit estoit au dit païs qu’elle s’aidoit de tel sort et que la coustume et façon de faire au dit païs de batre à coups de bastons telles manières de gens pour leur donner craincte et oster le dit sort et n’entendoient aucunement l’occir ne meurdrir et que en tous autres cas etc. Pour quoy etc. Si donnons en mandement à nostre sénéchal d’Auvergne ou son lieutenant en la jurisdiction duquel etc. Donné à Paris ou moys de juing l’an de grâce mil cinq cens quarante huict et de nostre règne le deuxsiesme. Ainsi signé : Par le conseil : Guyot. Visa, contentor. Delaunay. Moyennant que les dites suppliantes ont païé comptant la somme de cinquante solz tournois.