Lettre de Saint-Évremond au marquis de Canaples (« Je ne sais, Monsieur, si vous avez… »)


XCIV. Lettre au marquis de Canaples, 1699.


AU MÊME.
(1699.)

Je ne sais, Monsieur, si vous avez reçu la lettre que je me suis donné l’honneur de vous écrire, pour vous rendre grâces très-humbles des offres les plus obligeantes que l’on puisse faire. Je voudrois bien être en état de m’en pouvoir servir. La Nature dont j’ai eu tant de sujet de me louer, est sur le point de me retirer ses faveurs, et de me traiter comme elle a traité Mme Mazarin. C’est une cruauté pour Mme Mazarin, qui étoit aussi belle que jamais, et la même que vous l’avez vue. Elle s’est fort peu souciée de l’injustice qu’elle lui a faite, car jamais personne n’est mort avec plus de résignation et de fermeté. Je m’afflige de sa perte tous les jours. Elle disoit souvent un vers de La Fontaine, dont je ne doute point qu’elle ne se fût servie à mon égard, et dont je ne saurois me servir au sien :

Sur les ailes du temps la tristesse s’envole.

Je voudrois pouvoir faire ce qu’elle eût fait et ce que je ne saurois gagner sur moi. L’intérêt de ce qu’elle me devoit n’a aucune part à mes regrets. Quand je songe que la nièce et l’héritière de M. le cardinal Mazarin a eu besoin de moi, en certain temps, pour subsister, je fais des réflexions chrétiennes qui serviront à mon salut, si elles sont inutiles pour mon payement.