Lettre de M. Godin à M. H. Blatin
J’ai lu, avec un vif intérêt, votre brochure sur les Courses de taureaux. Je vous remercie de ce travail remarquable, comme de tous vos travaux si persévérants pour une œuvre à laquelle j’ai voué aussi une partie de ma vie, avec l’entière conviction de contribuer au bien général.
L’institution moderne des Société protectrices des animaux a pour but final d’abolir les coutumes et habitudes cruelles qui endurcissent et pervertissent l’homme. — C’est une heureuse tendance civilisatrice, au milieu de tant d’éléments dissolvants.
Une foule de mauvais traitements se commettent journellement sur les animaux, soit par un intérêt mal compris, soit par un emportement coupable et déraisonnable, soit par légèreté.
Toutes ces cruautés, c’est-à-dire toutes ces souffrances imposées publiquement ou secrètement, sans nécessité, doivent être sévèrement proscrites à l’égard de tous les êtres animés.
Mais les combats de taureaux sont la plus scandaleuse violation des lois divines et humaines, parce qu’ils ont lieu non-seulement en public, mais solennellement et avec préméditation ; parce qu’ils font subir aux deux principaux serviteurs de l’homme, le bœuf et le cheval, les plus affreuses tortures ; parce qu’ici aucune utilité n’apparaît ; enfin parce que le plaisir ou l’amusement puisé dans la souffrance est une sorte de sacrilège.
Plusieurs fois, dans mon journal[1], j’ai signalé énergiquement ces fêtes démoralisatrices à la réprobation publique, et aussi à l’auguste attention du Souverain, rappelant que nous avons une loi spéciale et nationale, — celle du 2 juillet 1850, — qui interdit tous mauvais traitements commis publiquement, sur toute espèce d’animaux domestiques ; et que les combats de taureaux tombent évidemment en première ligne sous l’application de cette loi.
Malheureusement l’écho de ma faible voix n’est pas monté jusqu’au trône.
J’espère que vous serez plus heureux, et que non-seulement nous ne verrons pas s’établir ces jeux maudits au nord et au centre de la France, — comme vous paraissez le craindre, — mais qu’ils cesseront bientôt de souiller nos frontières méridionales.
Et pourquoi n’espérerions-nous pas même les voir disparaître de cette chevaleresque et religieuse Espagne, si bien disposée à contribuer, de concert avec nous, à l’expansion de la civilisation chrétienne et à la destruction des abus de tous genres qui y font obstacle ?
Vous rappelez à propos, cher collègue, qu’après l’avènement d’un prince français au trône d’Espagne, les combats de taureaux furent pendant quelque temps supprimés. Ce qui eut lieu alors peut d’autant plus facilement se renouveler, d’une manière durable, que nos relations amicales ne sont plus seulement particulières entre souverains, mais générales entre les deux peuples si bien faits pour s’estimer.
Agréez, cher docteur, l’assurance de ma bien cordiale affection.
- ↑ Le Protecteur, le Législateur et l’Ami des Animaux.