Lettre de Chapelle au marquis d’Effiat (« Quel fut mon trouble et mon chagrin »)


Lettre au marquis d’Effiat
Chapelle


LETTRE À MONSIEUR LE MARQUIS D’EFFIAT
En lui envoyant la pièce suivante.

Quel fut mon trouble et mon chagrin,
Et combien j’amassai de bile,
Quand plus à la nuit qu’au matin,
Et bien moins courrier que lutin,
Mais plus dispos et plus habile
Que, dans Marot, frère Lubin,
Pour courir en poste à la ville1
Je te vis prendre le chemin
Qui mène et fait gagner enfin,
Après un désert infertile,
Les monts, à qui n’est l’Apennin
Que ce qu’aux géants est le nain ;
Barrière affreuse, mais tranquille
Et de la paix toujours l’asile,
Par qui borne un arrêt divin
L’un et l’autre puissant voisin,
D’où, comme d’un premier mobile,
Notre Europe attend son destin !
En effet, comme moi, qui n’eût
Mal auguré, par le début,
Du reste de ta destinée ?
Te souvient-il bien comme il plut ?
Telle et si rude matinée,
Au plus beau mois de notre année
Jamais du voyageur n’émut
L’âme à si bon droit mutinée ;
Non, depuis qu’au seigneur il plut
De noyer l’humaine lignée,
Tant d’eau sur la terre il ne chut.
Au seul bruit dont il me parut
Qu’il pleuvoit dans ma cheminée,
Je crus qu’une pluie obstinée
Et suivre et conduire te dût
Jusqu’à ta route terminée ;
À moins qu’en faveur d’Hyménée,
Le ciel castillan ne voulût
T’offrir quelque heureuse journée.
Car, d’entre nous pas un ne crut
Qu’un si grand changement se pût
Faire ici dès l’après-dînée.
Et cependant à peine fut
Par nos cloches carillonnée
L’heure à repaître destinée,
Que Phébus, gagnant le dessus,
Et le haut du céleste étage,
Y fit luire un si clair visage,
Que, de tous côtés épandus,
Ses traits percèrent le nuage ;
Ce qui me remit le courage.
Car d’abord, Marquis, je conçus
Qu’un pareil jour m’étoit l’image
De ta course et de ton voyage,
Qui, chez les peuples abattus,
Par des temps si noirs, si confus,
Si pleins d’horreur et de ravage,
Leur seroit un heureux présage
Que tout autre astre que Phébus,
Et brillant cent fois davantage,
S’en venoit dissiper l’orage
Et les troubles qu’ils avoient vus ;
Et demeurer pour sacré gage
Que désormais ils n’auroient plus
Que des beaux jours du premier âge.

Toi donc parti, je n’eus plus d’autre égard
Que de chercher à rêver à l’écart,
Et dans les bois exciter mon génie
À me fournir des vers sur ton départ ;
Quand en devroit ma poétique manie,
Par le Galant Mercure, être au hasard
D’avoir encor, malgré moi, quelque part
Dans le récit de la cérémonie2.
Mais c’étoit bien compter sans Montrichard,
Qui tient aux gens trop bonne compagnie.
Et si le bruit de tous côtés venu
Qu’on alloit voir dans la cité d’Amboise
Plus qu’on n’avoit pas même à la Cour vu
N’eût fait partir et bourgeois et bourgeoise,
Un seul moment je n’en eusse obtenu,
Tant Montrichard sait trop bien chercher noise.

Mais à présent que l’âne et l’haridelle
Y vont portant et femmes et maris,
Sur mon Marot, qui dans tel genre excelle,
Ce chant royal j’ai fait et te l’écris.
Ses rimes sont trois en is, quatre en elle.
Vois-le, de grâce, et pour refrain y lis :
Rien de si beau, rien de si noble qu’elle.



1. Ce vers manque dans Saint-Marc ; nous le trouvons dans l’édition de 1732.

2. Ce que Chapelle dit ici semble indiquer qu’il avoit composé quelque pièce à l’occasion de quelque fête ou cérémonie publique, et que le Mercure galant l’avoit adoptée. (Saint-Marc.)