Lettre de Chapelle à M. Carré, pendant la Fronde


Lettre de Chapelle à M. Carré, pendant la Fronde
Chapelle


LETTRE À MONSIEUR CARRÉ
Pendant la guerre civile de la Fronde.

La belle et galante manière
Dont vous mettez vers en lumière
Nous fait bien voir, Monsieur Carré,
Que, lorsque vous serez curé,
Vous direz peu votre bréviaire.

Bien plutôt aurez soin et cure,
Quand vous serez à votre cure,
D’avoir toujours force poulets,
Et de vin savoureux et frais
Très suffisante fourniture.

Aussi ne verra-t-on chez vous
Hypocrites ni loups-garous,
Torts-cols à grimaçante mine,
Ni cagots de telle farine,
Mais bien des gens faits comme nous.

Maintenant, quant au Panégire
Que sans rougir je n’ai pu lire,
Fort vraiment vous m’obligerez
Si, lorsque vous nous écrirez,
Il vous plaît de n’en pas tant dire.

Eh quoi ! là dedans mon éloge
Dure plus d’une heure d’horloge,
Et pas un ne voit le pourquoi,
Car je ne suis prince ni roi,
Et vertu nulle en moi ne loge.

Ce n’est pas que si grande lettre
Ne m’obligeât bien à vous mettre
Un bel et beau remercîment ;
Mais écrivons sans compliment,
Puisque nous écrivons en mètre.

Vous saurez donc qu’ici la peste
Et la guerre, encor plus funeste,
A ravi la moitié des gens.
Je ne sais si les Allemands
Voudront bien épargner le reste.

Le Nord nous a rendu visite,
Suivi d’un nombreux exercite
De Lorrains, Croates et Goths,
Le tout pour nous mettre en repos,
Ainsi que gazette débite.

Cependant ils ne laissent pas
De charger leurs chevaux de bâts
De mainte belle et bonne harde,
Et tout ce qu’aux champs on hasarde
Est le butin de leurs soldats.

Toutes ces troupes étrangères

Font qu’on ne se promène guères.
Hélas ! comment le pourroit-on,
Puisque Chaillot et Charenton

Sont à présent places frontières ?

Je suis renfermé dans la ville,
En grand chagrin, sans croix ni pile.
Nous buvons mal, et, qui pis est,
Boirons long-temps mal, s’il ne plaît
Aux gens d’armes de faire gille.

Car à Melun une grand’chaîne,
Qui tient la pauvre Seine en gêne,
Empêchant nos fameux voisins
D’amener ici leurs bons vins,
Nous réduit à ceux de Surêne.

Encore en avons-nous bien peu,
Car, sur ma foi, ce n’est pas jeu
D’en entreprendre la voiture ;
Et qui le fait sans aventure
En doit belle chandelle à Dieu.