Lettre de Calvin, apportée des enfers


Lettre de Calvin, apportée des enfers par l’esprit du sieur Groyer aux pasteurs du petit Troupeau.
Pierre Groyer

1641



Lettre de Calvin, apportée des enfers par l’esprit du sieur Groyer aux pasteurs du petit Troupeau.
Suivant la copie imprimée à La Rochelle par Estienne du Rosne, imprimeur et libraire. 1641.
Avec permission.
In-8.

À Monseigneur Monseigneur de la Porte, grand prieur de France, ambassadeur de l’ordre de Saint-Jean de Jerusalem, intendant general de la navigation et commerce de France, et gouverneur pour Sa Majesté de Broüage, La Rochelle, pays d’Aulnis et isles adjacentes.

——--Cher objet de tous les François,
——--Grand protecteur des Rochellois,
Exerce en mon endroit ta bonté coutumière ;
——--Permets à cet esprit naissant
D’aller le front baissé rechercher la lumière,
——--À la faveur de ton croissant.

Pierre Groyer, Angevin,
Escollier de philosophie au collége royal
de La Rochelle.

Pasteurs qui menez vos troupeaux
Parmy des routes si cachées
Et qui les abreuvez des eaux
Que l’enfer semble avoir crachées,
Cessez de suivre ces sentiers
Au bout desquels vos devanciers
Ont veu des loups et des vipères
De qui la fureur et l’efort
Leur ont fait rechercher le port
Dedans la gueule des cerbères.

Le grand bruit de ces leopards
Vous forcera d’ouvrir l’oreille,
Et vous serez de toutes parts
Attains d’une peur nompareille.
Si vous jettez vos souliers vieux
Pour mieux fuir devant leurs yeux,
Ils vous poursuivront plains de rage,
Et, après vous avoir vaincus,
Puisque vous semblez aux cocus
Ils vous feront entrer en cage.

Les libertez que vous prisez
Se separeront de vos ames,
Et tout ce que vous meprisez
Vous tallonnera dans les flammes ;
Les jeusnes, les austeritez,
Contre qui vous vous irritez,
Seront vos plus doux exercices,
Et, tous rongez de desplaisir,
Vous sentirez qu’un fol desir
Peut engendrer mille supplices.

Parmy les tenebreux cachos
Où vous mettront ces Poliphèmes,
Dieu, vous privant de tout repos,
Se vangera de vos blasphèmes ;
Vos crimes, qui luy font horreur,
Porteront sa juste fureur
À faire esclatter son tonnerre
Dessus vos corps chargez de fers ;
Vous sentirez dans les enfers
Celuy que vous niez sur terre.

Vous ne pourrez jamais le voir,
Jamais vous ne l’aurez pour père,
Puisque vous refusez d’avoir
Sa très chère espouse pour mère.
La douceur de ce Roy des Roys
(De qui vous violez les loix
Et que vous appelés barbare
Le faisant autheur de tous maux)
Pour faire place à nos travaux
Se retirera du Tartare.

Son bras, qui ne peut se tenir
De secourir et de bien faire
S’exercera lors à punir
Ceux qui sont enclins à mal faire.
Sous la pesanteur de sa main,
Combattus de soif et de faim,
Si vous ouvrez vos bouches grandes,
Soudain les serpens, les aspics,
Les crapaux et les basilics
Les rempliront de leurs viandes1.

Les orfrayes et les corbeaux
Tiendront le haut bout à vos tables ;
Vous n’oirez point des chants plus beaux
Que leurs cris très espouvantables ;
Dans ces contagieux festins,
Vous serez serviz de lutins,
De Mégère et de Tysiphone,
Qui, vous presantant du poison,
Vous feront dire avec raison :
« Jusqu’au bord pleine tasse on donne. »

Vostre dessert sera du fiel
Force pommes de colloquinte ;
L’on vous presentera le miel
Qui se rencontre dans l’absinte,
Et, quoy que pour n’en goûter pas
Vous meditiez de grands combats,
Votre deffence sera vaine :
L’on a delibération
Non par commemoration
Que vous ferez ainsi la cène.

Là on viendra vous inviter
À faire compagnie à Baize
Qui disne du corps de Luther
Qu’on a fait rostir sur la braize ;
Vous verrez l’infame Astarot
Traitter le confrère Marot
Avec une main meurtrière ;
C’est là qu’il dit à ce boureau :
« Je suis fait semblable à un veau
Qui boult au fond d’une chaudière. »

Luy-mesme se ronge le cœur
Et fulmine contre ses crimes,
Et cet escervelé mocqueur
Pleure au plus profond des abismes.
Les seuls dont il oit les sermons
Sont les Furies, les Demons,
Qui luy livrent dix mille allarmes,
Et dans son chaleureux tourment
Il n’a de rafraîchissement
Que le seul torrent de ses larmes.

Et moy, malheureux apostat,
Quiay fait passage a leurs vices,
L’on m’a reduit en un estat
Où je les surpasse en supplices ;
Eux-mêmes me lancent des dars,
Et, tournant leurs affreux regars
Vers mon corps brulant et difforme,
Ils crient à perte de voix
Que c’est dans l’enfer où je dois
Faire une seconde réforme.

Je le voudrois, mais je ne puis ;
La justice veut que je souffre
Les misères et les ennuis
Que vomit cet horrible gouffre,
Où je suis mort pour les plaisirs,
Où mes horreurs et mes desirs
Me tiennent toujours dans l’orage,
Où tout bute2 à me désoler,
Où rien ne vient me consoler
Que le désespoir et la rage.

Mes yeux ardans et enfumez
N’aperçoivent que des potences,
Des roües, des feux allumez,
Instruments de mes pénitences.
Les cyclopes de ces fourneaux
Ne mettent l’acier en carreaux3
Qu’afin d’en escraser ma teste ;
Mon esprit s’abisme en des flots
Sur qui le vent de mes sanglots
Fait souslever une tempeste.

Les gesnes qu’on me fait sentir
Emplissent d’horreur ma caverne,
Mes desespoirs font retentir
Toutes les places de l’Alverne,
Les Mores, les Egyptiens,
Les Barbares, les Indiens,
Sont icy sains et sans divorce,
Car tous les maux rongent mes os
Et les demons dessus mon dos
Lassent leur colère et leur force.

Ces antres nourrissent des ours
Qui conspirent mes funerailles,
Et, pour les haster, les vautours
Viennent arracher mes entrailles.
J’envie une seconde mort ;
Mais celuy qui regist mon sort
Avec le fer et la balance
Me fait vivre, et, tout irrité,
Il veut bien que l’éternité
Soit plus courte que ma souffrance.

Ô tourment ! ô rage ! ô fureur !
Ô parents qui me vistes naistre,
Que ne m’arrachiez-vous le cœur
Au moment que je receus l’estre.
Mère qui m’avez enfanté,
Vous m’eussiez alors exempté
Des malheurs sous qui je succombe
Si par le tranchant d’un cousteau
Vous m’eussiez tiré du berceau
Pour me porter dessous la tombe.

Que faisiez-vous dans les deserts,
Tygres, où cherchiez-vous des vivres,
AÏors que mon esprit pervers
Diminuoit les sacrez livres ?
Quand je voulus les effacer,
Et que je les osay placer
Au rang des choses apocriphes,
Vous deviez déchirer mon flanc ;
Ce forfaict de mon propre sang
Devoit estre escrit par vos griffes.

Helas ! si je pouvois trouver
La sortie de ce dedale
Où mon sort me fait reprouver
Tout ce que l’on feint de Tantale,
J’irois vous revoir, ô mortels !
Pour immoler sur vos autels
Mon cœur et mon visage blesme.
Ils brusleroient au lieu d’encens
Et de tout le cours de mes ans
Je ne ferois qu’un seul caresme.

Vous qui recevrez cet escrit
Cherchez desormais les saints temples,
Recognoissez y Jesus-Christ ;
Servez à vos troupeaux d’exemples ;
Embrassez la devotion ;
Quittez vostre religion
Très mal fondée et mal acquise ;
Qu’elle ne soit plus vostre but,
Puisqu’on ne trouve aucun salut
Separé du seing de l’Eglise.




1. Viande alors, comme victus, dont il est le dérivé, se prenoit pour toute espèce de vivres. V., pour divers exemples, L. de Laborde, Glossaire, p. 541.

2. Buter dans le sens de tendre à. Quelquefois on se servoit d’une autre expression dont celle-ci n’est que l’abréviation :

Voilà bien frappé en la butte
Pour les faire tous tourmenter.

(L’Apocalypse saint Jean Zébédée, etc. 1541,
(L’in-fol. goth., feuillet X.)

3. C’est-à-dire en foudres. Les carreaux étoient de grosses flèches à fer carré qui se lançoient avec l’arbalète. Les carreaux du jeu de cartes viennent de là ; comme les piques, ils ont été empruntes aux armes de la chevalerie. On leur a donné la couleur rouge, parceque le trait qu’ils rappellent étoit souvent rougi au feu avant d’être lancé. Le vireton et le matras étoient des projectiles d’une plus grande force encore que les carreaux. V. Études sur le passe et l’avenir de l’artillerie, par Louis-Napoléon Bonaparte, t. 1er, p. 18.