Alphonse Lemerre, éditeur (p. 83-89).


Lettre d’amour


À Charles Le Goffic.




Ah ! sûrement
Vous allez rire.
Je viens d’écrire
À mon amant :

« Beau capitaine
Sans foi ni loi,
Tu cours sans moi
La pretantaine.

« Et cependant,
Joli Bobèche,
On se dessèche
En t’attendant.


« Vrai ! tout m’assomme ;
Je ne veux rien
Que toi, mon chien,
Mon petit homme.

« J’ai pris le deuil.
Adieu toilette !
Je vis seulette,
La larme à l’œil.

« Crois-moi, je t’aime
D’un amour pur ;
Je suis, bien sûr,
Toujours la même. »

Et puis, tenez,
Sera-t-il aise ?
Crac, je le baise
Au bout du nez.

Dieu ! que c’est drôle !
Pauvre chrétien !
Ai-je assez bien
Joué mon rôle ?


C’est trop d’ennui
Qu’il ose dire
Qu’on ne respire
Qu’auprès de lui.

J’aime les hommes
Pour m’en moquer ;
Je veux croquer
Toutes les pommes.

J’aime à changer,
À l’aveuglette,
Et la houlette
Et le berger.

Qui cherche à plaire
Me fait la cour.
Vogue l’amour
Sur la galère !

Quand l’églantier
Rit et verdoie,
Il fait la joie
Du monde entier.


La rose s’ouvre ;
Son cœur naissant
Est au passant
Qui la découvre.

Pauvre cadet !
Tra la la lère…
Quelle colère
S’il m’entendait !

« Morbleu, gredine,
Assez juré ;
Je te tuerai
Avant qu’on dîne.

« Je suis à bout,
Mauvaise bête ! »
C’est la tempête.
Il brise tout.

Mais je ne risque
Pas un cheveu.
Ah ! ah ! Quel jeu !
Et comme il bisque !


Ai-je rempli
Toute la lettre ?
Non, j’y veux mettre
Mon cœur joli,

Mon cœur de blonde,
En bel argent,
Le plus changeant
Qui soit au monde.

Et puis voilà
Toute l’affaire !
Qu’il s’aille faire…
Tra la la la !