Lettre 862, 1680 (Sévigné)

1680

862. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 16e octobre.

Votre lettre me plaît beaucoup ; elle est pourtant trop longue, elle vous a fatiguée ; mais à cela près, elle a bien tenu sa place dans nos tranquilles amusements, et l’auroit bien tenue aussi dans le milieu de Versailles, si j’y étois : il y a de certaines choses que les objets ni les distractions ne peuvent jamais effacer. Vous parlez encore de cette médecine[1] ; il faut que vous ayez eu une extrême nécessité d’un rabat-joie, pour en avoir fait un de ce mot, que je n’avois mis que pour vous dire qu’un remède si doux et si sage ne valoit pas la peine de s’y mettre ; car j’aime l’émotion du polychreste[2], et on l’avoit supprimé, à cause du chaud. Enfin, ma belle, je me porte à merveilles, et me trouve très-bien de mon eau de lin. Vous pouvez m’apprendre bien des choses ; mais je ne recevrai, ni de vous, ni de personne, des leçons pour la confiance et la sincérité dans le commerce de l’amitié : vous voyez bien sur quel ton je le prends. Je serois incapable de vous cacher une incommodité, si je l’avois : je n’aime point à vous tromper ; et vous, ma fille, en usez-vous de même ? me parlez-vous de toute la chaleur que vous avez 1680 dans la poitrine ? J’ai reçu de Montgobert des consolations extrêmes : elle m’a confirmé ce que vous me disiez, et m’a quelquefois redressée ; en sorte que j’ai pris une entière confiance dans ce qu’elle m’a dit. Mais comment peut-elle faire présentement pour ne me pas dire la joie qu’elle doit avoir d’être remise sincèrement avec vous ? J’étois fâchée de vos dispositions pour elle, et des siennes pour vous ; et je vous répondais toujours de son cœur : j’en voyois clairement le fond, et de quoi il étoit couvert et embarrassé ; je connois tant tous ces mélanges. Avouez donc que je ne m’étois pas trompée, et qu’il est impossible de vous aimer médiocrement ; mais que ces retours sont doux, et qu’on a quelquefois de plaisir à pleurer ! je crois que de votre côté vous êtes revenue de toutes vos opinions. Vraiment je suis en colère contre Montgobert de n’avoir pas pensé à moi, dans ce premier moment, pour me faire part de sa joie. Quand j’ai lu l’impossibilité où vous êtes de pouvoir écouter encore Mlle de Grignan sur ses grandes résolutions, les larmes m’en sont venues aux yeux : qu’est-ce donc que cette émotion et ce mouvement du cœur, pour une chose qu’on loue, qu’on approuve, et dont on est bien aise ? son courage touche d’admiration et de tendresse pour elle : on l’admire, on la regarde comme une personne distinguée par des grâces particulières. Dites-moi ce que vous croyez là-dessus, apprenez-moi le plan de votre voyage, et soyez persuadée de toute la joie que j’aurai de vous recevoir ; mais quand j’ai envie de la tempérer, je ne vais pas chercher fort loin ; l’inquiétude que me donne mon fils n’est que trop bien fondée ; et parce que son mal à la tête et ses douleurs continuent malgré la quantité de remèdes qu’il a déjà pris, je lui ai proposé d’aller à Paris, comme à la source de tous les biens et de tous les maux ; il ne l’a jamais voulu, croyant que ce n’étoit rien, et prenant 1680 une grande confiance à cet homme dont je vous ai parlé : je n’ai point de pouvoir sur mes enfants. Le médecin dit qu’il n’a jamais vu un mal comme celui-là ; mais si le caractère de ce mal est tout nouveau, la source où il a été pris doit être bien ancienne. Mon fils se trouve heureux d’être en repos ici ; il s’est promené aujourd’hui ; il joue quelquefois à l’hombre ; nous lisons, nous causons : il me trouve bonne, et par mille raisons je suis ravie de le pouvoir consoler. Il me prie de vous faire bien des amitiés ; il veut toujours vous écrire, et toujours le mal et la douleur l’en empêchent : dès qu’il a un moment de relâche, il est gai et plein d’espérance : je-vous manderai la suite de tout ceci, qui peut-être s’éclaircira tout d’un coup agréablement.

Vous avez toujours notre petit Coulanges ; vous êtes vraiment trop jolie sur votre sac de pommes, au pied d’un figuier, avec un bon panier de figues et de raisins devant vous : cela est admirable, pourvu que votre force réponde à votre courage, et qu’étant foible, vous ne vouliez pas représenter une personne forte. Il est vrai que M. de Coulanges m’a promis de vous épier, de vous observer, et de me dire tout ; mais je trouve que dans sa première lettre il a déjà pris le train de me flatter. Mon fils pâmoit de rire l’autre jour, au travers de toutes ses misères, au sujet de Mlle du Plessis, qui est insupportable de vanité, depuis le mot de vous que je lui ai attiré : Mlle du Plessis donc disoit une impertinence au-dessus de l’ordinaire ; moi, je pris aussi un ton au-dessus de l’ordinaire, et je dis : « Mais que cela est sot ! car je veux vous parler doucement. » Mon fils m’empêcha de continuer ce beau discours ; et c’est dommage, car il promettoit beaucoup : je crois que cela ne vaut rien du tout à écrire ; mais cela se présenta follement à la rate de votre pauvre frère. Adieu ma chère petite.

  1. Lettre 862. — 1. Voyez la lettre du 22 septembre précédent, p. 86.
  2. 2. Polychreste, sel polychreste, espèce de sel purgatif. Ce mot signifie proprement « qui sert à plusieurs usages. »