Lettre 762, 1679 (Sévigné)
1679
762. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE MADAME DE GRIGNAN À MONSIEUR DE POMPONE.
Voilà, Monsieur, une lettre de ma fille ; elle ne peut apaiser son cœur ; elle pense à vous et m’en parle sans cesse ; elle a une si juste idée de ce que vous valez, qu’elle me paroît plus empressée de l’honneur de votre amitié qu’elle ne l’a jamais été : elle croit que l’attention que vous pouvez avoir présentement pour vos amis, la doit rendre plus précieuse ; enfin elle démêle parfaitement M. de Pompone d’avec le ministre.
Je n’ai pas dessein, Monsieur, de vous faire un compliment : je ne l’aurois pas tant retardé, étant plus sensible à ce qui vous arrive que ceux qui se sont pressés ; mais, Monsieur, trouvez bon que je vous demande la continuation de l’honneur de votre amitié, que vous m’avez 1679 jusques à présent si utilement accordée, sous le nom de protection. Comme il n’étoit pas nécessaire d’avoir un grand mérite pour obliger une âme comme la vôtre à faire les grâces dont la fortune vous rendoit dispensateur, et qu’il faut une égalité de mérite que je n’ai pas pour être digne du commerce[2] de votre amitié, je m’adresse encore à votre bonté pour l’obtenir.
Je vous supplie de croire, Monsieur, que de tous les biens que j’en ai reçus, celui que je demande me paroît le plus honorable et le plus précieux. Avec les sentiments que je me trouve pour vous, Monsieur, il m’est difficile de vous plaindre ; il me semble que vous auriez beaucoup perdu si vous aviez cessé d’être M. de Pompone, quand vous avez eu d’autres dignités ; mais de quelle perte ne doit-on pas se consoler, quand on est assuré d’être toujours l’homme du monde dont les vertus et le singulier mérite se font le plus aimer et respecter ?
Monsieur le coadjuteur d’Arles est ici malade, depuis douze jours, de la fièvre continue ; c’est ce qui l’a empêché de se donner l’honneur de vous écrire.
À Aix, ce 9e décembre.
- ↑ Lettre 762 (revue sur l’autographe, pour la partie écrite par Mme de Grignan). — 1. Nous avons vu soit les originaux, soit des copies faites sur les originaux, d’un grand nombre de lettres écrites à Pompone, à l’occasion de sa disgrâce, par des personnages plus ou moins célèbres, par le grand Oondé (billet autographe, 19 novembre), par Mme de la Fayette (21 du même mois), par la maréchale d’Estrées (même date), par la maréchale de Gramont (22), par Mlle de Seudéry (27), par Saint-Évremont (même date), par Barrillon (30), par l’abbé de Rancé (3 décembre), par l’archevêque d’Arles, oncle du comte de Grignan (4 décembre). De ces lettres nous publions ici la première, à cause du grand nom et du haut rang de son auteur, et la dernière comme étant d’un membre de la famille de Grignan ; nous ne la mettons point à sa place dans la Correspondance même, parce que l’original est de la main d’un secrétaire, et seulement signé de l’archevêque.
lettre du prince de condé à m. de pompone.
La nouvelle que je viens de recevoir de l’ordre que le Roi vous a donné me donne une des plus grandes afflictions que j’aie reçues de ma vie : je vous supplie d’en être bien persuadé et de croire que de tous les gens qui vous diront la même chose, il n’y en a pas un qui en soit plus vivement touché que moi, ni qui vous honore plus sincèrement que moi,
Louis de Bourbon.À Chantilly, ce 19e novembre 1679.
lettre de l’archevêque d’arles à m. de pompone.À Salon, ce 4e décembre 1679.- Monsieur,
Je suis obligé par tant de raisons d’entrer dans tous vos intérêts et d’être sensible à tout ce qui vous touche, que vous ne devez pas douter, Monsieur, que je ne prenne très-grande part à votre retraite de la cour. Tous les gens de bien en gémissent ; notre famille en est dans la dernière consternation, et mon déplaisir est très-grand par toutes ces raisons. Je sais bien néanmoins que la fermeté de votre âme et le peu d’attachement que vous aviez à la cour rendront votre éloignement beaucoup plus sensible à vos amis qu’à vous-même, que le regardant d’une vue bien différente à celle des personnes du siècle, vous y trouverez autant de consolation qu’ils y trouvent matière de chagrin et de déplaisir. Quoi qu’il en soit, je vous supplie, Monsieur, d’être bien persuadé de mon attachement en toute sorte de temps et de lieu, et que je serai avec autant de zèle et de respect, retiré dans votre maison, que j’étois dans votre ministère,
- Monsieur,
- Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
L’archevêque d’Arles. - ↑ 2. Les mots du commerce sont écrits au-dessus de la ligne. Les mots je m’adresse encore sont aussi en interligne, au-dessus de mots biffés et illisibles.