Lettre 397, 1675 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 447-449).
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1675

397. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ, DE CORBINELLI, ET DE MADAME DE GRIGNAN AU COMTE DE BUSSY RABUTIN ET À MADEMOISELLE DE BUSSY.

Un mois après que j’eus écrit cette lettre, je reçus celle-ci de Mme de Sévigné.
À Paris, ce 10e mai 1675[1].
de madame de sévigné.

Je pense que je suis folle de ne vous avoir pas encore écrit sur le mariage de ma nièce ; mais je suis en vérité comme folle[2], et c’est la seule bonne raison que j’aie à vous donner. Mon fils s’en va dans trois jours à l’armée, ma fille dans peu d’autres en Provence : il ne faut pas croire qu’avec de telles séparations je puisse conserver ce que j’ai de bon sens. Ayez donc quelque pitié de moi, et croyez qu’au travers de toutes mes tribulations je sens toutes les injustices qu’on vous a faites[3].

J’approuve extrêmement l’alliance de M. de Coligny : c’est un établissement pour ma nièce, qui me paroît solide ; et pour la peinture du cavalier, j’en suis contente sur votre parole. Je vous fais donc mes compliments à tous deux, et quasi à tous trois ; car je m’imagine qu’à présent vous n’êtes pas loin les uns des autres.

Je ne vous parle pas de tout ce qui s’est passé ici depuis un mois : il y auroit beaucoup de choses à dire, et je n’en trouve pas une à écrire[4].

Nous avons perdu le pauvre Chésières en dix jours de maladie. J’en ai été fâchée et pour lui et pour moi ; car j’ai trouvé mauvais qu’une grande santé pût être attaquée et détruite en si peu de temps, sans[5] avoir fait aucun excès, au moins qui nous ait paru.

Adieu, mon cher cousin ; adieu, ma chère nièce.

de corbinelli à bussy.

J’espère que je me trouverai le jour des noces avec vous ; je me fie à mon ami le hasard : en tous cas, ce sera bientôt après. En attendant, je vous dirai qu’il n’y a pas un de vos serviteurs qui en soit plus content que moi. Vous savez si je suis sincère.

de corbinelli à mademoiselle de bussy.

Je vous dis la même chose, Mademoiselle ; je souhaite que vous soyez bientôt Madame, et je ne doute pas que vous ne mêliez alors l’air de gravité, que cette qualité donne, à celui des Rabutins, qui sait se faire aimer et respecter également. Mme de Grignan m’arrache la plume.

de madame de grignan à bussy.

Comme vous n’avez point le malheur de partager le chagrin de mon départ[6], je vous l’annonce sans prendre la précaution de vous envoyer votre confesseur. C’est donc ici un adieu, Monsieur le Comte ; mais un adieu n’est pas rude quand on n’est pas ensemble, et qu’ainsi l’on ne se quitte point[7] : c’est seulement avertir ses amis que l’on change de lieu. Si vous avez besoin de mes services et de l’huile de Provence, je vous en ferai votre provision. Mais ce n’est pas tout ce que je veux vous dire, c’est un compliment que je vous veux faire sur le mariage de Mademoiselle votre fille[8]. Je ne sais pas trop comment il s’en faut démêler, et je ne puis que répéter quelqu’un de ceux qu’on vous aura faits, et dont vous vous êtes déjà moqué. Ce sera donc pour une autre fois ; et si Dieu vous fait la grâce d’être grand-père au bout de l’an, je serai la première à vous dire mille gentillesses, et à elle aussi. En attendant, je vous embrasse tous deux de tout mon cœur.


  1. Lettre 397. — 1. Nous conservons aux lettres 397-400 les dates que leur a données Bussy dans la copie que nous suivons : nous ne pouvons les changer par conjecture ; mais ces dates sont évidemment fausses. Il suffit pour le voir de comparer les introductions entre elles. D’ailleurs dans le no 399, daté du 14, il est question, au dernier paragraphe, d’un fait qui a eu lieu le 24. Le manuscrit de l’Institut assigne aux deux premières de ces lettres des dates différentes, mais qui ne sont pas plus exactes : pour celle-ci, le 10 mai est remplacé par le 12.
  2. 2. « Je pense que je suis folle de ne vous avoir pas encore écrit sur le mariage de ma nièce de Bussy ; en vérité je le suis, et c’est, etc. » (Manuscrit de l’Institut.)
  3. 3. « Tous les maux que vous souffrez. » (Ibidem.)
  4. 4. Cet alinéa manque dans le manuscrit de l’Institut. — Mme de Scudéry, plus hardie ou moins discrète que Mme de Sévigné, n’avait pas laissé ignorer au comte de Bussy ce qui s’était passé. Voici ce qu’elle lui écrivait le 16 avril 1675 : « Le Roi et Mme de Montespan se sont quittés, dit-on, s’aimant plus que leur vie, purement par un principe de religion. On dit qu’elle retournera à la cour sans être logée au château, et sans voir jamais le Roi que chez la Reine. J’en doute, ou que cela puisse durer ainsi, car il y auroit grand danger que l’amour ne reprît le dessus. » s Voyez la note 5 de la lettre suivante.
  5. 5. La suite, depuis : « sans avoir tait, » jusqu’à la lettre de Mme de Grignan, a été omise dans le manuscrit de l’Institut.
  6. 6. « De partager le chagrin de mon départ avec personne. » (Manuscrit de l’Institut.)
  7. 7. « N’est pas rude quand on ne se quitte point. » (Ibidem.) — À la ligne suivante : « qu’on va changer de lieu ; » et un peu plus loin : « de mon service, » pour : « de mes services. »
  8. 8. « Mais tout ceci n’est pas ce que je vous veux dire ; c’est un compliment sur le mariage de Mlle de Bussy. » (Ibidem.)