Lettre 302, 1672 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 160-162).
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1672

302. — DE MADAME DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ ET À MADAME DE GRIGNAN.

Lyon, le 1er août.

J’ai reçu vos deux lettres, ma belle, et je vous rends mille grâces d’avoir songé à moi dans le lieu où vous êtes. Il fait un chaud mortel ; je n’ai d’espérance qu’en sa violence[1]. Je meurs d’envie d’aller à Grignan ; ce mois-ci passé, il n’y faudra pas songer ; ainsi je vous irai voir assurément, s’il est possible que je puisse arriver en vie ; au retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le marquis de Villeroi passe sa vie à regretter le malheur qui l’a empêché de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[2]. Je m’y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mère : dans l’espérance d’aller à Grignan, je fais mon devoir à merveilles ; cela m’adoucit l’esprit. Mais quel changement ! vous souvient-il de la figure que Mme Solus[3] faisoit dans le temps que vous étiez ici ? Elle a fait imprudemment ses délices de Mme Carle ; celle-ci avoit, dit-on, ses desseins ; pour moi, je n’en crois rien ; cependant c’est le bruit de Lyon ; en un mot, c’est de Mme Carle que Monsieur le Marquis[4] paroît amoureux. Mme Solus se désespère ; mais elle aime mieux voir Monsieur le Marquis infidèle que de ne le point voir. Cela fait croire qu’elle ne prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous paroît-elle avoir la grâce de la nouveauté ? Continuez à m’écrire, ma très-belle : vos lettres me touchent le cœur. Mme de Rochebonne est toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que Mme de Grignan eût été malade ; si c’est une maladie sans suite, sa beauté n’en souffrira pas longtemps. Vous savez l’intérêt que je prends à tout ce qui pourroit cet hiver vous empêcher l’une et l’autre de revenir de bonne heure.

Adieu, ma très-chère amie ; j’oubliois de vous dire que le marquis de Villeroi se propose d’aller à Grignan avec votre ami le comte de Rochebonne. Je vous suis très-obligée de vouloir bien de moi. Il y a peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vite dans votre château. Mon impatience, quoique violente, dure toujours. Cela me fait craindre pour le chaud : il doit être insupportable, puisque je ne m’y expose pas. La rapidité du Rhône convient à l’envie que j’ai de vous embrasser.


Ainsi, Madame[5], je ne désespère point du tout de vous aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me point dire : « Allez, allez, vous êtes une laide ; » cela me suffit. J’ai peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur[6]. Vos manières m’ont toujours paru différentes de celles de Mme de Solus. Vous savez bien que l’on dit à Paris que Vardes et lui se sont rencontrés, devinez où ?


  1. Lettre 302. — 1. Selon le proverbe, que ce qui est violent ne dure pas. (Note de l’édition de 1751.)
  2. 2. Place publique de la ville de Lyon. (Note de la même édition.)
  3. 3. On voit par les chansons du temps que son mari était un homme de finance.
  4. 4. Le marquis de Villeroi.
  5. 5. La fin de la lettre s’adresse à Mme de Grignan : voyez les lettres suivantes de Mme de Coulanges.
  6. 6. C’est le duc de Villeroi qui était gouverneur de Lyon ; mais, comme nous l’avons dit, son fils le marquis l’était en survivance. Voyez tome II, p. 471, note 13, et Walckenaer, tome IV, p. 224, 225.