Lettre 263, 1672 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 14-16).
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1672

263. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 8e avril.

La guerre est déclarée[1], ma bonne, on ne parle que de partir. Canaples[2] a demandé permission au Roi d’aller servir dans l’armée du roi d’Angleterre ; et en effet il est parti malcontent de n’avoir point eu de l’emploi en France. Le maréchal du Plessis ne quittera point Paris : il est bourgeois et chanoine ; il met à couvert tous ses lauriers, et jugera des coups : je ne trouve pas son personnage mauvais, ayant une si belle et si grande réputation. Il dit au Roi, qu’il portoit envie à ses enfants qui avoient l’honneur de servir Sa Majesté ; que pour lui il souhaitoit la mort, puisqu’il n’étoit plus bon à rien. Le Roi l’embrassa, et lui dit : « Monsieur le maréchal, on ne travaille que pour approcher de la réputation que vous avez acquise ; il est agréable de se reposer après tant de victoires[3]. » En effet, je le trouve heureux de ne point remettre au caprice de la fortune ce qu’il a acquis pendant toute sa vie.

Le maréchal de Bellefonds est à la Trappe pour la semaine sainte ; mais, avant que de partir, il parla fort fièrement à M. de Louvois, qui vouloit faire quelque retranchement sur sa charge de général sous Monsieur le Prince : il fit juger l’affaire par Sa Majesté, et l’emporta comme un galant homme.

M. et Mme de Chaulnes s’en vont en Bretagne : les gouverneurs n’ont point d’autre place présentement que leur gouvernement. Nous allons voir une rude guerre ; j’en suis dans une inquiétude épouvantable. Votre frère me tient au cœur ; nous sommes très-bien ensemble ; il m’aime, et ne songe qu’à me plaire : je suis aussi une vraie marâtre pour lui, et ne suis occupée que de ses affaires. J’aurois grand tort si je me plaignois de vous deux : vous êtes en vérité trop jolis, chacun en votre espèce. Voilà, ma très-belle, tout ce que vous aurez de moi aujourd’hui. J’avois ce matin un Provençal, un Breton, un Bourguignon à ma toilette.

La Reine m’attaque toujours sur vos enfants, et sur mon voyage de Provence, et trouve mauvais que votre fils vous ressemble, et votre fille à son père ; je lui réponds toujours la même chose. Mme Colbert me parle souvent de votre beauté ; mais qui ne m’en parle point ? Ma fille, savez-vous bien qu’il faut un peu revenir voir tout ceci ? Je vous en faciliterai les moyens d’une manière qui vous ôtera de toutes sortes d’embarras. J’ai parlé d’un premier président à M. de Pompone ; il n’y voit encore goutte ; il croit pourtant que ce sera un étranger ; j’y ai consenti[4].

Ma tante est si mal que je ne crois pas qu’elle retarde mon voyage. Elle étouffe, elle enfle, il n’y a pas moyen de la voir sans être fortement touchée : je le suis, et le serai beaucoup de la perdre. Vous savez comme je l’ai toujours aimée : ce m’eût été une grande joie de la laisser dans l’espérance d’une guérison qui nous l’auroit rendue encore pour quelque temps. Je vous manderai la suite de cette triste et douloureuse maladie.


  1. Lettre 263. — 1. Elle l’avait été la veille par une ordonnance du Roi. Voyez la Gazette du 9 avril.
  2. 9. Voyez tome II, p. 492, note 8.
  3. 3. Le maréchal du Plessis Praslin avait eu grande part à la prise de la Rochelle en 1628 ; il se distingua dans les guerres du Piémont et de la Catalogne, commanda l’armée du Roi pendant la guerre de la Fronde, et sauva la cour en battant, à Rhétel, Turenne qui marchait sur Paris pour délivrer les princes. Voyez tome II, p. 394, note 5.
  4. 4. Voyez la lettre du 30 mars précédent (tome II, p. 545), et les lettres des 10 et 13 novembre 1673.