Lettre 256, 1672 (Sévigné)

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1672

256. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 11e mars.

J’ai entrepris de vous écrire aujourd’hui la plus petite lettre du monde : nous verrons. Ce qui rend celles du mercredi un peu infinies, c’est que je reçois le lundi une de vos lettres ; j’y fais un commencement de réponse à la chaude ; le mardi, s’il y a quelque affaire ou quelque nouvelle, je reprends ma lettre, et je vous mande ce que j’en sais ; le mercredi, je reçois encore une lettre de vous ; j’y fais réponse, et je finis par là : vous voyez bien que cela compose un volume. Quelquefois même il arrive une singulière chose : c’est qu’oubliant ce que je vous ai mandé au commencement de ma lettre, j’y reviens encore à la fin, parce que je ne relis ma lettre qu’après qu’elle est faite ; et quand je m’aperçois de ces répétitions, je fais une grimace épouvantable ; mais il n’en est autre chose, car il est tard : je ne sais point raccommoder, et je fais mon paquet. Je vous mande cela une fois pour toutes, afin que vous excusiez cette radoterie.

Mlle de Méri vous envoie les plus jolis souliers du monde ; j’en ai remarqué surtout une paire qui me paroît si mignonne, que je la crois propre à garder le lit : vous souvient-il combien cette folie vous fit rire un soir ? Au reste, ma fille, ne vous avisez point de me remercier pour toutes mes bonnes intentions, pour tous les riens que je vous donne. Songez au principe qui me fait agir : on ne remercie point d’être aimée passionnément ; votre cœur vous apprendra d’autres sortes de reconnoissances. J’ai vu le chevalier et l’abbé de Valbelle[1]. Je suis Provençale, je l’avoue ; les Bretons en sont jaloux. Adieu, ma très-aimable ; il me semble que vous savez combien je suis à vous : c’est pourquoi je ne vous en dirai rien ; aussi bien j’ai résolu de ne pas faire une grande lettre : si pourtant ie savois quelque chose de réjouissant, je vous le manderois assurément ; car je ne m’amuserois pas à soutenir cette sotte gageure.


  1. Lettre 256. — 1. Sans doute celui qui a signé au contrat du 27 janvier 1669, de la part du comte de Grignan. Voyez la Notice, p. 329. Voyez aussi la lettre du 17 juillet 1680.