Lettre 175, 1671 (Sévigné)

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175. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 14e juin.

Je comptois recevoir vendredi deux de vos lettres à la fois ; et comment se peut-il que je n’en aie seulement pas une ? Ah ! ma fille, de quelque endroit que vienne ce retardement, je ne puis vous dire ce qu’il me fait souffrir. J’ai mal dormi ces deux nuits passées ; j’ai renvoyé deux fois à Vitré, pour chercher à m’amuser de quelque espérance ; mais c’est inutilement. Je vois par là que mon repos est entièrement attaché à la douceur de recevoir de vos nouvelles. Me voilà insensiblement tombée dans la radoterie de Chésières[1] : je comprends sa peine si elle est comme la mienne, je sens ses douleurs de n’avoir pas reçu cette lettre du 27e : on n’est pas heureux quand on est comme lui ; Dieu me préserve de son état ; et vous, ma fille, préservez-m’en sur toutes choses. Adieu, je suis chagrine, je suis de mauvaise compagnie ; quand j’aurai reçu de vos lettres, la parole me reviendra. Quand on se couche, on a des pensées qui ne sont que gris-brun, comme dit M. de la Rochefoucauld ; et la nuit elles deviennent tout à fait noires : je sais qu’en dire.


  1. Lettre 175. — 1. Louis de Coulanges, seigneur de Chésières, oncle de Mme de Sévigné. Voyez la Notice, p. 145.