Lettre 152, 1671 (Sévigné)

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152. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE MADAME DE LA TROCHE À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce samedi 4e avril.
de madame de sévigné.

Je vous mandai l’autre jour[1] la coiffure de Mme de Nevers, et dans quel excès la Martin avoit poussé cette mode ; mais il y a une certaine médiocrité qui m’a charmée, et qu’il faut vous apprendre, afin que vous ne vous amusiez plus à faire cent petites boucles sur vos oreilles, qui sont défrisées en un moment, qui siéent mal, et qui ne sont non plus à la mode présentement, que la coiffure de la reine Catherine de Médicis. Je vis hier la duchesse de Sully et la comtesse de Guiche[2] ; leurs têtes sont charmantes : je suis rendue. Cette coiffure est faite justement pour votre visage ; vous serez comme un ange, et cela est fait en un moment. Tout ce qui me fait de la peine, c’est que cette fontaine de la tête[3] découverte me fait craindre pour les dents. Voici ce que Trochanire[4] qui vient de Saint-Germain, et moi, allons vous faire entendre si nous pouvons. Imaginez-vous une tête blonde partagée à la paysanne jusqu’à deux doigts du bourrelet : on coupe ses cheveux de chaque côté, d’étage en étage, dont on fait de grosses boucles rondes et négligées, qui ne viennent point plus bas qu’un doigt au-dessous de l’oreille ; cela fait quelque chose de fort jeune et de fort joli, et comme deux gros bouquets de cheveux de chaque côté. Il ne faut pas couper les cheveux trop court ; car comme il faut les friser naturellement, les boucles qui en emportent beaucoup ont attrapé plusieurs dames, dont l’exemple doit faire trembler les autres. On met les rubans comme à l’ordinaire, et une grosse boucle nouée entre le bourrelet et la coiffure ; quelquefois on la laisse traîner jusque sur la gorge. Je ne sais si nous vous avons bien représenté cette mode[5] ;

je ferai coiffer une poupée pour vous envoyer ; et puis, au bout de tout cela, je meurs de peur que vous ne daigniez point prendre toute cette peine, et que vous ne mettiez une coiffe jaune comme une petite chère[6]. Ce qui est vrai, c’est que la coiffure que fait Montgobert n’est plus supportable. Du reste, consultez votre paresse et vos dents ; mais ne m’empêchez pas de souhaiter de pouvoir vous voir coiffée ici comme les autres. Je vous vois, vous me paroissez, et cette coiffure est faite pour vous ; mais qu’elle est ridicule à de certaines dames, dont l’âge ou la beauté ne conviennent pas !

de madame de la troche.

Madame de Sévigné a voulu avoir l’avantage de vous décrire cette coiffure ; mais, ma belle, c’est moi qui lui ai dicté. Madame, vous serez ravissante ; tout ce que je crains, c’est que vous ayez regret à vos cheveux. Pour vous fortifier, je vous apprends que la Reine, et tout ce qu’il y a de filles et de femmes qui se coiffent à Saint-Germain, achevèrent de se les faire couper hier par la Vienne[7] ; car c’est lui et Mlle de la Borde qui ont fait

toutes les exécutions. Mme de Crussol[8] vint lundi à Saint-Germain, coiffée à la mode ; elle alla au coucher de la Reine, et lui dit : « Madame, Votre Majesté a donc pris notre coiffure ? — Votre coiffure, Madame ? lui répliqua la Reine. Je vous assure que je ne veux point prendre votre coiffure ; je me suis fait couper les cheveux, parce que le Roi les trouve mieux ainsi, mais ce n’est point pour prendre votre coiffure. » On fut un peu surpris du ton avec lequel la Reine lui répondit. Mais regardez un peu aussi où elle alloit prendre que c’étoit sa coiffure, parce que c’est celle de Mme de Montespan, de Mme de Nevers, et de la petite de Thianges[9], et de deux ou trois autres beautés charmantes qui l’ont hasardée les premières. Je vous ai vue vingt fois prête à l’inventer ; cela me fait croire que vous n’aurez point de peine à comprendre ce que nous vous en écrivons. Mme de Soubise[10], qui craint pour ses dents, parce qu’elle a déjà été une fois attrapée aux coiffures à la paysanne, ne s’est point fait couper les cheveux : et Mlle de la Borde lui a fait une coiffure qui est tout aussi bien que les autres par les côtés ; mais le dessus de sa tête n’a garde d’être galant, comme celles dont on voit la racine des cheveux. Enfin, ma pauvre Madame, il n’est point question d’autre chose à Saint-Germain ; moi, qui ne me veux point faire couper les cheveux, je suis ennuyée à la mort d’en entendre parler.

de madame de sévigné.

Cette lettre est écrite hors d’œuvre chez Trochanire. La Comtesse[11] vous embrasse mille fois ; le Comte[12], que j’ai vu tantôt, en voudroit bien faire autant : je lui ai dit votre souvenir, et je le dirai à tous ceux que je trouverai en mon chemin.

Après tout, nous ne vous conseillons point de faire couper vos beaux cheveux ; et pour qui ? bon Dieu ! Cette mode durera peu ; elle est mortelle pour les dents. Taponnez-vous seulement par grosses boucles, comme vous faites quelquefois ; car les petites boucles rangées de Montgobert sont justement du temps du roi Guillemot[13].



  1. Lettre 152 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez plus haut la lettre 146, p. 117.
  2. 2. Elles étaient belles-sœurs. La première, Marie-Antoinette Servien, fille d’Abel, avait épousé le 1er octobre 1658 Maximilien-Pierre François de Béthune, duc de Sully à la mort de son père (1661). Veuve en juin 1694, elle mourut le 26 janvier 1702. Elle avait figuré avec Mlle de Sévigné dans les ballets royaux. Voyez la Notice, p. 98, et la lettre du 29 septembre 1680. Il sera souvent question d’elle et de son mari. — L’autre, sœur du duc de Sully (voyez la note 1 de la lettre 132), était Marguerite-Louise-Suzanne de Béthune, femme, à treize ans (le 23 janvier 1658), « de ce galant comte de Guiche, fils aîné du maréchal de Gramont, qui a fait en son temps tant de bruit dans le monde, et qui fit fort peu de cas d’elle… Elle étoit encore fort belle et toujours sage, sans aucun esprit que celui que donne l’usage du grand monde et le desir de plaire. » Elle devint veuve du comte de Guiche en novembre 1673. Elle se remaria, « par inclination réciproque, » au duc du Lude, le grand maître (1681), qu’elle perdit en 1685, et mourut à quatre-vingt-trois ans, le 25 janvier 1726. Elle fut dame du palais de la Reine, et en 1696 dame d’honneur de la duchesse de Bourgogne. Voyez Saint-Simon, tome I, p. 352 et suivantes.
  3. 3. La fontaine de la tête est, comme l’on sait, cet endroit au haut de la tête où aboutissent les sutures. Les éditeurs, dès 1726, avaient ainsi modifié cette phrase : « C’est que cette mode qui laisse la tête découverte me fait craindre pour les dents. »
  4. 4. Mme de la Troche.
  5. 5. Voici de cette coiffure une description encore plus précise : « Je me fis couper les cheveux pour être mieux coiffé. J’en avois prodigieusement ; il en falloit beaucoup en ce temps-là, quand on ne vouloit rien emprunter. On portoit sur le front de petites boucles, de grosses aux deux côtés du visage, et tout autour de la tête un gros bourrelet de cheveux cordonné avec des rubans ou des perles, qui en avoit. » (Histoire de la comtesse des Barres par l’abbé de Choisy, p. 12-14, citée par Walckenaer, tome IV, p. 380.)
  6. 6. Une précieuse, jeune au temps de l’hôtel de Rambouillet, une petite femme sur le retour. Ce terme d’amitié (le mot chère), que les précieuses se prodiguaient entre elles, avait bientôt servi à les désigner elles-mêmes.
  7. 7. La Vienne, baigneur à la mode, était devenu celui du Roi, et plus tard l’un de ses quatre premiers valets de chambre. Le Roi aimait sa franchise, lui parlait souvent, et savait par lui des choses que personne n’aurait osé lui dire. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 275, et la note 2 de la lettre 29.
  8. 8. Julie-Françoise de Sainte-Maure, fille unique du duc de Montausier et de Julie d’Angennes ; mariée le 16 mars 1664 à Emmanuel comte de Crussol, duc d’Uzès en 1680. Elle fut dame du palais l’année suivante (1672). Elle mourut à l’âge de quarante-huit ans, le 14 avril 1695 ; elle était veuve depuis 1692.
  9. 9. Louise-Adélaïde de Damas, fille du marquis de Thianges, sœur cadette de la duchesse de Nevers, et nièce de Mme de Montespan, mariée au duc de Sforce en novembre 1677. Voyez la lettre du 15 octobre 1677. « Elle n’avoit que de la blancheur, d’assez beaux yeux, et un nez tombant dans une bouche fort vermeille, qui fit dire à M. de Vendôme qu’elle ressembloit à un perroquet qui mange une cerise. » (Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 403.)
  10. 10. Anne, dame de Soubise, fille de Henri Chabot, duc de Rohan, et de Marguerite, duchesse de Rohan ; seconde femme, le 16 octobre 1663, de François de Rohan (qui devint prince de Soubise), fils puîné d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de la fameuse Marie de Bretagne. Elle fut nommée, en janvier 1674, dame du palais de la Reine, et mourut quelques années avant son mari, le 14 février 1709, à soixante et un ans. Sur sa beauté, sa liaison secrète avec le Roi et sa fortune, voyez la lettre du 19 août 1676, et les Mémoires de Saint-Simon, tome II, p. 156 et suivantes, tome VII, p. 60 et suivantes.
  11. 11. La comtesse de Fiesque.
  12. 12. Probablement le petit Bon. Voyez la note 13 de la lettre 119.
  13. 13. C’est sans doute le même qui est appelé le roi Guillot dans la Comédie des Proverbes (acte II, scène iii). Quel est le personnage historique caché sous ce dicton proverbial ?