Lettre *740, 1679 (Sévigné)
1679
*740. DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.
Quand elle n’a point le sang en furie et brûlé à l’excès, elle n’a point cette colique : ainsi, quelque naturelle qu’elle soit, quand elle a des douleurs, il faut tout craindre, puisque c’est de ce sang que viennent tous ses maux. Elle est arrivée à Grignan après des fatigues encore : ils eurent le vent contraire sur le Rhône, vous n’en doutez pas ; ils couchèrent dans un pouillier[1] où il fallut 1679 encore se remettre sur la paille ; mais elle a pris Pauline à Valence en passant. Savez-vous le mérite de Pauline ? Pauline est une personne admirable ; elle n’est pas si belle que la Beauté, mais elle a des manières : c’est une petite fille à manger. Elle me mande qu’elle craint de s’y attacher, et qu’elle me la souhaiteroit, sans qu’elle est assurée qu’elle lui couperoit l’herbe sous le pied. Je suis fort aise qu’elle ait cet amusement. Elle me dit qu’elle se porte bien, mais je n’en crois rien du tout, et personne ne m’écrit qu’elle. Montgobert a eu le courage de s’embarquer sur le Rhône avec la fièvre continue. J’estime bien le courage et l’affection de cette fille. Voilà bien parlé[2], Dieu merci, de ce qui me tient au cœur ; cela n’est guère honnête, mon cher Monsieur. Je crains que Mme de Guitaut ne se moque de moi ; elle auroit raison. Je lui fais mille excuses de cette impolitesse, et je l’embrasse de tout mon cœur avec sa permission.
Vous ferez très-bien et très-sagement et très-politiquement de ne rien réveiller[3] de tout ce que vous savez à M. de Caumartin[4] ; je ne m’en soucie point du tout.
J’ai voulu vous parler à cœur ouvert, je l’ai fait, je suis contente ; il me semble que vous aimez assez ma naïveté. Nous avons la bride sur le cou présentement ; car du temps de notre impénétrable ami[5], nous n’eussions jamais osé. Venez, venez dans la chambre de ma fille, nous en dirons bien d’autres. Notre bon abbé vous assure de ses services ; il se porte parfaitement bien : cet Anglois lui a encore guéri un gros rhume qui lui étoit resté, aussi bien que sa fièvre. Son heure n’étoit pas marquée, et les autres l’étoient : voilà tout ce qu’on peut dire.
Suscription : À Monsieur Monsieur le comte de Guitault, chevalier des ordres du Roi, à Époisse, à Semur. À gauche de l’adresse, au coin supérieur, on lit : Semur en Auxois.
- ↑ Lettre 740 (revue sur l’autographe). — 1. Méchante auberge, sale maison, taudis ; le mot se retrouve dans la lettre du 23 octobre 1680, et au tome VI de Tallemant des Réaux, p. 354.
- ↑ 2. C’est ainsi que le mot est écrit dans l’autographe.
- ↑ 3. L’original porte réveiller, et non, comme on l’a imprimé, révéler.
- ↑ 4. Beau-frère de Mme de Guitaut.
- ↑ 5. D’Hacqueville ? Il était mort le 31 juillet de l’année précédente.