Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/PALLADIO

Andrea PALLADIO
Architecte, né à Vicence, le 30 novembre 1508,
mort à Vicence le 19 août 1580

Entre tous les artistes originaires de Vicence, le mérite d’être hautement loué revient à Andrea Palladio, architecte, qui est un homme d’un génie rare et de grand jugement, comme le montrent quantité d’œuvres faites dans sa patrie, et ailleurs. En particulier, le bâtiment du Palais communal, qui est très loué et présente deux portiques d’ordre dorique, composé de colonnes admirables[1]. Il a élevé un palais fort beau et grand, au delà de toute croyance, pour le comte Ottavio de’ Vieri[2], avec des ornements aussi riches que nombreux ; un autre semblable pour le comte Giuseppe di Porto, qui ne saurait être ni plus magnifique, ni plus beau, ni plus digne d’un grand prince ; un autre, encore en construction sous sa direction, pour le comte Valerio Chiericati, très semblable pour la grandeur et la majesté aux anciennes constructions si louées. Pareillement, pour les comtes de Valmorana, il a presque entièrement terminé un autre palais superbe, qui ne le cède en rien cà ceux précités. Dans la même ville, sur la place dite vulgairement l’Isola, il a fait une autre construction magnifique pour le seigneur Valerio Chiericati[3]. et à Pogliana, villa du Vicentin, une admirable maison, pour le seigneur Bonifazio Pogliana, chevalier. Dans le même pays vicentin, à Finale, une autre construction, pour Messer Biagio Saraceni ; une à Bagnolo, pour le seigneur Vittore Pisani, avec une riche et grande cour, d’ordre dorique, ayant d’admirables colonnes. Près de Vicence, dans la villa de Lisiera, pour le seigneur Giovan Francesco Valmorana, un riche édifice, avec des tours aux quatre coins, admirables ci regarder. À Meledo, il a commencé, pour le comte Francesco Trissino, et pour son frère, Lodovico, un magnifique palais, sur une colline très élevée, avec une grande disposition de loges, d’escaliers et d’autres commodités, voulues pour une maison de campagne. À Campiglia, toujours sur le territoire vicentin, il a fait, pour le seigneur Mario Rapetta, une habitation semblable, avec tant de commodités, de riches appartements, avec des chambres, des loges, des cours et des locaux destinés à divers usages, qu’elle sera, une fois terminée, plus propre à loger un roi qu’un gentilhomme[4].

À Lunedo, il a fait une autre villa, pour le comte Jacopo Angarano, qui est vraiment très belle, bien qu’elle paraisse une bagatelle au grand esprit de ce seigneur. À Quinto, près de Vicence, il n’y a pas longtemps, il construisit un autre palais, pour le comte Marc Antonio Tiene, qui a une grandeur, et une magnificence que je ne saurais dire.

En somme Palladio a fait tant et de si belles constructions à l’intérieur et à l’extérieur de Vicence, qu’à elles seules, elles suffiraient à rendre une ville célèbre entre toutes, et une contrée des plus ornées.

À Venise, le même Palladio a commencé plusieurs constructions ; une surtout est merveilleuse et remarquable, en imitation des habitations que les anciens avaient coutume d’élever. Elle est dans le monastère della Carità[5].

Pour les moines noirs de Saint-Benoît, il a construit un grand et beau réfectoire, précédé d’un vestibule, dans leur monastère de San Giorgio Maggiore de Venise. Il a commencé à édifier la nouvelle église avec un si bel ordre, d’après ce qu’en montre le modèle que, si on la termine, elle sera une œuvre extraordinaire. Il a, en outre, commencé la façade de l’église San Francesco della Vigna[6], que fait construire, en pierres d’Istrie, le révérend Grimani, patriarche d’Aquilée, avec une dépense extraordinaire. Les colonnes, d’ordre corinthien, sont larges de quatre palmes et hautes de quarante ; on a déjà muré tout le soubassement. Alle Gambaraie, à sept milles de Venise, sur le cours de la Brenta, il a construit une habitation très commode pour Messer Niccolo et Messer Luigi Foscari, gentilshommes vénitiens, une autre à Marocco, près de Mestre, pour le chevalier Mocenigo : à Piombino, une pour Messer Giovanni Cornaro ; une à Montagnara, pour le magnifique Messer Francesco Pisani ; à Cicogna, pays padouan, une pour le comte Adovardo da Tiene, gentilhomme vicentin ; à Udine du Frioul, une pour le seigneur Floriano Antonini ; à la Motta, château du Frioul, une pour le magnifique Messer Marco Zeno, avec une belle cour et des portiques tout autour ; à la Fratta, château de la Polesine, une grande bâtisse pour le seigneur Francesco Badoaro, avec de belles loges très originales. Pareillement, près d’Asolo, château du pays trévisan, il a construit une habitation très commode, pour le révérend seigneur Daniello Barbaro, patriarche d’Aquilée, qui a écrit sur Vitruve et pour le célèbre Messer Marcantonio, son frère, avec une si belle disposition qu’on ne saurait imaginer mieux[7]. Entre autres choses, il y a fait une fontaine très ressemblante à celle que le pape Jules fit faire à Rome, dans sa vigne, avec des ornements en stucs et en peintures, sur toute la surface et dus à des maîtres excellents.

À Gênes, Messer Lucca Giustiniano a fait élever, sur les dessins de Palladio, une bâtisse que l’on regarde comme aussi belle que celles susdites, dont il serait trop long de décrire toutes les particularités, en tant que capricieuses et belles inventions. D’ailleurs il va paraître un livre de Palladio, dans lequel seront représentés deux livres d’édifices antiques, et un de ceux qu’il a fait construire lui-même[8] ; aussi je ne dirai rien d’autre sur lui. Que cela suffise pour le faire connaître comme un excellent architecte ; c’est ainsi que l’estiment tous ceux qui voient ses œuvres admirables. Étant encore jeune, et poussant continuellement ses études sur l’art, on peut espérer de lui des œuvres de plus en plus belles. Je ne passerai pas sous silence qu’à tant de talent, il joint une nature si affable et si avenante qu’elle le rend aimable pour chacun ; aussi a-t-il mérité d’être agréé au nombre des Académiciens florentins[9], en même temps que Danese, Giuseppe Salviati, le Tintoretto et Batista Farinato de Vérone[10].



  1. Le premier dorique, le 2e ionique.
  2. Palais de Tiene.
  3. Fait double emploi.
  4. Détruite par un incendie.
  5. Il fut brûlé et il n’en reste qu’un côté du cloître.
  6. Commencée en 1534 sur les dessins de Sansovino.
  7. Villa Maser (fresques de Veronése et ornements de Vittoria).
  8. Première édition à Venise, chez Domenico de Franceschi, 1570.
  9. En octobre 1566.
  10. Vasari aurait pu faire mention des nombreux et magnifiques monuments que Palladio a construits à Vicence, et dont la plupart existent encore.