Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Description des Œuvres de Francesco PRIMATICCIO, de Bologne

Description des Œuvres
de Francesco PRIMATICCIO, de Bologne
Peintre et architecte, né en 1504, mort en 1570


[Dans la première édition, en 1551, Vasari terminait son livre par la Vie de Michel-Ange, qu’il conduisait jusqu’à cette date. Lorsque après la mort de Michel-Ange, survenue en 1564, il se décida à faire une deuxième édition (dont le premier volume parut en 1565), il avait l’intention, comme il le dit expressément au début de cette Vie, de donner la Description des Œuvres de quelques artistes vivants. C’est ce qui explique le tiire modifié des vies de Primaticcio et de Titien. Remarquons toutefois que le troisième artiste, signalé comme encore vivant, à savoir Jacopo Sansovino, mourut en 1570, et que Vasari mentionne sa mort, comme on le verra dans la Vie de ce dernier, alors qu’il ne le fait pas pour Primaticcio, mort la même année. Cela provient de ce que dans son édition de 1568, Vasari n’avait conduit la Vie de Sansovino que jusqu’à cette date. Il la publia ensuite séparément La Vie de Michel-Ange a été rejetée à la fin de ce livre, conformément à la première édition.]

Ayant jusqu’à présent parlé de nos artistes qui ne sont plus vivants c’est-à-dire de ceux qui ont vécu de l’an 1200 jusqu’à cette année 1567 et ayant fini par Michel-Ange Buonarroti, que j’ai mis tout à la fin pou beaucoup de raisons, je crois devoir faire mention, dans ce livre, d plusieurs nobles maîtres vivants : c’est un honneur dont ils sont bie dignes à coup sûr, et je le ferai d’autant plus volontiers que tous son mes amis et presque mes frères. Les trois principaux d’entre eux d’ailleurs, sont parvenus à l’extrême vieillesse, en sorte que l’on ne peu guère s’attendre à les voir augmenter le nombre de leurs productions bien que, par une espèce d’habitude, ils travaillent encore un peu : ce sont Francesco Primaticcio, Titien, et Jacopo Sansovino.

Francesco, étant né à Bologne[1], de la noble famille des Primaticci, fut destiné, dans son enfance, au commerce. Mais cette profession lui plaisant peu, et comme il était doué d’une intelligence peu commune et d’un esprit élevé, il se mit à pratiquer le dessin, vers lequel il se sentait poussé par la nature. Dessinant ainsi et peignant quelquefois, il ne tarda pas à donner des preuves de sa réussite future. Étant allé ensuite à Mantoue, où Jules Romain travaillait alors à la décoration du palais du T, pour le duc Federigo, il réussit à se faire mettre parmi les auxiliaires de celui-ci[2]. Après avoir étudié assidûment pendant six ans, il se trouva avoir appris parfaitement la pratique des couleurs et le stuquage ; aussi passait-il, et avec raison, pour le plus habile de tous les jeunes gens qui travaillaient avec lui. Les peintures qu’il fit d’après les dessins de Jules Romain, et ses autres ouvrages le mirent en si haute faveur auprès du duc de Mantoue, que le roi François Ier de France, ayant appris la richesse de la décoration de ce palais, et ayant écrit pour qu’on lui envoyât un jeune homme qui fût à la fois peintre et stucateur, le duc lui adressa Francesco Primaticcio, l’an 1531[3]. Bien que, l’année précédente, le Rosso, peintre florentin, fût entré au service du même roi, et ait peint pour lui plusieurs œuvres, entre autres, les tableaux de Bacchus et de Vénus, de Psyché et de Cupidon, néanmoins les premiers stucs que l’on fit en France, et les premières peintures à fresque de quelque importance, sont dus, dit-on, au Primaticcio, qui décora de cette façon, pour François Ier, plusieurs appartements, diverses salles et galeries. Le roi, à qui plaisaient sa manière et ses procédés en toute chose, l’envoya, l’an 1540, à Rome, pour tâcher de lui procurer quelques marbres antiques ; le Primaticcio s’acquitta de sa mission avec un tel zèle, qu’il rassembla et acheta promptement cent vingt-cinq morceaux, tant bustes que torses ou figures. Il fit aussi mouler par Jacopo Barozzi de Vignola et par d’autres artistes, le Cheval de bronze du Capitole, quantité de bas-reliefs de la colonne Trajane, le Commode, la Vénus, le Laocoon, le Tibre, le Nil et la Cléopâtre, qui sont au Belvédère, pour les faire couler ensuite en bronze/ref>Ces bronzes sont actuellement au Louvre.</ref>. Sur ces entrefaites, le Rosso étant mort[4], et ayant laissé inachevée une longue galerie commencée sur ses dessins, et en grande partie ornée de stucs et de peintures, le Primaticcio fut rappelé de Rome ; il s’embarqua donc avec ses marbres et les creux des antiques que nous venons d’énumérer. Son premier soin, en arrivant en France, fut de faire jeter en bronze la plupart de ses plâtres ; ces copies réussirent si bien à la fonte, qu’on les prend pour les originaux mêmes. Elles furent placées dans le jardin de la reine, à Fontainebleau, à la grande satisfaction de François Ier, qui transforma pour ainsi dire cet endroit en une nouvelle Rome. Je ne passerai pas sous silence que le Primaticcio employa des fondeurs si expérimentés, que ces œuvres vinrent à la fonte si fines et si légères, qu’à peine fallut-il les réparer. Il eut ordre ensuite de terminer la galerie du Rosso ; il la conduisit rapidement à fin, et l’enrichit d’une incroyable multitude de stucs et de peintures. Le roi, pour le récompenser des huit années qu’il avait passées à son service, le mit au nombre de ses camériers, et bientôt après, c’est-à-dire en 1544, le fit abbé de Saint-Martin. Mais ces honneurs n’empêchèrent point le Primaticcio de continuer à travailler pour François Ier et pour ses successeurs.

Parmi ses nombreux auxiliaires, nous citerons Giovambattista Bagnacavallo, Prospero Fontana et un certain Ruggieri, tous deux de Bologne ; mais aucun ne lui fit plus d’honneur que Niccolo da Modena, qui surpassa tous les autres dans les peintures de la Salle du Bal et de la grande Galerie d’Ulysse, à Fontainebleau. À Meudon[5], le Primaticcio exécuta une quantité d’ornements pour le cardinal de Lorraine, dans son palais de la Grotte. Il était excellent dessinateur, et ses travaux en France ont été nombreux ; j’en parlerais avec plus de détails si j’avais sur ces choses des documents aussi exacts que sur celles qui m’entourent.

Après la mort de François Ier, le Primaticcio resta à Fontainebleau, et au service du roi Henri II, jusqu’à la mort de celui-ci. Il obtint ensuite de François II l’intendance générale des bâtiments du royaume que Charles IX, aujourd’hui régnant, lui a conservée. Le père du cardinal de la Bourdaisière et Monseigneur de Villeroy avaient été avant lui investis de cette charge aussi honorable qu’importante. Par l’ordre du roi actuel et de la reine-mère, il a commencé le mausolée de Henri II, au milieu d’une chapelle à six faces. Quatre des faces de cette chapelle seront occupées par les tombeaux des quatre enfants du roi, la cinquième par l’autel et la sixième par la porte. Une foule de statues et de bas-reliefs, en marbre et en bronze, compléteront ce monument et le rendront digne du princeetde l’artiste[6]. L’abbé de Saint-Martin s’est montré, dans son bon temps, excellent et universel dans toutes les parties de l’art, car il s’est employé, étant au service de ses souverains, non seulement à des ouvrages de peinture, d’architecture et de sculpture, mais encore à des fêtes et à des mascarades, avec de belles et capricieuses inventions. Il a été extrêmement libéral et obligeant envers sa famille et ses amis, pareillement envers les artistes qui ont travaillé avec lui. Enfin il a toujours vécu plutôt comme un prince que comme un peintre.



  1. Fils de Giovanni Primaticcio, né en 1504, d’après son premier testament fait à Saint-Germain-en-Laye, le 20 février 1502.
  2. On trouve son nom en janvier 1531.
  3. Primaticcio est nommé pour la première fois dans les comptes royaux en 1533. En octobre 1540, il reçoit onze livres pour avoir lavé et nettoyé quatre tableaux de Raphaël qui sont au Louvre : le saint Michel, la sainte Marguerite, la Sainte Famille de François Ier, et le portrait de Jeanne d’Aragon.
  4. En 1541.
  5. Ce château fut détruit ultérieurement.
  6. Ce tombeau ne fut pas exécuté.