Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Benozzo GOZZOLI

Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 413-417).

Benozzo GOZZOLI
Peintre florentin, né en 1420, mort en 1498

Benozzo Gozzoli[1] disciple de Fra Giovanni Angelico, et à juste raison aimé de lui, fut considéré par tous ceux qui le connurent comme très habile, doué de l’esprit le plus inventif et très abondant, dans la manière dont il traita les animaux, les perspectives, les paysages et les ornements. Ses productions sont si nombreuses que l’on voit qu’il ne chercha jamais d’autres plaisirs, et, si on ne peut pas le dire excellent, en comparaison de beaucoup d’autres qui le dépassèrent en dessin, du moins il les surpassa tous par la multitude de ses ouvrages, parmi lesquels il s’en rencontre nécessairement de fort bons.

Il peignit à Florence, dans sa jeunesse, le tableau de l’autel, pour la compagnie de San Marco[2], et à San Friano une Mort de saint Jérôme qui a été ruinée pour refaire la façade de l’église le long de la rue. Dans la chapelle du palais Médicis, il fit ci fresque l’histoire des Mages[3], et, à Rome, dans l’église d’Ara Cœli, l’histoire de saint Antoine de Padoue, dans la chapelle des Cesarini. Pareillement, dans la tour des Conti, c’est-à-dire au-dessus d’une porte sous laquelle on passe, il fit à fresque une Vierge avec plusieurs saints, et à Sainte-Marie Majeure, il peignit à fresque plusieurs figures qui sont remarquables, à droite, dans une chapelle, qui est près de l’entrée principale de l’église[4]).

De Rome, étant revenu à Florence, il alla ensuite à Pise, où il peignit, dans le Campo Santo, une aile entière[5], longue autant que l’édifice, et y représenta différents sujets de l’Ancien Testament, avec une très grande invention. On peut dire que c’est une œuvre vraiment terrible, car on y voit toute l’histoire de la Création du Monde, jour par jour, ensuite la Construction de l’Arche, le Déluge, rendus avec de belles compositions et un grand nombre de figures. Vient après la superbe Édification de la Tour de Babel, l’Incendie de Sodome et des villes voisines, l’Histoire d’Abraham dans laquelle il faut admirer la représentation de passions diverses ; car, bien qu’il n’ait pas eu grande originalité dans le dessin de ses figures, il montra néanmoins un grand art dans le Sacrifice d’Isaac, où l’on voit un âne en raccourci, qui paraît se tourner de tous les côtés. Suit la Naissance de Moïse, avec tous les signes et prodiges qui apparurent jusqu’au moment où il tira d’Égypte son peuple, et le nourrit pendant tant d’années dans le désert. Il faut y ajouter toute l’histoire des Juifs, jusqu’à David et Salomon, son fils. Vraiment Benozzo montra dans ce travail un courage plus que grand, parce qu’une pareille entreprise aurait à juste titre épouvanté une légion de peintres, et lui seul la prit et la conduisit à bonne fin.

Dans toute cette œuvre sont répandus quantité de portraits d’après nature. J’ai reconnu, dans la Visite de la Reine de Saba à Salomon[6], Marsile Ficin, au milieu d’un groupe de prélats ; Argyropoulo, savant grec ; Batista Platina[7], enfin Benozzo lui-même, sous la figure d’un petit vieillard rasé, à cheval, la tête couverte d’un béret noir, dans le pli duquel est glissé un morceau de papier blanc destiné peut-être à recevoir son nom. Dans la même ville de Pise, pour les religieuses de San Benedetto a Ripa d’Arno, il peignit la vie de saint Benoît, et dans la compagnie des Florentins, qui était alors à la place actuelle du monastère de San Vito, le tableau d’autel et d’autres peintures[8].

Dans le Dôme, derrière le siège de l’archevêque, il peignit, sur un petit tableau en détrempe, un saint Thomas d’Aquin, entouré d’une foule de docteurs qui discutent sur ses œuvres[9]. Ce tableau est la plus finie et la meilleure de toutes les œuvres de Benozzo. À Santa Caterina, église des Frères Prêcheurs, il fit deux tableaux en détrempe, qui se reconnaissent parfaitement à la manière, un autre dans l’église San Niccolà, et deux à Santa Croce, hors de Pise[10].

Il peignit encore, quand il était très jeune, dans l’église paroissiale de San Gimignano, l’autel de saint Sébastien[11], au milieu de l’église, vis-à-vis de la grande chapelle ; dans la salle du Conseil sont différentes figures, dont les unes sont de sa main, et d’autres sont d’anciennes peintures restaurées par lui[12]. Dans la même localité, il fit, pour les moines de Monte Oliveto, un crucifix[13] et d’autres peintures ; mais la meilleure œuvre qu’il fit à San Gimignano est, à Sant’Agostino, la décoration à fresque de la grande chapelle[14]. Elle représente l’histoire de saint Augustin, depuis sa conversion jusqu’à sa mort. Il entreprit encore quelques œuvres à Volterra, mais il n’est pas opportun d’en parler.

À l’époque où Benozzo travaillait à Rome, s’y trouvait un autre peintre, appelé Melozzo, originaire de Furli[15], que beaucoup de personnes, trompées par la conformité des noms et des temps, ont confondu à tort avec lui. Il s’appliqua surtout à l’étude des raccourcis, comme on peut le voir à Sant’Apostolo de Rome, dans la tribune du maître-autel, où il représenta dans une frise, en perspective, plusieurs personnages occupés à cueillir des grappes de raisin, auprès d’un tonneau : ces peintures ont beaucoup de bon. Son talent apparaît encore plus ouvertement dans son tableau de l’Ascension de Jésus-Christ au milieu d’un chœur d’anges[16]. La figure du Christ est si bien en raccourci, qu’elle semble percer la voûte. Il en est de même des anges qui volent à travers les airs, dans diverses positions. Ce tableau lui fut commandé par le cardinal Riario, neveu du pape Sixte IV, qui l’en récompensa richement.

Pour revenir à Benozzo, accablé d’années et de fatigues, il entra dans le repos éternel, à l’âge de soixante-dix-huit ans[17], à Pise, où il habita longtemps une petite maison qu’il avait achetée dans le quartier Carraia di San Francesco, et qu’il laissa à sa fille. Sa mort causa de vifs regrets dans toute la ville, et il fut honorablement enseveli dans le Campo Santo, avec une épitaphe qu’on peut lire encore, ainsi conçue : HIC TVMVLVS EST BENOTII FLORENTINI QVI PROXIME HAS PINXIT HISTORIAS. HVNC SIBI PISANOR. DONAVIT HVMANITAS, MCCCCLXXVIII[18].


  1. Benozzo di Lese di Sandro. Le surnom de Gozzoli se trouve dans le vieux Livre des Peintres, avec la date mccccxxiii, mais en caractères plus récents que le reste de l’inscription. Il travailla avec Angelico à Rome et à Orvieto. Inscrit à la Matricule des Médecins et Pharmaciens en 1465. Cité parmi les élèves de Ghiberti qui travaillèrent aux portes de San Giovanni.
  2. C’est une Piétà ; actuellement à la Galerie nationale de Londres ; commandée par la compagnie le 23 octobre 1461.
  3. Existe encore, 1459.
  4. Les peintures de Benozzo à Rome n’existent plus.
  5. Vingt-quatre compartiments, dont la majeure partie existe encore, 1469-1485.
  6. Cette fresque est presque complètement détruite.
  7. De son vrai nom Bartolommeo Platina.
  8. Ces peintures n’existent plus.
  9. Actuellement au Musée du Louvre.
  10. Ces différentes œuvres n’existent plus.
  11. Cette fresque existe encore, peinte en 1465 signée DIE XVII IANVARII M.CCCCLXV. BENOTINVS FLORENTINVS PINXIT ; Benozzo avait alors quarante-cinq ans.
  12. Une fresque de Lippo Memmi, restaurée par Benozzo en 1467, au Palais communal.
  13. Existe encore dans le cloître, daté 1466.
  14. Dix-sept fresques qui existent encore, l’une d’elles est signée… BENOTIUM. MCCCCLXV. — Commandées par Fra Domenico Strambi, qui s’illustra dans les universités de Paris et d’Oxford.
  15. Melozzo da Porli, 1438-1494.
  16. Actuellement, au Quirinal, 1472.
  17. Mort en 1498, d’après une déclaration au Catasto faite par sa fille Bartolommea en 1498. Le 19 janvier 1497, il avait estimé les fresques de Baldovinetti, dans la chapelle Gianfigliazzi de l’église Santa Trinità, concurremment avec Cosimo Rosselli, Pietro Perugino et Filippino Lippi. Il eut cinq fils et deux filles de son mariage avec Lena di Luca di Jacopo.
  18. Cette date est celle à laquelle les Pisans lui donnèrent un tombeau dans le Campo Santo.