Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Ambruogio LORENZETTI

Ambruogio LORENZETTI
Peintre siennois, né vers…, mort vers 1338


Ambruogio Lorenzetti[1], peintre siennois, fit preuve de beaucoup d’invention dans la manière de représenter et de grouper ses figures, comme on le fait voir, à Sienne, dans le couvent des frères mineurs, une fresque peinte par lui dans le cloître et tout à fait remarquable[2]. On y voit comment un jeune homme se fait moine, comment lui et d’autres se rendent devant le Soudan, qui les fait flageller, supplicier aux fourches patibulaires, pendre à un arbre et finalement décapiter. Survient une effroyable tempête. Dans cette peinture, Lorenzetti rendit avec beaucoup d’art et d’habileté les tourbillons de l’air, ainsi que la violence de la pluie et du vent, par les attitudes des personnages qui luttent contre les éléments. C’est de lui que les peintres modernes ont appris la manière de rendre de pareilles inventions, pour laquelle ils lui doivent une grande reconnaissance, ce procédé n’étant pas usité avant lui.

Ambruogio fut habile coloriste à fresque, et montra également beaucoup d’adresse et de facilité dans l’emploi des couleurs à détrempe, comme le témoignent ses tableaux du petit hôpital de Mona Agnesa [3], à Sienne, et les fresques de la façade du grand hôpital représentant la Nativité de la Vierge, et quand elle va avec d’autres vierges au temple. Il peignit aussi le chapitre dans le couvent des Augustins de cette ville [4]. Sur la voûte, on voit les Apôtres tenant en main des feuilles sur lesquelles sont inscrites les parties du Credo que chacun a composées ; au-dessous, un petit sujet montre en peinture ce qui est rendu au-dessus par l’écriture. Sur la grande paroi, il y a ensuite trois sujets tirés de la vie de sainte Catherine, martyre, quand elle discute avec un tyran dans le temple, et au milieu la Passion du Christ avec les larrons en croix et les saintes Maries soutenant la Vierge évanouie. Toutes ces choses furent rendues par lui avec beaucoup de grâce et une belle manière.

Dans le Palais de la Seigneurie de Sienne, il représenta, dans une grande salle, la guerre d’Asinalunga [5], et la paix qui la suivit [6]. Ce même édifice renferme encore de lui une cosmographie remarquable pour l’époque, et onze fresques en camaïeu vert [7]. On dit aussi qu’il envoya à Volterra un tableau en détrempe qui fut très loué dans cette ville[8] ; qu’à Massa, peignant avec d’autres une chapelle à fresque et un tableau en détrempe[9]), il leur fit voir ce que valait son jugement et son esprit ; enfin qu’à Orvieto il peignit à fresque la grande chapelle de Santa Maria [10].

Étant ensuite allé à Florence, il se rendit au désir de ses amis, qui voulaient voir sa manière de travailler, et peignit à San Procolo un tableau[11], et dans une chapelle plusieurs petits sujets tirés de l’histoire de San Niccolo[12]. Cette œuvre, sur la prédelle de laquelle il plaça son propre portrait, fut cause que l’an 1335 il fut appelé à Cortone par l’évèque Ranieri degli libertini, alors seigneur de cette cité ; il y peignit la moitié de la voûte et les parois intérieures de Féglise Santa Margherita, qui venait d’être bâtie pour les religieux de saint François, au sommet de la montagne. Bien que ces peintures soient presque entièrement consumées par le temps, on voit encore une expression admirable dans quelques figures et certainement il dut en retirer un grand renom [13].

Il se retira ensuite à Sienne et y passa tranquillement le reste de ses jours. Non seulement il était considéré comme un maître excellent en peinture, mais encore, comme il s’était adonné aux lettres dans sa jeunesse, elles lui furent d’une agréable et utile compagnie, et ne le firent pas moins rechercher que ses talents de peintre. Il se lia donc avec les gens lettrés et les hommes de mérite, et fut, en outre, chargé de plusieurs emplois publics [14], dont il retira autant d’honneur que de profit. Il vivait plutôt en gentilhomme et en philosophe qu’en artiste et supportait avec une égale sérénité d’esprit le bien et le mal que lui envoyait la fortune. La modestie et des mœurs honnêtes sont vraiment d’honorables compagnes à tous les arts et autant de vertus que les artistes devraient cultiver avec autant de soin que leur art. Sur la fin de sa vie, Ambruogio peignit, à Monte Oliveto di Chiusuri, un tableau qui lui fit beaucoup d’honneur [15]. Peu de temps après, il mourut heureusement et chrétiennement, à l’âge de 83 ans [16]. Ses œuvres datent de l’an 1340 environ [17].

  1. Ou del Lorenzetto, frère de Pietro, mentionné pour la première, fois en 1323.
  2. Il en reste des fragments dans les chapelles latérales de San Francesco. Le tableau d’autel, qui représente la Vierge allaitant l’Enfant Jésus, est d’Ambruogio.
  3. Agnese d’Arezzo, femme d’un certain Orlando, fondatrice de l’hôpital en 1278. Ces fresques, que les deux frères Lorenzetti firent en 1335, furent détruites en 1720.
  4. Ces peintures ont été détruites.
  5. Arrivée en 1363.
  6. Existent encore, attribution douteuse ; il devait être mort à cette date.
  7. Peinture perdue.
  8. Qui n’existe plus.
  9. Fresques détruites ; peinture perdue.
  10. Fresques restituées à Ugolino di Prete Ilario, et à d’autres peintres d’Orvieto ; existent encore. Commandées le 30 mai 1370 et terminées vers 1378.
  11. Deux fragments de la prédelle sont à l’Académie des Beaux-Arts de Florence.
  12. Peintures détruites.
  13. Complètement détruites.
  14. Il n’en reste pas trace dans les archives.
  15. Ce tableau est perdu.
  16. D’après une légende sans fondement, les deux frères meurent de la peste en 1348.
  17. Toutes les peintures d’Ambruogio Lorenzetti, mentionnées par Vasari, ont péri, sauf ses fresques du Palais Public. De ses travaux à l’Hôpital SS. Gregorio e Niccolo in Sasso, autrement dit de Mona Agnese, il reste une Présentation au temple, peinte en 1342, actuellement à l’Académie des Beaux-Arts de Florence. — Fresques du Palais Public de Sienne : La Bataille d’Asinalunga, dans l’ancienne salle du Conseil, dite encore delle Ballestre, paroi gauche, existe encore, mais n’est probablement pas de lui ; la cosmographie ou mappemonde a disparu. — Dans la salle des Nove, paroi de gauche, la Justice, la Concorde et la Paix, allégorie du bon gouvernement, signée ambrosius laurentii hic pinxit utrinque. Deuxième paroi, les arts et les corps de métiers de la ville. Troisième paroi, les effets du mauvais gouvernement ou de la tyrannie. Une Annonciation signée et datée 1344, peinte pour le même édifice, où elle séjourna quelque temps dans la salle des Donzelli, est actuellement à l’Institut des Beaux-Arts de Sienne.