Les veillées d’un fouteur, 1832, Bandeau de début de chapitre
Les veillées d’un fouteur, 1832, Bandeau de début de chapitre


LA BOUGIE DE NOËL.


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À Pise, ville d’Italie,
Habitait un certain Joseph d’Alcantaris,
Jaloux de sa moitié jusqu’à la frénésie,
Le fait n’est étonnant, Italiens maris
Sont sujets comme on sait à visions cornues,
Celui-ci, galant autrefois,
Savait sur le bout de ses doigts,
Les rubriques d’amour, même les moins connues.
Pour mettre donc en sûreté,
Son honneur ou plutôt celui de son épouse,
Ceintures de virginité

Vinrent s’offrir à son âme jalouse ;
Mais c’était peu pour lui, les plus forts cadenas,
Pour garder ce trésor font en vain résistance,
Le drôle le savait, et par expérience :
Voici donc ce qu’il fit pour éviter le cas,
Il joignit à cette ceinture,
Vers l’endroit dangereux, deux lames de rasoir,
Deux ressorts les faisaient mouvoir,
Qui, dès qu’on les lâchait, refermaient l’ouverture.
La femme à peine eut reçu ce présent,
Qu’un billet de sa part en avertit l’amant :
L’amant arrive ; il court dans les bras de sa belle
Par des baisers on prélude un moment ;
Mais las de ces faveurs qui croissent, son tourment,
Il en cherche une plus réelle.
Il découvre à son gré la porte des plaisirs,
Et l’obstacle ne fait qu’irriter ses désirs.
Le serpent, qui tenta notre divine mère,
Se réveille d’abord à ces objets charmans

Et leur fait inventer dans ces heureux momens
Les moyens de se satisfaire,
Des deux ressorts, la belle tenait un,
L’amant retenait l’autre et dans cette aventure,
Le serpent sans trembler saisit la conjecture,
Et se plonge à l’instant avec vivacité,
Dans le sein de la volupté :
À cette douce approche on s’emporte, on s’oublie,
On est prêt à perdre la vie,
On ne pense plus mais on sent,
Et dans cet effort si puissant
Le serpent se trouva la funeste victime
Des rasoirs échappés, et cet endroit si beau,
Trône de ses plaisirs en devient le tombeau.
Au cris de l’homme accourt la soubrette tremblante
Elle emmène l’amant tandis que son amante
Ignorant du serpent les cruels déplaisirs,
Jouit confusément de ses derniers soupirs.
Il fallait tirer le serpent,

Et l’embarras était comment.
Un tire-bourre en fit heureusement l’affaire.
L’animal encore furieux,
Ne sortit qu’avec peine écumant de colère,
Quoiqu’il eut les larmes aux yeux.
Sur le lieu de la sépulture,
Il fut question d’opiner ;
La dame paraissait inclinée à le garder,
La servante disait que ce serait folie,
Et que bien n’était de l’embaumer
Tels animaux étant communs en Italie ;
Par la fenêtre enfin elle le fit passer.
Une vieille dévote en allant à l’église ;
Car c’était, m’a-t-on dit, Noël le lendemain ;
Trébuche et laisse échapper de sa main
La lanterne qu’elle avait prise.
La nuit était obscure, autour elle tâtonne,
Sa main tombe sur le serpent,
Pour sa chandelle elle le prend,

Le met dans sa lanterne ; ainsi Dieu n’abandonne
Ses serviteurs, dit-elle, et sait les secourir.
Elle arrive à l’église et dit les premières,
Ce que par cœur elle sait de prières ;
Mais bientôt à son livre il lui faut recourir :
Elle met sa chandelle ès-mains de sa voisine,
Jusqu’en celle du clerc elle parvient enfin ;
Il souffle sur la mèche, il se tourmente en vain,
Pour l’allumer, tant plus il l’examine,
Plus ce qu’il tient lui paraît surprenant ;
Mais à la fin comprenant le mystère,
À d’autres, cria-t-il d’un ton plein de courroux,
Cette chandelle est faite à s’allumer chez, vous :
Mesdames que chacun fasse son ministère.


J. Rousseau,

Vignette roue-virgules