Bibliothèque à cinq cents (p. 59-60).

CHAPITRE XV
CHEZ LES APACHES

La nuit est plus avancée. La lune dans tout son plein, inonde de sa lumière argentée un petit espace libre sur la rive supérieure du Rio Concho.

Des guirlandes de feuillage et de mousse d’une espèce toute particulière s’enchevêtrent dans les branches des arbres d’alentour et les revêtent de festons gracieux. Seuls, les taillis et les buissons résistent à la lumière de l’astre de la nuit et offrent une retraite sûre par leurs ombres épaisses.

C’est une nature sauvage que celle de cet endroit, et elle l’est encore plus à l’œil de l’observateur depuis que l’homme des bois s’y est réfugié.

C’est là en effet que le chef des Apaches « Loup Rouge » a établi son camp.

À gauche, se trouvent les mustangs que trois gardiens empêchent de s’éloigner ou d’aller troubler le sommeil de leurs maîtres.

Du côté opposé, étendus sur l’herbe, cinquante guerriers, dont les mains ont si souvent trempé dans les plus horribles assassinats, dorment du sommeil du juste. À ce moment où la lune éclaire leurs poitrines et leurs figures barbouillées de peintures, ils sont affreux à voir. Ils reposent sur des couvertures de laine aussi bariolées que leurs propres personnes.

Ici, des lances plantées en terre sont entourées de boucliers, de carquois et d’arcs ornés de chevelures de toutes couleurs.

Les feux du camp sont presque éteints.

Trois gardes seulement sont sur pied, preuve que les Apaches ne craignent aucunement d’être poursuivis. Ils savent que les buffles ont effacé leurs traces.

À l’entrée du camp, attachée à un arbre, on aperçoit Marion Munroe, dont la figure est tournée vers le ciel. Sa tête est appuyée contre l’arbre et ses lèvres remuent comme dans une prière. Ses cheveux dénoués tombent en désordre sur ses épaules. Ses habits sont en haillons. Ses yeux vitrés et fixes peignent le désespoir le plus profond. Spectacle navrant s’il en fût ; et quel contraste que cette belle captive avec son entourage de démons hideux.

En ce moment un rayon de la lune donne sur la figure de Marion, et montre à trois personnes celle qu’ils désirent enlever Ces trois personnes, le lecteur les connaît, sont Munroe, «  Vieux Rocher » et « Chat Rampant. » En apercevant Marion, le Caddo et le vieil éclaireur retiennent Munroe par le bras.

— Allons, murmura « Vieux Rocher, » doucement ou tout est gâté, et Marion est perdue. C’qu’on a à faire doit être bien fait.

— « Chat Rampant, » dit le Sauvage, va aller de ce côté et remuer buisson. Apache viendra et le couteau de Caddo trouvera son cœur. « Vieux Rocher » remuera buisson ici et tuera autre Apache. Munroe va aller à femme et couper cordes. Si guerriers crient, courir à mustangs et partir dans plaine. « Vieux Rocher » et « Chat Rampant » reviendront vite si pas scalpés. Longues paroles pas bonnes en guerre. C’est assez. J’ai parlé.

Tout rentra alors dans le silence.

Munroe, les yeux fixés sur sa femme, rampa à travers les taillis avec la p]us grande précaution, et « Chat Rampant » fit un détour pour aller de l’autre côté du camp.

Un léger bruissement du feuillage causé par « Vieux Rocher » annonça au Caddo que l’œuvre était commencée.

« Vieux Rocher » attendit patiemment que la sentinelle la plus rapprochée de lui vint voir la cause du bruissement, et il en vit une autre se diriger vers la cachette du Caddo.

La troisième était occupée à dégager la jambe d’un mustang qui s’était embarrassé dans sa corde.

Inconscient du danger et sans songer un seul instant à un ennemi, le jeune guerrier s’approcha du buisson et de « Vieux Rocher, » son couteau à la main, croyant avoir affaire à un lapin.

Quand l’Apache se fut assez enfoncé dans le taillis pour ne pas être aperçu du camp, « Vieux Rocher » vit que le temps d’agir était arrivé.