Bibliothèque à cinq cents (p. 26-30).

CHAPITRE VIII
LA SÉPARATION

Qui pourrait se faire une idée de la douleur de Munroe quand il vit traîner sa femme par terre et la jeter brutalement sur le dos d’un mustang.

Qui pourrait peindre la torture du malheureux père quand il vit un de ces démons rouges tenir son enfant par une jambe et le lancer sur les genoux de sa mère captive.

Après de vains efforts pour rompre ses liens, Munroe resta silencieux, tremblant de la tête aux pieds.

Cette seule violente émotion que montra le captif causa la plus grande joie aux sauvages et donna peut-être à « Loup Rouge » une idée de la manière dont il pouvait mieux faire souffrir son prisonnier.

Quand la capture avait été faite, le chef apache avait résolu d’épargner la vie de Marion : elle serait son esclave et ne pouvait pas, par conséquent, servir au supplice de Munroe. Personne autre qu’un sauvage avide de sang n’aurait pu imaginer le plan infernal que le chef apache avait résolu d’exécuter.

Si l’éclaireur avait été seul captif il aurait tout supporté avec courage et rendu railleries pour railleries. Mais que cet homme, qui s’était montré si brave, manifestât tant d’émotion au sujet de sa femme et de son enfant, surprit les Apaches. Pour la première fois ils le regardaient avec dédain.

Cependant sa brave défense et son audace étaient encore présentes à leur esprit, et tous durent convenir, malgré « la faiblesse de femme » qu’il avait eue, qu’il était encore digne de mourir de la mort d’un guerrier, c’est-à-dire d’une mort lente. Le chef décida que cela lui était dû.

Quand les sauvages avaient commencé la marche de nuit, l’éclaireur captif avait eu les yeux bandés, et avait été placé à quelque distance de sa femme et de son enfant : les Apaches savaient s’y prendre pour le faire souffrir.

Le lendemain aussi, quand les sauvages campèrent dans le bois ; Marion et l’enfant furent cachés au prisonnier. Pour satisfaire leur cruauté, les sauvages ne voulaient permettre au jeune éclaireur de voir sa femme qu’au moment Où ils seraient séparés pour toujours.

Marion savait que son mari était toujours parmi les guerriers, ce qui était une grande consolation pour la pauvre femme.

Quand le soleil fut monté haut à l’horizon, à l’heure de midi, les sauvages préparèrent leurs mustangs, lièrent les captifs comme auparavant et, quittèrent l’ombre frais des arbres pour la plaine brûlante.

Arrivés à quelque distance de ce lieu sur la plaine aride, un signal fut donné par « Loup Rouge » et de suite les chevaux sur lesquels les captifs étaient liés furent amenés en avant près du chef : les guerriers formaient un vaste cercle, assis sur leurs mustangs, offrant un tableau sauvage des plus affreux. À un signe de la main de « Loup Rouge » les deux guerriers qui avaient conduit les chevaux des captifs et qui les tenaient encore, attachèrent ensemble les deux mustangs et coupèrent alors les liens qui retenaient Munroe à l’animal en le jetant brusquement par terre.

Un cri de douleur de Marion fit alors sortir une exclamation de joie des lèvres de « Loup Rouge » et un gémissement involontaire de la poitrine de Munroe, qui était sûr que cette halte avait été faite pour le torturer en présence de sa femme.

Il connaissait le caractère de ces monstres inhumains, et il était sûr que Marion était vouée à un sort encore plus triste que le sien.

Il venait d’entendre un cri de son enfant qui lui avait percé le cœur comme une flèche. Il ne pouvait pas croire que ces brutes d’Apaches laisseraient l’enfant si longtemps près de sa mère, mais, hélas ! il ne connaissait pas encore tout ce qui lui était réservé.

Ils étaient maintenant sur la plaine brûlante et les Sauvages ne devaient pas rester longtemps ainsi exposés à cette chaleur intense. De plus ils s’exposaient à être découverts par des soldats ou des chasseurs du camp Johnston.

Ainsi raisonna Munroe, et un soupçon du sort terrible qui l’attendait lui traversa l’esprit.

Mais il ne devait pas rester longtemps en suspens : ses soupçons furent confirmés même avant qu’on lui enlevât son bandeau des yeux, car tout près de lui on enfonçait des pieux en terre.

Marion regardait son mari avec une expression de profonde douleur. Elle n’avait aucune idée de l’objet pour lequel on enfonçait ces pieux.

Sa torture morale était alors trop intense pour lui permettre de verser des larmes. Ses beaux yeux exprimaient un désespoir qui aurait fait fondre un cœur de pierre, mais ces cruels hommes des bois n’avaient aucune pitié.

Les pieux ne dépassèrent bientôt la terre que de quelques pouces. Tous les coups qui les avaient frappés semblaient l’avoir été sur la tête de Munroe.

Bien qu’il n’y eut plus même une seule lueur d’espérance, Munroe n’avait pas encore cessé d’espérer. Quand l’ouvrage fut terminé, deux guerriers saisirent Munroe par les bras et par les pieds et le jetèrent avec force entre les pieux auxquels ils l’attachèrent au moyen de fortes lanières de peau de buffle.

Les pieux ne restèrent plus un mystère pour Marion. L’infortunée était pénétrée de l’horreur la plus profonde.

Un des cinq Sauvages tira son long couteau et coupa les liens qui retenaient encore ensemble les bras et les jambes du captif, car on avait eu bien soin de ne pas le libérer auparavant. Celui-ci choisit le moment, et, réunissant toutes ses forces dans un suprême effort, bondit en avant et secoua si violemment les quatre Sauvages qui se cramponnaient aux lanières préalablement attachées à ses membres qu’ils faillirent être renversés. L’un d’eux aurait planté son couteau dans la poitrine du captif, si le chef « Loup Rouge, » ne fût intervenu. Le chef ordonnait en même temps à six autres de ses hommes de venir au secours en toute hâte. Il était temps. Le jeune homme et les cinq Sauvages ne formaient plus qu’une grappe humaine mouvante et se tordant sur elle-même. Les poings libérés du captif tombaient comme des coups de massue sur la tête des Apaches, dont deux furent renversés presque sans vie. Des murmures d’admiration s’élevèrent parmi les Sauvages restés sur leurs mustangs. La force et le courage que Munroe déployait les forçaient à l’admirer comme un grand guerrier et ils jugèrent que le genre de mort qui l’attendait lui était de plus en plus méritée.

Les six nouveaux guerriers bondirent sur Madison, et il fut renversé sur le dos entre les quatre pieux ; ses membres furent tirés, tendus affreusement et liés aux pieux.

Ainsi attaché était Madison. Munroe resta étendu comme sans vie.

Alors seulement son bandeau lui fut enlevé, et il put regarder pour la dernière fois sa femme et son enfant.

Comment peindre son émotion !

Des démons sans cœur pouvaient seuls voir ces deux infortunés d’un œil indifférent, et ne pas les rendre l’un à l’autre.

Le chef fit entendre un second signal.

Alors l’enfant fut enlevé des bras de sa mère qui demeura muette d’effroi. On le déposa près de son père, et, les guerriers sautant en selle, se remirent en route.

— Ô Marion ! Ô ma femme ! s’écria le malheureux Munroe, nous ne nous rencontrerons plus ! Je dois mourir ici avec notre enfant ! »

Sa voix était rauque et n’avait plus l’accent humain. Sa femme voulut lui répondre, mais les Sauvages poussèrent l’allure de son cheval, et elle ne put que pousser des cris de désespoir.

Le silence se fit ensuite dans la plaine. On n’entendit plus, dans le lointain, que le bruit des sabots des mustangs sur le sol dur de la prairie. La bande d’assassins courait vers Apacheria.

Marion perdit heureusement connaissance, mais quel terrible réveil pour elle en se voyant seule, au pouvoir de ces monstres des montagnes Apaches !

Munroe et son enfant étaient condamnés à mourir de faim ou de soif, exposés à une chaleur torride, à moins d’être écrasés par les troupeaux de buffles.