Traduction par René Auscher.
Hachette & Cie (p. 121-124).


RÉFLEXIONS D’UN SKIEUR PSYCHOLOGUE


Les skis ne sont pas précisément ce qu’on appelle les planches, mais on joue passablement la comédie sur eux.

Who can, does ; who cannot, teaches ”, dit le spirituel Bernard Shaw, ce qui peut se traduire dans le langage du ski : Un bon skieur se tait et va de l’avant, un mauvais skieur donne constamment des conseils aux autres.

Tu souris quand tu vois quelqu’un dans la neige. Combien y a-t-il de temps que tu conduis tes skis à ta guise ?

Si quelqu’un te questionne pour savoir à quelle distance tu sautes, réfléchis bien avant de répondre et demande-toi si seulement tu sais sauter.

Tu es un débutant ? C’est une honte que d’en être honteux.

Si tu veux apprendre quelque chose, tais-toi et regarde.

Celui qui en est à sa première campagne de ski, et qui se reproche sur le terrain d’exercice de ne pouvoir exécuter correctement un saut déterminé, fait preuve de présomption.

« À vrai dire, on devrait d’abord apprendre le Telemark et le Christiania, afin de pouvoir s’arrêter à volonté », disait quelqu’un qui attachait des skis pour la première fois. Certes oui, mais il serait vraiment beaucoup plus utile encore que les enfants naissent en connaissant parfaitement la gymnastique.

Ne demande pas le tremplin de ton voisin, mais, en tous cas, comporte-toi avec ceux d’autrui comme avec leur logement : laisse-les au moins dans le même état que tu les as trouvés.

Quelqu’un se présente à vous sur la neige et mentionne tous ses titres. Évitez-le ! Un autre vous dit simplement son nom, mais enchevêtre en même temps l’arrière de ses skis. Méfiez-vous ! Il y a quelqu’un que vous rencontrez souvent et dont vous ne connaissez au bout de quelques jours ni le nom ni la qualité. Peut-être vous trouvez-vous alors en présence d’un personnage tout à fait remarquable.

Mon fils, méfie-toi de ceux qui « aiment tant faire des excursions » et qui désireraient « t’accompagner » si tu « voulais être assez aimable pour y consentir », ils ne te seraient « jamais nulle part à charge ». Ne sois pas trop aimable avec eux, car ils te deviendraient insupportables.

Si, en excursion, vous remarquez que votre compagnon est plus faible que vous, ne lui laissez pas apercevoir votre supériorité, mais ne lui laissez pas non plus remarquer votre délicatesse.

Quel temps fera-t-il demain ? Ne répondez jamais à une pareille question, vous pourriez par hasard avoir raison et vous figurer que vous le saviez.

Les gens personnels et les égoïstes sont, en excursion, difficiles à supporter, mais on peut aussi, par une amabilité et une serviabilité exagérées, énerver ses compagnons.

Si vous avez fait une excursion en un temps véritablement très court et dans des conditions défavorables de neige, ne le dites pas. Vous ne pourriez en vouloir à personne de ne pas vous croire, et on a déjà trop inventé sur ce chapitre.

Si vous priez quelqu’un de vous renseigner sur le temps nécessaire pour aller à la gare la plus voisine, partez en avance de la moitié du temps indiqué ; vous aurez encore des chances de manquer le train.

Vous croyez n’être pas vaniteux ? Regardez donc si, quand vous faites vos arrêts, il n’y a pas justement une foule de gens dans le voisinage.

On peut marcher sur une trace très étroite et cependant tenir beaucoup de place.

À table, on a le droit de s’entretenir d’autre chose que du ski.

Le plus souvent, on fait tout beaucoup mieux sur une autre neige.

Il n’est pas impossible d’être un très bon skieur et d’être quand même un gentleman. On peut même être un gentleman sans rien entendre au ski.