Traduction par René Auscher.
Hachette & Cie (p. 47-71).


CE DONT ON A BESOIN EN SKI

Il faut avant tout un cœur sain et de bons poumons, puis il importe d’attacher toute son attention aux skis. Homme et skis doivent se convenir l’un à l’autre, ainsi qu’un cavalier et son cheval. Une canne est indispensable, mais deux cannes rendent souvent de meilleurs services. On s’apercevra avec le temps qu’un vêtement spécial n’est pas absolument nécessaire. Le sac de montagne n’est pas non plus indispensable pour faire du ski, mais celui qui n’en a jamais besoin se classe, par cela même, dans la catégorie des skieurs d’hôtel, qui se croient perdus lorsqu’ils se trouvent à plus de trois ou quatre kilomètres de leurs quartiers d’hiver. Pour les vrais amateurs, le sac est quelque chose de très important, et la composition de son contenu une question digne du soin le plus avisé.

Le ski — Je voudrais dissuader tout à fait le lecteur d’en faire lui-même. On en achète tout de même d’autres par la suite, à moins d’être l’un de ceux qui s’attachent surtout à ce qu’ils ont eux-mêmes fabriqué.

Bien qu’il paraisse très simple, le ski demande de grands soins pour sa confection ; malheureusement beaucoup de fabricants ne sont plus très consciencieux, tant en ce qui concerne la matière première que l’exécution. À la suite de grosses commandes et « parce que cela se vend tout de même » plusieurs d’entre eux travaillent du bois trop vert. Un bon ski est fait de souches abattues en hiver et bien séchées dans des formes taillées à cet effet. Pour acheter une paire de skis, on doit, autant que possible, être accompagné d’un homme compétent. Si on n’en connaît pas, il suffit de regarder la forme du ski de Telemark pour se faire une idée d’un ski bien taillé et bien courbé. Avant tout, la spatule ne doit pas se redresser brusquement comme une corne ; dans ce cas, elle cause des chutes, même à des skieurs exercés, si la neige est profonde, et souvent un ski se casse parce que la pointe s’est heurtée brusquement et maladroitement contre de petites ondulations de neige au lieu de passer sur elles avec la légèreté et l’élégance qui conviennent. On ne peut obtenir ce résultat qu’avec le ski dont la courbure commence loin mais qui n’atteint sa plus grande hauteur à la pointe que progressivement. Une courbure de 13 à 14 centimètres est la meilleure. Cette forme ne produit pas facilement de heurts et ne se courbe pas non plus dans la neige. Il arrive parfois qu’un ski aussi parfaitement courbé se casse pourtant. La seule pensée qu’on puisse avoir en pareil cas, c’est qu’il est impossible d’obtenir quelque chose d’absolument impeccable.
PLAN, PROFIL ET COUPE D’UN SKI DE TÉLÉMARK.

Il est évident que des skis très lourds et forts, dont la courbure est épaisse et aussi rigide que l’arrière, ont peu de chances de casser. C’est à cet avantage que l’on peut songer lorsqu’on trouve à la montée que leur poids est peut-être exagéré. Si l’on en prend une paire de minces et légers dont la spatule vibre nerveusement quand, pour l’éprouver, on la fléchit et on la lâche, on peut être certain de ressentir une grande satisfaction pendant la course, surtout une fois qu’on sait courir, mais ils ont des chances de durer moins longtemps.

La courbure du ski en son milieu doit diminuer graduellement aussi, c’est-à-dire du pied du skieur jusqu’au commencement de la courbure de la spatule. Son but n’est pas de donner au ski comme un ressort, ainsi qu’on le croit souvent, mais elle doit empêcher que la lame, dont la charge porte au milieu, ne se courbe par dessous. Cette flèche doit être assez forte pour que la surface inférieure des skis, depuis l’arrière jusqu’à l’origine de la spatule, devienne, sous le poids du corps, absolument plane. Pour obtenir ce résultat elle doit atteindre de 2 à 3 centimètres.

En ce qui concerne le bois, il ne faut pas être difficile, bien qu’une certaine prudence soit de mise vis-à-vis des marchands. Des skis dont les fibres sont toutes droites et parallèles à l’axe et qui n’ont aucun défaut d’esthétique sont très rares et très chers. Le bois de frêne est le seul qui convienne, toutefois il est bon dans certains cas d’avoir des skis en bois d’hickory ou en bois d’hickory doublé de pin, mais ceci n’entre en considération que pour les fins connaisseurs. Quelques fibres transversales, quand elles ne se trouvent pas juste à la courbure avant ne sont pas nuisibles, de petits nœuds ne présentent pas non plus d’inconvénient sérieux ; souvent on rencontre du bois qui a poussé lentement et qui est un peu serré, sa madrure ne paraît pas précisément belle, pourtant il est dur comme du fer.

Ce sont les grosses branches qu’il faut évidemment utiliser. Elles ont moins de chances de rupture, et elles sont aussi entourées d’une épaisseur moindre de ce bois tendre qui résiste peu aux chocs et qui peut interrompre prématurément le voyage.

Il est inutile de s’inquiéter longtemps au sujet de la couleur. La teinte naturelle du bois est la plus belle quand les skis sont en magasin. La structure des fibres que le vernis fait ressortir davantage est par elle-même un bel ornement. Les deux fines lignes parallèles tracées le long des bords avec le rabot à gorges rehaussent l’élégance de la forme. Un petit losange rouge à l’extrémité, là où les lignes d’ornement se croisent, ajoute un peu de couleur et de gaîté. Mais des skis peints en noir, avec des lignes ornementales blanches qui leur donnent au premier abord un aspect plus sombre et plus lugubre, sont beaucoup plus pratiques sur la neige et on finit même par les trouver jolis. Le but de la couleur noire est de donner, pendant le saut, la possibilité d’orienter un peu la position des skis, qui se détachent fortement sur le sol. De toute façon, l’œil a, avec les skis sombres, une impression plus nette, tandis que les contours des skis clairs se confondent avec la couleur de la neige. Des skis peints en rouge ou en bleu, ainsi qu’on en voit parfois dans les magasins, ne sont pas à recommander ; celui qui veut se distinguer de la grande masse des skieurs et être remarqué au milieu d’eux peut l’être beaucoup plus justement par son énergie et son adresse.

La longueur des skis dépendra du poids qu’ils ont à supporter. Les personnes de proportions et de poids normaux doivent pouvoir atteindre avec l’extrémité de leurs doigts la pointe de leur ski dressé. Celles qui sont plus lourdes qu’elles ne devraient l’être normalement en raison de leur taille ajouteront de 10 à 20 centimètres. La difficulté de direction, plus grande avec de longs skis, est, dans ce cas, compensée par le fait que le ski n’enfonce pas autant. Si la neige est superficiellement gelée, les skis trop courts ne portent pas sur une surface suffisante et peuvent, surtout avec la partie arrière ou l’arête, briser la croûte superficielle et causer des embarras. En résumé, il est préférable d’avoir des skis trop longs que trop courts, si l’on dépasse le poids moyen.

L’équilibrage du ski est une chose très importante. L’attache doit être fixée de telle sorte que, quand on le soulève par la courroie du bout du pied, la pointe s’incline d’environ 45° vers l’avant.

Maintenant que vous avez fait, à l’aide des conseils de cette étude, l’acquisition d’un paire de skis, considérez-vous sérieusement comme un débutant et, durant tout un hiver, n’attribuez jamais les chutes au ski mais bien à vous-même et à votre manque d’expérience. Le ski de Telemark est un de ces merveilleux instruments qui, bien que d’aspect simple et primitif, ont été cependant créés d’après les données les plus précises des mathématiques et de la physique. En les examinant, on ne sait pas si on doit s’étonner davantage de leur simplicité que de leurs qualités. Aux pieds des profanes les skis sont embarrassants et grotesques, mais, pour les initiés, ils deviennent en quelque sorte des chaussures ailées.

L’esprit humain n’a créé que deux instruments avec les seules conceptions des hommes primitifs et sans utiliser la technique moderne : c’est le boomerang, la fronde en bois des nègres de l’Australie, avec laquelle ils atteignent le gibier sauvage en plein vol et qui retourne au chasseur après avoir décrit un cercle ; puis cajak des Esquimaux, petit canot à siège, recouvert de peau, qu’un rat ferait chavirer sur l’eau la plus calme et que l’Esquimau fait danser sur les flots de la mer en furie ainsi que danse une boule de verre sur un jet d’eau.

Le ski de Telemark est aussi une planche magique si elle est maniée avec art. Il le savait déjà, il y a bientôt 700 ans, l’auteur du Koenigspiegel norvégien ! Dans sa langue charmante, naïve et pleine d’expressions pittoresques, il parle de ces hommes « que de minces planches entraînent du haut en bas des montagnes avec une très grande rapidité, grâce à leur art et à leur adresse. Rien de ce qui se meut sur la terre ne peut être comparé, quant à la vitesse, à l’homme qui possède de telles planches à ses pieds. Dans d’autres contrées où les gens n’ont pas acquis une pareille habileté, on pourrait à grand’peine trouver un homme assez souple adroit pour ne pas perdre tous ses moyens dès qu’on lui a mis ces morceaux de bois sous les pieds. »

Qu’il ne se décourage donc pas celui qui, pour la première fois, part sur les étendues neigeuses, avec des skis neufs, si, au début, ainsi que le dit le Koenigspiegel, « il perd tous ses moyens ».


L’attache. — Il n’est possible de bien diriger des skis que lorsqu’une bonne attache les relie parfaitement aux pieds. On est, sur le continent, tellement d’accord sur la meilleure forme de ski, que tous les skieurs ont adopté celui de Telemark, mais en ce qui concerne l’attache, les avis sont encore très partagés.

Les différentes manières d’attacher un ski ont parfois amené de véritables conflits d’opinion dans le monde des skieurs.

Il en est d’ailleurs de même en Norvège, où le ton des polémiques des journaux spéciaux ne laisse non plus rien à désirer et où la critique des attaches du ski alpin (alpenski), par exemple, se résume en ces deux mots : « C’est insensé » ! Ces discussions se sont calmées depuis, il est vrai, et l’on est arrivé à ce résultat de considérer cette question d’attache comme une chose ressortissant à l’expérience personnelle.

Mais l’auteur se sentirait pourtant responsable de toutes les foulures et arrachements qui pourraient survenir du fait d’une attache défectueuse s’il n’avait suffisamment éclairé ses lecteurs à ce sujet et s’il ne les avait suffisamment mis en garde contre celles qui peuvent être vraiment dangereuses.

En somme, on peut dire : Plus le pied est lié au ski, plus la direction est facile, mais aussi plus il est difficile de se tirer indemne d’une chute. Dans ce cas, la probabilité est aussi plus grande, surtout pour les débutants, d’avoir un tendon arraché ou un os cassé.

Avec l’ancienne attache de roseau, qui fut la plus employée pendant les 90 années que dura la période des combats et des luttes pour le ski, les choses les plus étonnantes furent faites en descentes et en sauts.

La hardiesse était alors de beaucoup supérieure à l’habileté, mais il y eut rarement d’accidents, on se relevait toujours comme on tombait, souvent même avant d’être tombé ! Aujourd’hui on apprend presque trop tard la façon de tomber correctement. C’est cependant très important, surtout de nos jours où les vieilles attaches lâches ne sont plus employées. Habituellement c’est plutôt quand c’est devenu moins utile qu’on apprend à se pelotonner pendant la chute sans contraction nerveuse, ainsi qu’un hérisson, et à présenter le plus petit volume possible : à se laisser enfin tranquillement tomber, quand on doit tomber.

Mais la plupart du temps, les débutants tombent au cours d’une descente trop rapide, lourdement, sans souplesse, les skis croisés, et de tout leur long en avant, parce qu’ils n’ont pas préféré se laisser choir en arrière, en temps voulu. Alors leurs pieds sont si fortement comprimés par l’attache qu’ils ne peuvent pas prendre leur position normale et qu’ils sont maintenus avec force dans la direction des skis. Il en résulte nécessairement une foulure ou une fracture.

Mais que les profanes se rassurent ; de tels accidents ne sont pas aussi fréquents qu’ils pourraient le croire. Les os et les nerfs sont des matériaux d’excellente qualité qui possèdent une grande force de résistance, surtout quand ils sont jeunes. Il est vrai aussi que ce n’est pas du tout une consolation de songer qu’un accident vous est survenu par hasard. Les exceptions doivent, elles aussi, être réduites au minimum.

Attache à semelle et à talon. — Comme l’intention de cet opuscule n’est nullement de conseiller aux skieurs de nouveaux accessoires, mais plutôt de présenter aux connaisseurs de vieilles choses sous une forme plus nouvelle, il considérera surtout la question « attache » au point de vue du moindre danger pour le pied. Attache à semelle et à talon
attache à semelle et à talon
On fera alors l’étonnante constatation que les commençants préfèrent précisément utiliser l’attache qui est la moins indiquée pour eux, celle à semelle et à talon. Elle est la plus « aisée », ce qui devrait vouloir dire « l’attache pour les gens qui aiment leurs aises ». Elle trompe très facilement ceux qui n’y connaissent rien, parce qu’ils peuvent rapidement se rendre compte de son mécanisme. Sur le ski est vissée une espèce de sandale avec une épaisse semelle de balata[1]et un haut talon. On n’a qu’à entrer le pied, passer une courroie sur le cou-de-pied et tout est dit. On a ainsi trois paires de chaussures : le soulier de cuir proprement dit, au-dessous le soulier de balata, et par-dessous encore le ski.

L’étroite intimité que le pied doit avoir avec le ski, s’il veut pouvoir le diriger, dépend à peu près uniquement de l’attache. Ce précepte ne doit pas être oublié du débutant qui fait mettre de sa propre autorité une telle attache par un marchand généralement peu expérimenté dans l’art du ski et qui vend de préférence des attaches à talon parce qu’elles sont toujours toutes prêtes et qu’elles ne lui donnent aucun ennui pour l’ajustage. Ensuite, cette attache, la plus rigide de toutes, tient fortement le pied, le comprime au talon entre l’enveloppe et la courroie du cou-de-pied et ne se relâche jamais quelle que soit la façon dont on tombe. Son seul avantage, qui est la bonne direction, n’est d’ailleurs acquis qu’aux dépens des orteils. Car on n’obtient le but cherché qu’en serrant la courroie d’avant si fort que lesdits orteils sont brutalement comprimés contre la semelle de balata ; autrement la pointe du pied remue entre les deux mâchoires qui maintiennent la courroie.

La caractéristique de ce système est en somme la suivante : il est bon pour tout pied et ne convient parfaitement à aucun ; l’attache tient fortement là où elle devrait être lâche et ne tient pas là où elle devrait serrer. C’est une attache « omnibus » et qui ne trouve place que sur les skis de location parce qu’on peut facilement l’adopter à n’importe quel pied. Mais son avantage fait son inconvénient, et, aux pieds d’un skieur expérimenté, on n’en trouvera jamais. Les amis de notre sport à qui elles ont suffi jusqu’à présent devraient se souvenir que s’ils s’en sont tirés les jambes saines et sauves, ce n’est pas la faute de leur attache.

Des compétences reconnues ont déjà souvent déclaré, mais plus timidement, ce que je viens de dire ici nettement et sans ambages : cette attache, malgré les critiques justifiées qui se sont élevées contre elle, est malheureusement toujours préférée par la grande masse des skieurs.

Attache du ski alpin (Alpenski). Elle est plus connue sous le nom d’attache de Lilienfeld, qu’elle doit à une petite ville de Steiermark, en Autriche. Les pentes raides des montagnes de ce pays furent pour l’inventeur de cette attache, le peintre Zdarsky, les premiers champs d’expérience. Elle doit être considérée, ainsi que l’indique aussi son nouveau nom, comme l’attache convenant aux pays accidentés. C’est une invention judicieuse mais compliquée, qui a été le nœud des discussions qui ont divisé les habitants de Lilienfeld et ceux de la Forêt-Noire. Il y a peu d’années, il existait un trop grand parti pris contre elle pour qu’on se servit de skis alpins dans cette région ; l’influence norvégienne y faisait considérer un disciple de Lilienfeld exactement comme les paysans de la Forêt-Noire regardèrent en somme le premier skieur, c’est-à-dire comme quelqu’un d’extravagant. Maintenant on se considère des deux camps avec plus de compréhension et par conséquent plus de courtoise indulgence.

L’attache alpine exige une technique particulière de marche, la technique de Lilienfeld, au sujet de laquelle son inventeur a écrit un ouvrage plein de verve et de clarté. Une semelle élastique d’acier, mobile autour d’un axe horizontal, réglable d’après la longueur et la largeur du pied, lie fortement ce dernier au ski et empêche tout déplacement latéral de sa part : c’est pourquoi les chutes peuvent facilement devenir dangereuses. Les habitants de Lilienfeld savent bien pourquoi ils ne sautent pas !


ATTACHE ALPENSKI.
En pays accidenté, et c’est le cas dans cette région, on évite les chutes en faisant un détour. Au lieu de laisser les skis descendre la montagne à toute allure, on parcourt les pentes en faisant des lacets. Ce genre de marche est facilité par la maîtrise complète du ski, maîtrise qui est rendue plus commode par une forte attache rigide.

Une longueur de ski moindre que la normale facilite aussi la marche en lacets. Enfin les skis tout à fait plats et ne comportant pas la cannelure médiane des Norvégiens offrent un avantage réel sur les skis avec cannelure. Le ski alpin possède donc ces caractéristiques : il est plus court que le ski de Telemark et n’a pas de cannelure.

Son attache répond comme lui à un besoin particulier. Mais celui qui veut pouvoir, s’il en a envie, laisser filer ses skis en pleine course — et à qui ne viendrait pas une fois cette folle envie ! — ou qui désire posséder l’art complet du ski et la souplesse dans la marche, ne doit pas se servir d’attache alpine.

Elle est toutefois à conseiller aux personnes d’un certain âge à qui de la prudence s’impose. La marche en plaine ou en montagne ; quand on peut facilement pousser son ski, a, en soi, quelque chose d’extrêmement agréable, et peut-être plus encore avec l’attache de Bilgeri, une nouvelle imitation perfectionnée de l’attache du ski alpin.

Il faut encore noter dans ces attaches le bruit du mécanisme métallique, qui souvent se fait entendre et est un supplice intolérable qui nuit beaucoup à l’esthétique de ce sport.

L’attache du ski alpin est donc une invention à laquelle on ne peut pas refuser de l’ingéniosité, mais qui a pourtant quelque chose de don-quichottesque. Comme ses défauts sont aplanis en partie par une certaine technique de marche, elle ne peut pas être classée, malgré tout, parmi les plus mauvaises.

Attache de Huitfeld. — Cette attache est la meilleure parce qu’elle est la moins dangereuse et permet cependant de faire du chemin. Elle est simple sans être lourde et inajustable comme l’attache à semelle ; elle n’acquiert pas, d’autre part, sa facilité d’ajustage par des vis et des ressorts métalliques comme l’attache du ski alpin. Quand c’est nécessaire, après une forte chute par exemple, elle cède sagement. Elle est plus légère que les deux autres attaches et maintient suffisamment le pied.

Avant tout, elle permet au skieur un contact plus intime avec le ski, car la semelle par laquelle le pied lui transmet sa volonté est la semelle même du soulier. Il y a, il est vrai, un léger inconvénient à cette attache : les deux bandes métalliques assez fortes, entre lesquelles est placée la semelle, laissent sur celle-ci leur empreinte et en fatiguent un peu les bords. Mais si le skieur ne fait pas avec ses chaussures autre chose que du ski, ou s’il les emploie tout au plus à faire des excursions en montagne, ce défaut d’élégance, qui du reste ne nuit pas à la semelle elle-même, est en somme négligeable.

La marque la plus caractéristique de l’attache de Huitfeld est le logement de la courroie. C’est une mortaise qui traverse le ski en son milieu, latéralement, et dont dépend l’organisation de toute l’attache. C’est à travers cette ouverture que l’on passe la légère bande d’acier Bessemer revêtue à l’intérieur de cuir, et qui, relevée des deux côtés, est appliquée exactement contre la semelle du soulier. Les extrémités sont reliées par-dessus le soulier au moyen de la courroie du bout du pied. Elles forment mâchoire et maintiennent le pied à la naissance des orteils. C’est aussi à travers cette cavité que passe la courroie qui entoure le talon et serre le pied contre la mâchoire, elle marque en somme le centre de gravité autour duquel tourne tout le ski et, bien que l’effort de direction agisse avec d’autant plus d’intensité qu’il est appliqué plus intimement à lui, le résultat est bon cependant dans ce cas, malgré l’absence
ATTACHE DE HUITFELD B.
d’une semelle qui ne peut jamais être fixée que sur la face supérieure du ski et par suite au-dessus de son centre de gravité. Enfin, cette mortaise permet, dans le cas d’une cassure de l’attache et le plus rapidement possible, l’emploi d’une excellente attache de fortune si l’on a sur soi une longue lanière quelconque.

Il y a deux espèces d’attaches de Huitfeld (A et B). Elles
ATTACHE ELLEFSEN.
(Cliché P. Gruyer.)
diffèrent par les courroies. Dans les plus récentes attaches, on fait une concession à la commodité et à la rapidité, partout réclamées aujourd’hui, et on obtient un très grand avantage sur les anciennes. Une courroie mobile en cuir, constituée par deux pièces à double face, sort de la cavité médiane et fait le tour du talon ; on a avant tout supprimé la courroie dangereuse qui serrait le cou-de-pied. Par contre, une seconde, passant derrière celle des orteils, facilite la tension de la courroie du talon.

La tension de cette dernière se produit au moyen d’une boucle brevetée d’Ellefsen à l’aide de laquelle on la raccourcit d’un ou deux centimètres. Elle peut, quand la boucle est ouverte, être facilement placée sur le talon et se trouve, après la fermeture de celle-ci, fortement fixée au pied. Son glissement sera empêché de la façon la meilleure au moyen d’une échancrure concave du talon, échancrure que l’on trouve généralement à toute bonne chaussure de ski. Après une chute, ou en cas de danger, ou près du sautoir, lorsque, après le saut, on veut remonter le chemin d’accès du tremplin sans ski, on sort immédiatement des attaches par un
ATTACHE DE HUITFELD A 1re PHASE.
simple rabattement de la boucle. Elle peut même se rabattre d’elle-même à l’occasion, ce qui naturellement est souvent très utile.

Il est encore plus commode de fixer le pied dans les mâchoires avec l’attache ancienne A de Huitfeld, qu’avec celle dont on vient de parler.

Elle consiste en une courroie de cuir gras, longue d’environ deux mètres, étroite, a l’extrémité de laquelle on a cousu une boucle. On la double en la passant au travers de la mortaise médiane, de sorte que la boucle cousue sorte du côté extérieur, par exemple du côté gauche du ski de gauche, tandis que vers l’intérieur la courroie qui a été doublée forme une boucle naturelle.

Au moyen de ces deux boucles comme points d’arrêt, on passe la courroie deux fois
ATTACHE DE HUITFELD A 2e PHASE.
autour du talon, puis on la tend autour du cou-de-pied et on la lie enfin avec un simple nœud. Cette attache peut s’adapter aux plus faibles changements et différences de tension. La courroie, étroite mais très forte, a l’agréable propriété de se plier sans gêner et de tenir fortement sans serrer.

Il est facile d’apprendre à la mettre, mais c’est un peu plus long que pour les autres. Ce qu’il y a de plus désagréable, c’est de l’ôter. L’opération est longue, surtout quand l’attache serre juste. Dans les cas urgents, le seul remède est le couteau ; mais, comme de telles circonstances sont rares, elle sera l’attache préférée des skieurs qui veulent dépendre le moins possible d’accessoires mécaniques, et pour qui c’est un plaisir d’user de leur adresse et d’atteindre leur but par des moyens rudimentaires. Elle est d’ailleurs encore la plus répandue en Norvège et s’il existe des skieurs possédant l’une ou l’autre des attaches Huitfeld et qui ne soient pas très adroits, on peut cependant affirmer qu’on trouve rarement un bon skieur, les disciples de l’École de Lilienfeld exceptés, qui en possède une autre.


FERMETURE KOSKI.

J’ai décrit, parmi le grand nombre des attaches existantes, les trois qui sont les plus connues et les plus employées en France, en Allemagne et en Autriche, celles qui sont en somme les formes types de toutes les autres. Il existe pour chacune d’elles un grand nombre de variétés. On a fait aussi une combinaison des divers systèmes. Parmi les plus heureuses, on peut donner celle de Ellefsen[2] qui est une combinaison de l’attache à mâchoires et de l’attache à semelle et qui est employée par de très bons skieurs.

En résumé, il ressort de ce qui précède que l’attache que l’auteur préfère est celle de Huitfeld ; elle ne fait pas du premier venu un bon skieur, elle ne garantit pas absolument contre les accidents, mais, jusqu’à ce qu’on ait trouvé quelque chose de meilleur, elle peut être considérée comme la préférable.


La canne — Deux cannes sont en montagne d’un excellent secours et sont également très utiles en plaine ; elles aident à augmenter l’allure. Plus que toute autre chose, en ce qui concerne le ski, la solution de la question de la canne est liée à l’âge du skieur. Les jeunes gens doivent de préférence marcher sans aide à la montée et à la descente. C’est ainsi qu’ils acquièrent, dans leurs muscles vivants, la résistance des corps inertes que sont les cannes. Ils obtiennent cette mobilité et cette souplesse dans les reins que ne peut atteindre celui qui est habitué à deux bâtons auxquels il est comme englué. L’indépendance vis-à-vis d’eux est une preuve sûre de l’habileté, et « l’embâtonnement » le plus grand péché possible contre l’esprit du ski. Mais celui qui n’a pas pour but de cultiver spécialement la beauté et l’élégance trouvera toujours en sa canne un bon ami.

Elle ne doit pas être un pieu comme les cannes de frêne de hauteur d’homme employées autrefois. Ce qu’il y a de mieux, c’est qu’elle arrive a l’épaule, et soit faite de bambou pas trop faible ou de bon noisetier soigneusement choisi. Avec un tel instrument, il est possible parfois de freiner quand les skis ne suffisent pas. Quand on peut l’employer alternativement à droite et à gauche, on reste son maître et on n’en dépend pas.

Les personnes d’un certain âge doivent aussi apprendre comment on peut faire reposer le poids du corps sur les hanches tout en se servant d’une seule canne. On possède cette technique quand on a l’habitude d’en utiliser deux et sans elle la marche du skieur devient une simple glissade. Le bâton ne doit pas être tenu obliquement devant le corps avec les deux mains, mais toujours avec une seule et de préférence verticalement.

Si on préfère deux bâtons, et c’est d’ailleurs le privilège de skieurs habiles, on les laisse traîner derrière soi attachés aux poignets par la courroie, ou bien on les porte en mains jusqu’à ce que leur emploi soit devenu nécessaire. Une paire de cannes doit être de
MODÈLES DE CANNES (FERRURES, BOIS ET RAQUETTES VARIÉES).
préférence plus courte qu’une canne unique, et elles ne doivent arriver dans ce cas que jusqu’à la poitrine.

Quand on gravit une montagne, on facilite sa marche en appuyant dans la neige avec celle qui se trouve du côté du pied inférieur, ainsi qu’avec une canne de promenade. C’est une façon très agréable de procéder, surtout lorsque le bâton est à sa partie supérieure bien arrondi et bien poli. D’ailleurs, avec le temps, le skieur apprendra de lui-même bien d’autres petits détails avantageux ; il en ressentira ainsi plus de satisfaction. Un ouvrage sur le ski doit stimuler seulement et donner une règle de conduite ; il doit laisser au lecteur et au skieur le soin de régler le reste. En particulier, les petits disques des cannes offrent de bonnes occasions d’exercer la réflexion de chacun et doivent empêcher celles-ci d’enfoncer dans la neige. Comme elles sortent de la fabrique, elles ne sont pas, en effet, toutes sans défauts. Une occupation utile et amusante, durant une ennuyeuse soirée d’hiver, consiste à consolider, avec des courroies graissées ou un fil de fer galvanisé, ces disques de roseau, de gutta-percha ou d’aluminium. Ils doivent être fixés solidement au bâton mais sans raideur, de façon que, même quand le bâton est incliné, comme par exemple, lorsqu’on se pousse en plaine dans une course rapide, ils restent toujours appliqués horizontalement sur la neige.

L’équipement — Quand on fait du ski depuis un certain temps, on sent la nécessité d’avoir un vêtement approprié à la neige, mais cette transformation doit se faire peu à peu et résulter d’un besoin réel. Celui qui, avant même de faire son apprentissage, court chez son tailleur, ne deviendra vraisemblablement jamais un grand disciple de notre sport. On doit d’abord se contenter de ce qu’on a. Celui qui, dans le courant de l’année, arrive petit à petit et par suite de l’expérience acquise à une organisation confortable, sera plus heureux que s’il achetait en une fois tous les accessoires jusque dans leurs plus petits détails, d’après un catalogue ou un livre, comme on le fait souvent.

L’équipement le meilleur est sans doute le vêtement appelé norvégien. Il est élégant et avant tout très masculin.

On ne peut accorder ces qualités au jersey blanc orné d’un monogramme de couleur que d’aucuns semblent préférer. Les jerseys ont d’ailleurs, comme tous les vêtements tricotés en laine, la désagréable propriété d’absorber et de retenir beaucoup de neige dans les chutes. Même dans le cas où les contacts avec celle-ci ne seraient pas trop fréquents, et ils ne sont pas le monopole des débutants, le jersey absorbe par un grand froid, au moyen des fibres de sa laine, les particules humides exhalées par le corps sous forme de givre. Pendant les froids modérés il est trop chaud ; il doit donc rester dans le sac et on ne doit l’en sortir et le mettre sous sa veste que comme préventif contre un refroidissement au repos, pendant les repas ou dans des cas analogues.

La plus grande faute commise par la plupart des gens est de s’habiller trop chaudement ; les mères, en particulier, trop soucieuses, surchargent inutilement leurs enfants. Le sport du ski active à un tel point la circulation que, à part un gilet un peu plus épais, on peut se contenter d’étoffes à peine plus chaudes que celles qu’on emploie en été pour les excursions en montagne. Beaucoup de parents seront stupéfaits d’entendre dire que leurs enfants doivent faire leurs courses de ski en pantalon et en bras de chemise, même sans casquette et que, si, après l’arrivée au but, ils se couvrent bien, cela ne leur fera pas de mal.

Ce qu’il y a de plus important dans un vêtement de ski, c’est l’étoffe. Elle doit être à mailles très serrées, ni trop légère ni trop lourde, et avant tout lisse, de façon que la neige s’en détache facilement. Une bonne étoffe sombre, à trame en biais et suffisamment souple, est très recommandable. Le vêtement doit ressembler comme coupe à une vareuse. Il ne faut pas de poches extérieures et, s’il y en a, il faut qu’elles soient bien fermées.

Les pantalons ne doivent pas être trop étroits. Une étroite bande molletière souvent bigarrée et qui apporte un peu de couleur au reste de la tenue, généralement sombre, rend hermétique l’intervalle qui le sépare de la chaussure.

Comme coiffure, la meilleure est la casquette norvégienne, qui peut être rabattue sur les oreilles. Par des temps très froids, il est bon d’employer le passe-montagne, sorte de bonnet en jersey recouvrant toute la tête et ne laissant d’ouverture que pour les yeux et le nez.

Pour les mains, il faut de longs gants épais à revers ; la laine convient bien mais elle est lourde quand elle est humide. De la toile à voile ou du cuir fourré tiennent plus chaud et sont plus imperméables. Les gants les meilleurs sont ceux de laine tricotée et assez légers. Lorsqu’il fait chaud, ils sont peut-être un peu trop perméables, mais, s’il fait froid, la neige qui les imprègne forme une sorte de carapace impénétrable et de beaucoup supérieure aux gants de laine épais, toujours humides.

Les vestons de cuir sont très bons pour garantir du vent et du froid, mais ceux qui transpirent facilement ne les porteront pas longtemps. Il est plutôt recommandé d’emporter suffisamment de linge et d’en changer souvent.

On peut faire à sa guise son choix parmi toutes ces indications et les différences de qualité des effets n’ont pas grande importance. Mais pour les pieds, surtout pour la chaussure, il y a une chose qu’on doit recommander tout spécialement : choisir toujours la première qualité, aussi bien en ce qui concerne le cuir que la forme. Sans une bottine vraiment bonne, faite spécialement pour cet usage, le skieur n’éprouve que la sensation d’un bain de pieds froid et prolongé ; avec une chaussure mal conditionnée, on peut avoir les pieds gelés, alors que d’autres ne ressentent que du plaisir et de la gaité. De toutes façons, il est préférable d’avoir des souliers faits par un spécialiste ; les marchandises confectionnées sont inférieures comme qualité et coûtent presque aussi cher. D’ailleurs, les souliers cousus à la machine ne sont pas aussi imperméables que les autres parce que la machine, en réunissant l’empeigne à la semelle, ne peut faire une piqûre aussi petite que le pourra le cordonnier avec son alêne et son ligneul.

Le soulier doit avoir une semelle forte et débordante, allant de la pointe au talon, pour avoir plus d’action sur les skis. Un renforcement de la pointe, au moyen d’une coiffe qui garantit les orteils contre une compression trop grande, ne peut être assez recommandé. C’est l’avantage de ce qu’on appelle le soulier Laupar, dans lequel l’élévation de la partie antérieure avait à l’origine pour but de ne pas laisser s’échapper le ski qui n’était assujetti que par la courroie de l’étrier. On peut aussi renforcer les souliers de forme ordinaire de façon que cette courroie ne blesse pas.

La bottine doit être assez large pour mettre deux paires de chaussettes de laine. Les pieds trop comprimés et dans lesquels le sang ne circule pas bien peuvent très facilement geler. Une paire de chaussettes de laine ou de soie, avec des bas de poil de chèvre par-dessus, remplissent extrêmement bien leur office et laissent le pied à sec. Elles absorbent l’humidité qui peut, avec les meilleurs souliers, provenir soit de l’intérieur, soit de l’extérieur.

Le cuir le plus convenable pour souliers à neige est le veau provenant d’animaux ayant plus de six semaines, sinon leur peau est trop mince ; celui des jeunes taureaux n’est pas non plus à recommander. Le cuir gras n’est autre chose que du veau dont on a obturé les pores au moyen de graisse liquide, il devient alors imperméable et souple, tandis que la peau de veau ou de mouton généralement tannée avec de l’alun est par conséquent hygrométrique. On doit fortement conseiller les bottines doublées de fourrure, pourvu que l’on use de peau de chien tannée d’un côté et à poil court. Elles sont très chaudes, mais il faut en avoir au moins deux paires, car la garniture de fourrure de l’intérieur demande, quand elle est devenue humide, au moins un jour pour bien sécher. Les gens qui transpirent beaucoup feront mieux de les éviter.

Les talons doivent être assez échancrés pour que la courroie puisse tenir sans autres artifices, tels que les vis ou les boucles cousues.

De légers clous sont nécessaires sous la semelle ; car, si on arrive sur la glace, il faut enlever les skis, et les semelles unies sont très dangereuses. En tout cas, il ne faut reculer, dans le choix des bottines et des bas, ni devant le temps, ni devant la dépense pour obtenir la meilleure qualité. Le soulier est encore plus important que le ski[3].

Dans le vêtement féminin, on s’achemine de plus en plus vers une tenue aussi simple que possible. Ceci est dû aussi à une influence norvégienne, quoiqu’il soit impossible là-bas qu’une femme fasse du ski en pantalons à cause du qu’en-dira-t-on. Et cependant un vêtement complètement dépourvu de tout luxe, avec une jaquette simple sous laquelle se porte une blouse et un pantalon tout aussi simple, ni large ni bouffant, qui va jusqu’au-dessus des genoux et se continue par une bande molletière, a très bon aspect.

Ce dernier équipement est très seyant pour les jeunes femmes et l’œil est déjà presque habitué à les voir porter des pantalons bouffants recouverts d’une jupe courte descendant jusqu’au genou ; somme toute, il est préférable d’avoir un vêtement dégageant bien les jambes. Cette tenue est aussi indiquée pour les femmes dont les lignes sont plutôt à dissimuler qu’à accentuer, mais il faut remarquer qu’à partir d’un certain âge, le port du pantalon ne rajeunit jamais ; tout cela est affaire de goût personnel.

Qui veut avoir avant tout quelque chose de pratique — et le pantalon est ce qu’il y a de plus pratique pour faire du ski — peut songer que, si l’esthétique n’y trouve peut-être pas son compte, ce sport s’en trouve pourtant facilité. Pour les jeunes femmes, il convient toujours de dissimuler dans le vêtement la ligne des hanches : avec une ceinture de cuir fortement serrée, une jaquette et un pantalon bouffant elles ont l’air extraordinairement négligé. Au reste, à ski aussi, du moins tant qu’on n’en a pas aux pieds, l’habit fait le moine !

Le sac. — Que de malédictions n’a-t-il pas endurées déjà ce sac qu’on doit porter partout et toujours ! Mais qu’une halte soit faite, si on en retire des choses agréables, on lui pardonne bien vivement son poids encombrant. Rien n’est aussi ennuyeux, lorsqu’on ouvre un sac pesant, que de n’y point trouver l’objet a priori insignifiant dont a justement besoin : une courroie pour réparer une attache, ou du « fart »[4] si la neige colle et que l’on soit sur le point de descendre, ou encore des allumettes si on a l’intention de prendre une tasse de café.

Le sac doit donc contenir tout ce dont on a besoin pendant une excursion, même ce dont on pourrait se passer peut-être, mais qui est susceptible de devenir indispensable. D’autre part, on ne doit pas évidemment y mettre ce qui le surchargerait inutilement.

Les objets utiles à emporter dépendent beaucoup de nos besoins, de la durée de l’excursion, du degré de notre endurcissement au vent et au froid et de la capacité de résistance à la faim et à la soif. Mais il y a cependant des choses absolument indispensables, ce sont : deux longues courroies de cuir graissé et un outil de réparation, puis quelques bandes et un peu d’ouate comme objets de pansement, des épingles de sûreté, un gros foulard, un jersey, un peu de ficelle, des lacets de souliers en cuir, une paire de gants de réserve, deux paires de chaussettes, une lanterne, des bougies et des allumettes (de préférence des tisons), de quoi soigner des écorchures, des provisions, des lunettes à neige, une boussole et une carte.

Un sac fatigue moins s’il a de larges courroies que s’il en a d’étroites ; il est plus facile d’y faire des recherches s’il se compose d’une seule poche, enfin il doit être fait, autant que possible, d’étoffe imperméable ; les objets y restent plus secs et même, dans ce cas, ils ne sont pas tout à fait à l’abri d’un brouillard épais ou d’une tempête de neige.

La neige. — La neige est, pour la plupart des skieurs, une chose si naturelle qu’on n’en parle pas en général, tout au plus quand elle est absente ou quand elle « colle ». Dans le premier cas, les baromètres sont tapotés en pure perte d’ailleurs, dans le deuxième on sort de la cire, de la paraffine et d’autres moyens de graissage analogues, extraits de boites ou de tubes et on en frotte les malheureux skis qui n’en peuvent mais.

Nos yeux sont trop grossiers pour voir tout d’abord ce qu’il y a de merveilleux dans la neige. Il y a déjà cent ans, Scoresby, l’explorateur de la zone arctique, a découvert et représenté cent formes différentes de cristaux de neige.

Dans l’arrangement cellulaire des organismes inférieurs se trouve une collection d’échantillons impossibles à créer, contenant les plus précieux modèles de dentelles, et à côté desquels les plus fines de celles de Flandre ne sont qu’un mauvais et grossier ouvrage. On découvre également, dans les innombrables formes cristallines des flocons de neige, une foule de secrets d’architecture gracieuse et délicate. Une seule loi fondamentale les régit toutes. C’est le nombre six : les petites étoiles, les colonnes, les pyramides, les petites feuilles, les lances, les prismes sont tous hexagonaux. Certains d’entre eux ont des noyaux sphériques garnis de piquants qui les font ressembler à de petits hérissons blancs. D’autres ont, sur un disque hexagonal. Un bouquet d’innombrables fils et pointes, de telle sorte qu’on croit avoir devant soi une corbeille de fleurs célestes. D’autres encore ressemblent presque à une décoration en miniature, de celles que beaucoup de gens souhaitent en plus gros à leur boutonnière au lieu d’un ornement blanc et fondant sur une manche sombre.

Mais elles ne sont pas seulement belles, les fleurs vaporeuses de l’atmosphère d’hiver, elles parlent aussi leur langage propre. Elles révèlent au chercheur presque aussi complètement qu’un ballon enregistreur, les régions chaudes et froides qu’elles ont traversées, et, à leur forme, on peut lire leurs petites aventures, on peut savoir combien de fois, en route, elles ont été fondues, puis, de nouveau, cristallisées.

Quand ces délicates fleurs de glace tombent sur la terre par trillions de myriades, elles constituent d’abord le mince et blanc tapis qui s’étend doucement sur les collines et leurs pentes ; neige-t-il davantage, il se forme sur les montagnes les légers coussins de duvet composés aux trois quarts d’air et d’un quart seulement de fines plumes de glace, et s’il neige plus encore, tout l’air s’échappe lentement de cette sorte de coussin par suite de la pression qui augmente peu à peu. Il en résulte un matelas compact et épais qui pèse quinze quintaux au mètre cube. Enfin, si le soleil ne s’est pas caché avec le début de l’hiver, se forme la glace dure et bleuâtre des glaciers.

Tous ces états sont connus, et avec de nombreuses variantes, de ceux que guident non seulement leurs jambes mais aussi leurs yeux. Par exemple, la neige pulvérulente, qui pendant la nuit remet tout à neuf ; la neige collante, qui n’est ni assez sèche ni assez humide et qui est l’ennemie de tous les commençants ; la neige granuleuse, qui pendant la journée adhère aussi fortement aux skis que la précédente ; la neige en couches, dure comme la pierre, mais encore plane et qui peut porter le skieur, ou celle qui lui ressemble, la neige recouverte d’une simple croûte. Cette dernière, il est vrai, porte aussi, mais d’ordinaire casse juste quand on veut faire un de ces Christiania qui réussissent si bien sur la neige dure.

On voit encore les croupes neigeuses travaillées par la tempête, qui se présentent en belles lignes incurvées et superposées les unes aux autres, comme des coquilles calcaires ; la neige dont la surface présente des écailles rondes comme de l’argent ou de l’or véritables, les vallonnements hérissés de monticules gelés sur lesquels les skis craquent, et cette neige que l’on trouve sur les sommets battus par la tempête, et qui est la moins propice aux chutes, parce qu’on s’écorche les mains à travers les gants à leur dentelure et à leurs couteaux de glace tranchants et verticaux ; la neige lourde et farineuse, dans laquelle ce n’est qu’un si médiocre agrément de « faire la trace » qu’on préfère toujours céder le pas à ses compagnons ; la neige légère et ténue qu’on trouve parfois au printemps et dans laquelle on enfonce jusqu’au genou, sans que la marche soit réellement gênée, ou enfin, lorsque le soleil du printemps luit très chaud sur de la vieille neige profonde et tassée, cette masse humide sur laquelle les skis courent comme affolés et sur laquelle il est inutile de tomber deux fois parce qu’à la première, déjà, le bain a été complet.

Mais il faut souhaiter à celui qui veut connaître les joyeuses émotions sportives, un mince et léger tapis de neige nouvelle, pulvérulente, recouvrant une vieille neige mouillée ; ces deux couches doivent avoir bien gelé ensemble, et comme nec plus ultra il doit y avoir par-dessus un soupçon de neige fraîche. Celui qui ne se déclare pas pleinement satisfait dans ce cas est sans espoir perdu pour le ski.


Elle colle ! — Les visages tristes et lamentables des gens, surtout des débutants, qui, dès le matin sur leurs skis, sont devant leur hôtel et se disent les uns aux autres, avec une visible mauvaise humeur, « Elle colle ! » rappellent l’exclamation dépitée de l’enfant : « Plume pourquoi n’écris-tu pas bien ? » Tous sont convaincus que la neige est seule coupable et ils considèrent comme une ironie vivante le skieur exercé qui, malgré la neige collante, file joyeusement devant eux.

« Que font donc ces gens-là ? » dit une dame qui commence à douter d’elle-même et, moitié indignée, moitié nerveuse, suit du regard celui qui va gaiement là-bas. Ce n’est pas difficile d’apprendre ce que font ces gens-là, seulement il faut s’en donner la peine. Celui qui préfère, par exemple, chaque fois qu’il aura à boucler ses skis, faire chercher un garçon d’hôtel, se plaindra souvent de la neige collante.

La première chose à faire est de graisser les skis ; un ski colle si l’humidité qui se forme au-dessous de lui gèle rapidement et la neige adhère à cette mince couche de glace. Naturellement ce fait se produit plus facilement encore lorsque l’humidité peut pénétrer dans le bois et congèle sa partie inférieure. La meilleure façon d’empêcher ce résultat est d’imprégner le plus intimement possible le bois d’huile de lin mélangée de pétrole dans les proportions de 2 à 1. Le bois absorbe davantage à chaud qu’à froid.

Cette opération doit être effectuée d’abord au début de l’hiver, puis plusieurs fois dans la saison.

On place l’huile sur le ski, maintenu horizontalement sur deux chaises. Après plusieurs heures, et avant de passer la couche suivante, on ôte doucement, avec un morceau de verre ou une lame d’acier, ce qui n’a pas pénétré dans les pores du bois et qui s’est desséché en forme de petites bulles.

Des skis préparés de cette façon collent rarement si on observe encore ce qui suit :

Lorsqu’ils sont plus chauds que la neige, cette dernière fond au contact du bois, il en résulte une couche de glace et le collage commence. Donc, celui qui met ses skis immédiatement au sortir de chez lui peut être sûr que « ça ne glissera pas ». Aussi faut-il avant tout qu’ils soient suffisamment refroidis.

Mais très souvent, la neige colle aussi parce que certains skieurs ne laissent pas leurs skis sur elle et les soulèvent à chaque pas comme une raquette : on doit glisser mais non marcher. La différence de température entre la neige et l’air s’élève souvent, surtout dans les environs du zéro, à 1 degré ou 1 degré 1/2. Elle peut suffire pour faire naître sur la surface glissante, et sous l’action persistante de l’humidité, une couche de glace. En outre, le glissement empêche le « collage » de la neige, parce qu’il arrache facilement du bois graissé une couche de glace même assez forte.

Un mélange intime et en parties égales de goudron végétal et de suif, fondu à plusieurs reprises sur les skis, avec une lampe à souder, produit un effet analogue mais plus énergique que celui de l’huile de lin. C’est là le meilleur des moyens employés par les Norvégiens contre cet inconvénient. Il a l’avantage de tenir presque tout l’hiver et aussi de ne pas rendre la montée plus pénible.

Si le fart a rendu les skis trop glissants et si l’on recule trop facilement, il vaut mieux durant un certain temps gravir la pente au moyen de pas en escalier que de saisir de suite son couteau pour gratter la cire. La neige se charge de vous débarrasser de l’excédent avec beaucoup plus de mesure.

Tous les graissages préparés ont un inconvénient, que ce soit le fart ou une graisse liquide que l’on place légèrement sur le ski, puis que l’on étend et que l’on polit avec un chiffon : ils ne tiennent pas longtemps, ni les uns ni les autres. En particulier la cire liquide n’existe souvent déjà plus au bout d’une demi-heure. De temps en temps il faut avoir recours à ce moyen, mais seulement quand il est impossible de faire autrement.

Il y a, d’ailleurs, de la neige avec laquelle tous les moyens sont à peu près inutiles. Par un grand froid aussi, les skis peuvent coller : ce n’est pas précisément que de minute en minute ils deviennent plus lourds de quelques livres de neige, mais ils ne glissent plus bien. Cependant, dans ce cas, il faut se consoler avec Sverdrup qui dans son « Neuland » affirme qu’il connaît des centaines de sortes de neige, mais qu’il ne peut pas encore dire a priori avec certitude quand la neige colle et quand elle ne colle pas, ni comment on doit agir dans les cas où elle colle de façon particulièrement pénible.

Il peut aussi arriver qu’à une descente, malgré le maniement le plus consciencieux de nos skis, un ami passe devant nous sans embarras, et nous distance de plus en plus sans que nous puissions arriver à nous expliquer de quoi peuvent bien dépendre d’une part cette aisance complète et d’autre part ces nombreuses difficultés.

  1. Balata : bande épaisse en poil de chameau.
  2. Une modification très ingénieuse de la boucle d’Ellefsen est celle imaginée par de Conninck (Koski).

    Sa supériorité sur les autres attaches réside en ce que la courroie du talon peut être ou n’être pas une courroie sans fin. Par suite il sera plus facile de s’en débarrasser en cas de chute afin de quitter son ski.

    Le levier peut s’ouvrir de lui-même parfois, mais dans ce cas l’anneau est retenu par la griffe (a) qui l’empêche de se détacher fortuitement.

  3. La meilleure manière de se chausser consiste à mettre sur des chaussures solides et lacées de simples chaussons de drap. Ceux-ci s’imprègnent de neige, gèlent un peu à la surface et deviennent tout à fait imperméables. Ils ont d’ailleurs fait leurs preuves dans les écoles régimentaires où, depuis qu’ils sont employés, on n’a plus eu à déplorer un seul pied gelé.
  4. Le « fart », d’importation norvégienne, est un mélange de paraffine et de substance colorée, généralement verte. Ce mélange solide est facile à emporter et produit un excellent effet.