Bray et Rétaux (tome 1p. v-xi).


PRÉFACE



LA FRANCE ET PARIS.


Cet ouvrage pourrait aussi bien s’appeler le Livre d’or de la France et un peu de l’Europe, car il comprend dans les Biographies plusieurs de ces hommes illustres qui, nés dans une autre contrée, par leur renom universel ne sauraient plus être considérés par nous comme des étrangers, et que Paris semble avoir adoptés comme siens en inscrivant leurs noms sur ses murailles. Ainsi a-t-il fait pour Raphaël, Michel-Ange, Titien, Beethoven, Mozart, etc., ces représentants fameux de l’art dont la gloire appartient au monde entier.

Notre livre se compose de deux parties fort distinctes : la première renferme les Biographies développées des personnages célèbres qui ont donné leur nom à telle ou telle des rues de Paris, et dont la vie offre un intérêt particulier en même temps qu’un utile enseignement. Cette Galerie comprend tous les genres d’illustrations, mais surtout les illustrations pacifiques, prélats et simples prêtres, orateurs sacrés et profanes, poètes, littérateurs, médecins, artistes, savants, artisans, etc., et aussi des guerriers, mais en petit nombre, et qui n’avaient pu trouver place dans la France héroïque ou les Marins Français. Ce livre, qui contraste ainsi avec les précédents, n’offrira pas, croyons-nous, un moins vif intérêt par la continuelle variété des épisodes et des caractères.

Cet intérêt ne pourra que s’augmenter par notre Seconde Partie qui rappelle, dans l’ordre alphabétique, les rues dont l’origine plus ou moins ancienne offre des particularités curieuses et sur lesquelles les nombreux ouvrages par nous consultés ont pu nous renseigner. On a dû passer sous silence, pour ne pas grossir inutilement le volume, les rues dont l’origine était inconnue, comme celles dont la dénomination toute banale n’avait pas besoin d’explication : rue de l’Église, rue du Chemin de Fer, etc. Nous avons fait de même pour les désignations ayant à nos yeux un caractère transitoire et qui tiennent à nos vicissitudes politiques, hélas ! trop fréquentes. Dans ce Dictionnaire, pour être plus complet, nous avons fait figurer, avec la date de la naissance et de la mort, et quelquefois un commentaire, les noms des personnages célèbres à des titres divers et qui, pour un motif ou pour un autre, n’avaient pu prendre place dans les Biographies.

Quant aux Saints et Saintes en si grand nombre qui, grâce à la piété de nos pères, ont donné leurs noms aux rues de Paris, nous avons dû, pour ne pas grossir outre mesure ce recueil, nous borner à quelques-uns des plus célèbres entre ceux dont la France s’honore. L’hagiographie d’ailleurs n’avait point été jusqu’alors le but de nos études, et pareils sujets ne se doivent pas traiter à la légère.

Nous n’avons rien négligé en un mot pour que ce nouvel ouvrage, littérairement et historiquement, ne fût en rien inférieur aux précédents ; et nous espérons pour lui, Dieu aidant, le même et favorable accueil du public.

Au moment de déposer la plume, à l’esprit nous revient un curieux passage d’un écrivain célèbre, passage cité plus d’une fois sans doute, mais qui nous paraît intéressant à reproduire sauf réserves ; car de récents et lamentables événements lui donnent un caractère singulier d’actualité :

Je ne veux pas oublier ceci, dit Montaigne, que je ne me mutine jamais tant contre la France que je ne regarde Paris de bon œil : elle a mon cœur dès mon enfance ; et m’en est advenu comme des choses excellentes ; plus j’ai vu depuis d’autres villes belles, plus la beauté de celle-ci peut et gagne sur mon affection : je l’aime par elle-même, et plus en son être seul que rechargée de pompe étrangère : je l’aime tendrement, jusques à ses verrues et à ses taches : Je ne suis Français que par cette grande cité, grande en peuples, grande en félicité de son assiette, mais surtout grande et incomparable en variété et diversité de commodités, la gloire de la France et l’un des plus nobles ornements du monde. Dieu en chasse loin nos divisions ! Entière et unie, je la trouve défendue de toute autre violence : je l’advise que de tous les partis le pire sera celui qui la mettra en discorde ; et ne crains pour elle qu’elle-même ; et crains pour elle certes autant que pour autre pièce de cet État. Tant qu’elle durera, je n’aurai faute de retraite où rendre mes abbois ; suffisante à me faire perdre le regret de tout autre retraite. »

Sauf le passage souligné, volontiers on applaudit à cette opinion de l’auteur des Essais sur Paris, mais sans l’aimer d’une tendresse aussi exclusive. On ne peut se dissimuler qu’à ce tableau flatteur il soit un revers de médaille indiqué d’ailleurs par Montaigne, et qui en certains temps diminue beaucoup le charme de la résidence dans Paris : c’est cet esprit d’inquiétude, cette fièvre d’agitation qui, depuis les grandes commotions populaires, comme s’expriment les chroniques, du règne des Valois, semble endémique dans la capitale, battue soudain par les vents d’orage, et attristée même par les plus tragiques scènes. Inutile d’entrer à ce sujet dans des détails qui nous exposeraient à des redites ; il suffira d’ajouter que, depuis près d’un siècle surtout, la grande ville, où l’on trouve tant à louer et admirer au point de vue des arts, des lettres et des sciences, comme aussi des œuvres du dévouement et de la charité, si multipliées et si florissantes, trop souvent ne s’est pas tenue assez en garde contre de fatals courants et, par une initiative téméraire, qui s’imposait violemment à la France, elle a mis en péril les destinées de notre cher pays.

Aussi, quoique Paris nous tienne fort au cœur, il ne saurait être pour nous toute la patrie, nous faire oublier et dédaigner cette noble France qui nous est d’autant plus chère qu’elle a plus souffert. Car combien n’aime-t-on pas davantage une mère qu’on voit éprouvée et malheureuse ! Aussi, c’est à la France à bien dire que notre ouvrage est consacré pour la meilleure partie, puisque le plus grand nombre de ces Illustres dont on lira les Biographies naquirent dans des villes ou villages de la province, et parfois leur vie s’y est écoulée tout entière. Plusieurs du moins, après de longues années passées dans les agitations de la grande cité, sont revenus mourir au lieu de leur naissance. Comme tel glorieux poète, ils ont voulu dormir leur dernier sommeil sous le ciel où fut leur berceau, reposer près de la vieille église où, dans la candeur de l’enfance, ils avaient prié, à l’ombre de ce clocher ou mieux de cette croix sainte qui leur était, en fermant les yeux, un gage assuré du suprême réveil !

::....... Non ! ne m’élevez rien !

Mais près des lieux où dort l’humble espoir du chrétien,
Creusez-moi dans ces champs la couche que j’envie,
Et ce dernier sillon où germe une autre vie !
...............
Là, sous des cieux connus, sous ces collines sombres,
Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres,
Plus près du sol natal, de l’air et du soleil,
D’un sommeil plus léger j’attendrai le réveil[1].

En terminant, nous dirons avec un vieil auteur[2] :

« Et supplie et requière tant humblement que je puis, à tous ceux qui le verront et orront, que si aucune chose y a digne de répréhension ou correction, il leur plaise, en suppléant à mon ignorance, de moi avoir et tenir pour excusé, attendu que ce qui par moi a été fait, dit et rédigé par écrit, l’ai fait le mieux et le plus véritablement que j’ai pu et sans aucune faveur, pour recordation et mémoire de choses dessus dites. »


  1. Lamartine : Milly ou la Terre natale.
  2. Lefèvre de Saint-Remy : Mémoires, de 1407 à 1435.