Bray et Rétaux (tome 1p. 229-232).


COCHIN



Cette rue, nous la mentionnons seulement pour mémoire, puisque, de création récente, elle a disparu déjà par suite des démolitions. Son nom lui avait été donné en souvenir d’un contemporain, d’un homme de bien, Jean-Denys-Marie Cochin, né à Paris le 14 juillet 1789 (jour de la prise de la Bastille), et qui fut successivement maire, conseiller municipal, député du XIIe arrondissement, administrateur des hospices, du Mont-de-Piété, etc.

On lui dut la première salle d’asile et, pour le XIIe arrondissement, des améliorations précieuses : la canalisation de la Bièvre, le grand réservoir de l’Estrapade, l’élargissement des boulevards extérieurs, etc. « Mais les salles d’asile et les écoles gratuites, dit M. Louis Lazare, eurent toujours sa première pensée et ses soins les plus actifs et les plus constants. Il sentait que, pour régénérer une pauvre et ignorante population, il fallait la prendre au berceau ; dans de nombreux écrits, il s’efforça d’enseigner aux autres les devoirs qu’il pratiquait si bien. »

— Je n’ai qu’un regret, dit-il en mourant jeune encore (18 août 1841), celui de n’avoir pu réaliser tout le bien qui était dans mon cœur !

Ce nom de Cochin, donné pareillement à l’hôpital presque voisin, rappelle un bienfaiteur de l’humanité, un de ses héros, devrais-je dire, un prêtre vénérable, mort curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, le 3 juin 1783. Il était né non loin de cette église, le 17 janvier 1726. Tout enfant, il reçut les éléments de l’instruction du supérieur général des Chartreux, et sa vocation religieuse s’étant manifestée, il fut admis au séminaire de Saint-Magloire, d’où il sortit docteur. Sa science ne le rendit point orgueilleux, et volontiers il laissait ses livres pour la visite des pauvres et des malades.

Ses vertus le firent nommer jeune encore (il n’avait pas trente ans) à la cure de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, où son zèle devait se manifester d’une façon si admirable. Dans le courant de l’année 1765, une épidémie de petite vérole éclata dans Paris avec une violence terrible, qui faisait de la contagion un fléau non moins redoutable que la peste ou le choléra, avant que la précieuse découverte de Jenner (la vaccine) fût venue neutraliser ses ravages. La maladie sévissait tout particulièrement sur la paroisse dont était curé le bon abbé Cochin, qui, le jour et la nuit, se dévouait pour le service corporel et spirituel des malades. Ses amis, voyant sa fatigue, s’inquiétèrent ; ils lui représentèrent vivement le danger auquel il s’exposait, en ajoutant qu’il serait prudent, qu’il serait sage à lui de laisser le soin de visiter les malades atteints de la variole à ceux de ses vicaires qui déjà avaient subi l’influence de la maladie.

— À Dieu ne plaise ! répondit le généreux pasteur. Que penseriez-vous d’un soldat qui demanderait son congé en temps de guerre, ou déserterait, par peur du péril, en face de l’ennemi ?

Il continua de visiter assiduement les malades, et par une sorte de miracle, sans cesse au milieu de cette atmosphère empoisonnée, n’en reçut aucune atteinte. Mais quelques années après, en 1771, dans des circonstances semblables, il n’en fut point de même, et le bon curé, cette fois, obtint presque cette couronne du martyr qu’ambitionnait son dévouement ; il tomba malade à son tour de la petite vérole. Les prières sans doute de ses chers paroissiens, de ses enfants, firent violence au ciel, et longtemps entre la vie et la mort, l’abbé Cochin guérit, mais sa santé resta gravement altérée, au point qu’à deux reprises, il voulut se démettre de ses fonctions. La paroisse aussi se ressentit longtemps du passage du fléau, d’autant plus que le faubourg Saint-Jacques était surtout peuplé par des familles d’ouvriers travaillant dans les carrières voisines. Cependant il ne se trouvait point d’hôpital, pas même d’infirmerie dans tout le quartier ; il fallait porter les malades, les blessés mêmes à l’Hôtel-Dieu, et trop souvent le transport, avec les retards qu’il entraînait, devenait fatal aux infortunés.

Le bon curé s’en émut, et il résolut de doter sa paroisse d’un hospice. Il possédait un patrimoine d’un revenu d’environ 1,500 livres qu’il vendit, et avec cet argent il acheta un terrain sur lequel s’éleva, d’après les plans de l’architecte Viel, son ami, un établissement qui fut appelé, suivant le désir du fondateur, simplement : Hospice de la paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Commencé en 1779, l’édifice fut bâti avec rapidité et il était terminé en moins de quatre années, vers 1782, peu de temps avant la mort du zélé pasteur, tranquille sur l’avenir de la fondation, assurée par une dotation de quinze mille livres de revenu due à des âmes charitables.

Une circonstance touchante, relative à la pose de la première pierre de cette maison, ne doit pas être oubliée.

On ne choisit point, comme il est assez d’usage pour cette solennité, un personnage considérable selon le monde ; mais, par une pieuse inspiration du curé, deux pauvres de la paroisse, furent élus à cet effet en assemblée générale de charité comme les plus recommandables par leurs vertus.

Non moins instruit que pieux et zélé, l’abbé Cochin trouvait le temps, au milieu des occupations si nombreuses que lui créait la charité, de composer, en outre de ses prônes et instructions, des ouvrages, ayant pour but l’édification, mais dont la publication effrayait sa modestie. « Ce fut avec beaucoup de peine, dit M. A. Biot dans sa Notice, que de son vivant il livra à l’impression quelques opuscules. Il avait recommandé par son testament de ne pas mettre au jour ses manuscrits ; ses héritiers jugèrent à propos de ne pas se conformer sur ce point à ses intentions. Le produit de ses œuvres posthumes fut consacré à l’hospice Cochin. »