Les principaux monuments funéraires/Introduction

INTRODUCTION.




Nous devons aux Grecs, aux Romains et aux Égyptiens ces grandes leçons de philosophie qui, depuis le moyen âge, ont en quelque sorte servi de base à la civilisation des autres nations.

Indépendamment de leur héroïque valeur dans les combats, et de l’excellence de leurs lois, ils ont encore été nos maîtres dans l’art de l’architecture, et nous ont donné l’exemple du respect et de la vénération qu’ils avaient pour les cendres de leurs ancêtres en élevant à leur mémoire de superbes monumens.

L’établissement des cimetières qui environnent la capitale ne date guère que de trente ans : c’est une de ces hautes conceptions qui caractérisent la civilisation nouvelle, et que le respect dû aux dépouilles mortelles le progrès des mœurs et de la salubrité, réclamaient depuis long-temps.

Les monumens épars que jadis on remarquait dans les églises, et qui, malgré la sainteté du lieu, n’attestaient pas toujours les vertus et la piété des défunts, étaient élevés sur des caveaux infects, d’où la fétidité se frayant un passage, s’exhalait au travers des joints des dalles qui les environnaient.

D’étroits cimetières adossés extérieurement aux églises paroissiales destinés aux inhumations de la classe moyenne étaient encore plus dangereux : les miasmes putrides qui s’élevaient constamment des sépultures, répandaient sur les habitations voisines une odeur pestilentielle.

L’indigent qui expirait sur son grabat était furtivement déposé dans une bière banale, et transporté dans une espèce de catacombe connue (quoique dans l’intérieur de Paris) sous le nom de Clamart ; là, dépouillé du cercueil qu’on lui avait seulement prêté pour faciliter le transport, on le descendait, à l’aide de cordes, dans une fosse profonde, qui offrait l’aspect d’une carrière, et sa dépouille entassée sur un millier de corps, était à peine recouverte d’un peu de sable.

Aujourd’hui, une merveilleuse métamorphose a fait disparaître cette coutume barbare : les asiles funéraires établis sur divers points et hors des murs de cette vaste cité sont communs à toutes les classes ; l’homme jouit enfin de sa dignité, et ses restes ne seront plus condamnés à un éternel oubli ; n’importe quel degré d’utilité il eut dans l’existence sociale, il repose près de celui qui posséda pendant sa vie les plus hautes distinctions. Là, le néant des grandeurs met le prolétaire au niveau de l’homme opulent, la seule différence n’existe réellement que dans le marbre et l’épitaphe dorée qui brille sur la tombe de ce dernier, et la modeste croix en bois noirci plantée sur la fosse du premier ; un épais feuillage abrite également leur dernière demeure, l’odeur suave qui s’exhale de mille fleurs qui les environnent y parfume le même air.

Ainsi cette amélioration, si essentielle dans nos mœurs, en détruisant d’antiques préjugés, a produit sur la population de la capitale un effet miraculeux : le séjour des morts, qui par sa tristesse et son insalubrité lui inspirait une invincible horreur, transformé depuis en un vaste Élysée où la nature et l’art prodiguent leurs richesses, est devenu pour elle une promenade pleine d’attraits ; elle visite familièrement ces asiles du trépas dont autrefois elle redoutait l’approche ; elle contemple les tombeaux et surtout leurs inscriptions, dont la plupart offrent de belles pages de l’histoire, de salutaires exemples, et des leçons d’une morale pure, avec le plus touchant intérêt et le plus profond recueillement.

Ces lieux, qui renferment les restes de la population moderne exposés au culte respectueux de la génération nouvelle, sont l’image d’une nouvelle vie : dans ces parterres émaillés de fleurs qui précèdent ou entourent les monumens, plus d’une épouse, que la mort n’a pu séparer d’un époux adoré, vient fréquemment s’asseoir près de sa tombe, sur le banc qu’elle a fait construire, et par une conversation muette qui n’en exprime pas moins toute sa pensée, elle semble s’entretenir avec lui pendant plusieurs heures. C’est là qu’une tendre mère arrose de ses pleurs le tombeau d’un fils qu’une mort prématurée lui a enlevé ; qu’un fils respectueux vient rendre hommage à la mémoire de son vertueux père ; qu’une fille inconsolable baigne de ses larmes des couronnes d’immortelles qu’elle place sur la sépulture de sa mère ; enfin chacun y honore l’objet de ses affections et s’acquitte avec vénération de ce tribut de la nature et du cœur.

Le plus vaste des cimetières, et celui qui contient le plus grand nombre de monumens remarquables, c’est celui du Père Lachaise. En 1805, on n’y comptait que quatorze pierres tumulaires, parmi lesquelles était placée celle qui désignait la sépulture d’Arnaud Baculard, littérateur distingué, auteur des Épreuves du Sentiment et du Comte de Comminges. Le premier monument en marbre qui y parut fut érigé à la mémoire de M. Lenoir-Dufrêne, célèbre manufacturier, décédé en 1806, et la première chapelle y fut construite dans le même temps, et consacrée à la sépulture de la famille Greffulhe.

Depuis cette époque, les constructions se sont multipliées avec une telle rapidité que l’on y compte aujourd’hui quarante mille tombeaux, y compris les pierres tumulaires.

Ces nombreux mausolées, qui, par la variété du style, réunissent les genres d’architecture de toutes les époques et de toutes les nations, offrent l’aspect d’une vaste cité, bâtie en amphithéâtre sur la pente d’une colline, et à l’embellissement de laquelle l’art semble avoir prodigué avec profusion toutes ses ressources.

C’est surtout au sommet et sur le plateau de cette colline que sont les constructions les plus remarquables : là, un obélisque contient à sa base les cendres d’un héros qui, par sa valeur et son courage, soutint avec honneur la gloire du nom français.

Ici, sous une colonne grecque, repose un magistrat intègre qui ne transigea jamais avec sa conscience, embrassa courageusement la cause de l’innocence opprimée, même au péril de sa vie, qu’il consacra tout entière à la défense et à la stricte exécution des lois.

À côté, sous une borne romaine, est inhumé on artiste célèbre dans la carrière des beaux-arts, qui, par ses doctes pinceaux, porta la peinture à son plus haut degré de perfection, et enrichit la France de ses savantes productions.

Plus loin, on aperçoit la statue d’un intrépide guerrier, d’un législateur incorruptible, qui, par son éloquence et son courage, défendit et protégea les libertés publiques ; sa mort fut un véritable fléau pour la patrie : son monument, élevé par l’estime et la reconnaissance de ses concitoyens, est d’une haute dimension ; mais il est bien loin d’égaler les éminentes vertus qu’il possédait.

On descend malgré soi du haut de cette enceinte : la richesse des monumens, la beauté des sites et la perspective de Paris et de ses environs semblent enchaîner les pas des nombreux observateurs qui sont encore forcés de s’arrêter sur le penchant de la colline : c’est là, non loin de la grande chapelle du cimetière, que sont contenus, dans des monumens d’un excellent goût, les restes de ces artistes célèbres qui ont illustré la scène française, Talma, Saint-Prix, Raucourt, Contât, Bourgoin, etc.

Non loin de ces favoris de Melpomène, le père de la comédie, le grand Molière, jouit enfin des honneurs de la sépulture auprès de son ami le bon La Fontaine.

Les cimetières de Montmartre et du Mont-Parnasse offrent aussi des sites délicieux, des accidens pittoresques et de magnifiques points de vue qui font le charme de leur situation. Il y a quelques années qu’on ne voyait dans ces lieux que quelques monumens épars, même peu remarquables : ce vide affreux qui ajoutait à la tristesse qu’inspiraient ces asiles funèbres, et qui provenait de la préférence accordée au cimetière du Père Lachaise pour les concessions à perpétuité, a totalement disparu : la plus grande activité règne maintenant dans les constructions ; de riches monumens s’y élèvent avec célérité, et seront des documens aussi utiles que précieux pour la publication complète de cet ouvrage.

La nature et l’art, qui semblent étroitement unis pour bannir de ces asiles funéraires la monotonie et la tristesse, et contribuer à leur embellissement, ont produit tant de merveilles que la plume la mieux exercée ne pourrait les décrire que superficiellement : l’art du dessin était seul capable de reproduire fidèlement ces images grandioses, ces nombreux chefs-d’œuvre. Aussi dans cet ouvrage la plume n’est-elle que l’auxiliaire du crayon.