Les principaux monuments funéraires/Beaumarchais

LE COMTE DE RIBES.
BEAUMARCHAIS.




Ribes (Jean, comte de), naquit à Paris, le 31 août 1750. Son père, qui se nommait également Jean, comte de Ribes, était banquier, et jouissait d’une grande fortune ; il profita des heureuses dispositions de son fils, auquel il avait fait faire d’excellentes études, pour l’introduire dans la carrière financière.

Le jeune de Ribes devint trésorier de la généralité du Roussillon ; mais à l’époque de la révolution de 1789 il passa en Angleterre, où il se livra avec succès à des opérations de banque. Favorisé par la fortune, il y amassa d’immenses capitaux ; mais malgré son état de prospérité, le désir ardent de revoir sa patrie le ramena en France lors de la restauration.

Le comte de Ribes aurait pu jouir à son gré de toutes les prérogatives attachées à son rang et à sa fortune ; mais, aussi simple que modeste, il préféra une paisible retraite à l’éclat du grand monde, et se retira à Auteuil, près Paris, où il vécut pendant les dernières années de sa vie presque dans la solitude.

Il est décédé le 22 mars 1830, âgé de quatre-vingts ans, et a été transporté au cimetière du Père-Lachaise, où il a été inhumé.

Ses héritiers reconnaissans lui ont fait élever un monument d’un style noble, riche et élégant. Il se compose d’un cénotaphe antique, en marbre blanc, élevé sur un soubassement en granit noir. Sur la façade sont sculptées en relief les armes du comte, avec cette seule inscription au-dessous ;

LE COMTE DE RIBES.

Ce monument a été construit par M. Guillard, marbrier, sur le dessin et sous la direction de M. Guenepin, architecte.

Près du tombeau du comte de Ribes, qui ne trouvait de charmes que dans une existence paisible, gît un homme dont la vie entière ne fut qu’un combat, et qui, sous ce rapport et celui de son humble sépulture, offre le contraste le plus frappant.

Par terre, au niveau du sol, est une tombe d’une forme carrée, grossièrement bâtie, recouverte d’une pierre usée, et scellée d’une barre de fer brut. Chacun foule aux pieds ce sépulcre, qui n’a ni entourage ni inscription, et qui renferme néanmoins les restes de celui qui avança quarante millions aux insurgens des États-Unis d’Amérique ; qui, par ses Mémoires pleins d’une mordante ironie, fit crouler le parlement du chancelier Maupeou ; qui fut l’écrivain le plus caustique et le plus spirituel de la fin du dix-huitième siècle, et dont les immortels ouvrages sont journellement couverts d’applaudissemens sur la scène française. Certes, on aura peine à croire que cet asile abandonné est la dernière demeure de l’auteur du Barbier de Séville, du Mariage de Figaro, enfin du célèbre Caron de Beaumarchais !

Nous avons promis d’analyser les plus simples m o nu mens : c’est pour remplir la tâche que nous nous sommes imposée, et pour rendre hommage à la mémoire de ce grand écrivain, que nous allons esquisser quelques traits historiques de sa vie.

Beaumarchais (Pierre-Augustin Caron de) naquit à Paris, le 24 janvier 1732. Son père, qui était horloger, le destinant au même état, voulut qu’il joignît aux études littéraires celles des mathématiques, et particulièrement de la mécanique, dans laquelle le jeune Caron fit de rapides progrès. Il se distingua dans l’horlogerie par l’invention d’un nouvel échappement. Cette découverte, il est vrai, lui fut disputée ; mais l’Académie des Sciences, à l’arbitrage de laquelle le procès fut renvoyé, prononça en faveur de Beaumarchais.

Moins sensible à ce triomphe qu’à la tracasserie qui l’avait provoqué, il renonça à une profession dans laquelle son esprit se trouvait peut-être aussi trop à l’étroit, et se livra à l’étude des arts d’agrément, et particulièrement de la musique, qu’il aimait avec passion. Bientôt il fut connu par des compositions gracieuses qu’il exécutait avec une grande supériorité sur la harpe, dont il avait perfectionné le mécanisme, et devint sur cet instrument le rival des maîtres les plus habiles.

Mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire, filles de Louis XV, voulurent recevoir de ses leçons. Non moins amusant par son esprit qu’agréable par ses talens, il leur plut à tel point qu’après l’avoir appelé à leurs concerts elles l’admirent dans leur société intime. Dès lors sa fortune fut certaine. C’était à qui le rechercherait. Paris-Duverney, banquier de la cour, se fit son ami, et l’intéressa dans des entreprises financières. A peine âgé de trente-cinq ans, Beaumarchais était déjà dans l’opulence. Cela ne suffisait pas à son ambition : il lui fallait de la gloire ; il en chercha dans la culture des lettres.

Doué d’une imagination vive et féconde, d’un esprit original et mordant, et de beaucoup de sensibilité, il se sentait appelé à travailler pour le théâtre, et fit représenter en 1767 le drame d’Eugénie. Ce premier ouvrage obtint un grand succès.

Le fond de cette pièce est une aventure arrivée en Espagne à la propre sœur de Beaumarchais, aventure dans laquelle lui-même il avait honorablement figuré. On doit moins s’étonner, d’après cela, de la chaleur et de la vérité avec lesquelles il a retracé des situations où il s’était rencontré, et des sentimens qu’il avait éprouvés : dispensé de l’invention, il n’avait eu besoin que de sa mémoire.

En 1770, Beaumarchais donna un nouveau drame sous ce titre : Les deux Amis, ou le Négociant de Lyon. Celui-ci ne réussit pas : produisant même un effet opposé à celui que se proposait l’auteur, il fit rire le public. L’intérêt de la pièce repose sur l’embarras d’un honnête homme forcé, par un concours de circonstances malheureuses, à suspendre ses paiemens. Les deux Amis se jouaient au Théâtre Français dans la solitude. Beaumarchais, un des jours où on les représentait, étant allé à l’Opéra, fut fort surpris de le trouver désert aussi. « Eh quoi, dit-il à mademoiselle Arnould, vous n’avez pas plus de monde ! — Que voulez-vous ? lui répondit la malicieuse actrice, nous comptions sur vos amis pour nous en envoyer. »

Beaumarchais donna, en 1775, à la Comédie Française le Barbier de Séville. Avez-vous des ennemis ? fuyez la scène : les ennemis de Beaumarchais l’attendaient là. Le Barbier de Séville tomba à la première représentation, comme le dit l’auteur lui-même avec plus de gaîté que d’humilité, et n’en resta pas moins au théâtre, où on le revoit toujours avec un nouveau plaisir. Cette comédie est certainement une des meilleures qu’on ait faites depuis Molière : l’intérêt de l’intrigue s’y renouvelle sans cesse par les embarras renaissans des moyens mêmes imaginés pour sortir d’embarras. L’intérêt du dialogue y est sans cesse entretenu par une abondance intarissable de traits piquans et philosophiques, assaisonnés de la gaîté la plus communicative.

Le Mariage de Figaro, suite du Barbier de Séville, ne parut que neuf ans après la représentation de cet ouvrage. Ce ne fut qu’en 1784 que Beaumarchais parvint à lever les obstacles que l’autorité opposa long-temps à la représentation de cette pièce si hardie, et néanmoins demandée par la cour elle-même, dont elle offrait la satire. Soit par sa construction, soit par ses proportions, cette comédie sort tout-à-fait de la classe commune. C’est l’imbroglio le plus compliqué qui soit à la scène ; mais c’est en même temps la série la plus variée des incidens les plus amusans ou les plus attachans. Les ridicules, les vices mêmes de la société, des grands seigneurs, des magistrats, du gouvernement y sont signalés avec une singulière audace ; tableau vivant des mœurs du grand monde vers la fin du dix-huitième siècle, tableau assez fidèle pour qu’il paraisse aujourd’hui un peu outré.

Le Mariage de Figaro fut joué deux cents fois de suite. Il rapporta beaucoup aux comédiens, et beaucoup aussi aux pauvres mères nourrices, en faveur desquelles Beaumarchais disposa de sa part d’auteur.

Quelques désagrémens se mêlèrent au plaisir que lui causa tant de succès : les critiques, comme de raison, l’assaillirent. Plusieurs se présentèrent à visage découvert ; les autres se masquèrent pour le harceler. Beaumarchais, sans chercher à leur arracher le masque, traitant de la même manière des gens qui faisaient le même métier, blessa des personnages puissans dans une riposte qu’il avait cru n’adresser qu’à des journalistes. La vengeance qu’ils en tirèrent ne fut pas plus généreuse que leur attaque.

En 1787, Beaumarchais donna au théâtre de l’Académie royale de Musique l’opéra de Tarare. Cet ouvrage, aussi bizarrement conçu, obtint néanmoins du succès, mais qui ne s’est pas soutenu comme celui de ses autres ouvrages. En 1792, il donna la Mère coupable. Dans ce drame, qui est le complément des aventures de Figaro et de la famille du comte Almaviva, on prétend que Beaumarchais s’est vengé d’une calomnie en discours par une calomnie en action.

Depuis trois ans la révolution avait éclaté : on l’accusa d’avoir voulu armer le parti contre-révolutionnaire ; il fut enfermé à l’Abbaye. Il y aurait été égorgé le 2 septembre sans la générosité de Manuel, alors procureur de la commune de Paris.

Beaumarchais se réfugia en Angleterre, et échappa ainsi au décret d’accusation qui fut porté contre lui trois mois après sa fuite.

Le 28 juillet 1794, il revint en France, où il passa paisiblement les dernières années de sa vie, auprès de sa fille unique, dans la maison qu’il avait fait bâtir au boulevard Saint-Antoine. C’est dans cette retraite, ouverte à peu de personnes, que Beaumarchais, dégoûté de tout, termina sa longue et laborieuse existence.

Il fut frappé d’une apoplexie foudroyante dans la nuit du 18 au 19 mai 1799, et fut inhumé dans un tombeau que lui-même avait fait faire dans ce qu’il appelait son petit jardin.

Sa maison ayant été démolie, il fut arraché de sa tombe, et transporté au cimetière du Père-Lachaise, où il est délaissé même de sa famille. Avis aux hommes de lettres ! Appel aux comédiens français, auxquels il a légué ses trésors.