Les premiers Journaux de la Chambre des Comptes de Paris

Les premiers Journaux de la Chambre des Comptes de Paris
Bibliothèque de l’École des chartestome 60 (p. 418-422).


LES PREMIERS JOURNAUX
DE LA
CHAMBRE DES COMPTES DE PARIS.


Séparateur


L’incendie du 27 octobre 1737, qui a détruit le dépôt du Greffe de la Chambre des Comptes de Paris, a causé la perte d’une quantité considérable de séries de registres et de pièces de comptabilité dont plusieurs récolements[1] nous permettent d’évaluer l’importance. Fort heureusement, beaucoup de copies faites auparavant par des érudits, et d’expéditions délivrées à des particuliers, permettent, dans une certaine mesure, de connaître le texte des documents disparus. De plus, quelques originaux égarés avant l’incendie dans d’autres dépôts ont été sauvés par hasard[2]. C’est en groupant ces éléments autour des tables et des inventaires qui ont été conservés que nous avons deux fois déjà dressé l’inventaire de tous les matériaux qui pourraient permettre de tenter une reconstitution. Ce travail a été fait par nous pour les plus anciens Mémoriaux[3] et pour les archives de l’apanage de Charles et de Philippe de Valois (1290-1328)[4].

Un travail analogue, mais plus bref, sur les Journaux de la Chambre nous a paru justifié par la découverte d’éléments importants pour la reconstitution de cette série de documents.

Le Journal de la Chambre a été institué par l’article 2 de l’ordonnance du Vivier en Brie, en janvier 1320, dans les termes qui suivent : « Un tiers [maître clerc] pour tenir un livre qu’on appellera Journal[5], lequel nous voulons des maintenant estre en la dite Chambre pour enregistrer toutes choses qui seront faites en la dite Chambre, auquel registre voulons que toutes choses soient enregistrées chascun jour, par lequel livre on puisse savoir toutes choses qui faites y seront dont il convient avoir mémoire… »

« Item avons ordené et voulons que chascun samedi les maistres et les clercs qui seront establis à corrigier les escriptz rapportent aus aultres quiex escriptz il auront corrigiez, et soient enregistrés ou Journal[6]. »

Les Journaux de la Chambre ont donc eu depuis leur origine une valeur officielle et ont été dès lors régulièrement tenus au jour le jour pour conserver la trace des travaux de la Chambre et enregistrer ses arrêts et les documents émanés d’elle. Au sens large du mot, ces Journaux constituaient de véritables Mémoriaux, qu’il ne faut pas confondre avec les Mémoriaux proprement dits[7], ou Libri Memoriales, recueils qui étaient composés au début pour tel ou tel clerc ou maître de la Chambre et pour son usage personnel. C’est ainsi que le Saint-Just avait été rédigé pour Jean de Saint-Just, et Noster1 pour Jean Mignon[8]. Plus tard, ces registres ont été l’origine d’une série régulière qui commence avec le Mémorial A, et qui a été consacrée à l’enregistrement des ordonnances, édits et autres documents émanés de l’autorité royale. Le contenu des Journaux s’est de même sensiblement modifié au détriment de leur importance, et depuis 1384 la série de registres qui porte ce nom et qui s’arrête au 10 septembre 1790 ne contient plus que le texte des arrêts rendus sur requête[9].

Mais nous ne nous occuperons ici que des premiers Journaux, de ceux qui ont été rédigés pendant la première moitié du XIVe siècle[10] ; que subsiste-t-il de ces registres ? Tout d’abord, il faut citer une collection de copies faites avant l’incendie par Le Marié d’Aubigny[11], mais elle ne renferme que deux pièces[12] antérieures à 1350. On pourrait peut-être aussi retrouver çà et là quelques pièces copiées par des érudits, mais elles doivent être très rares et très disséminées, car nous n’en avons rencontré aucune au cours de notre restitution des Mémoriaux : aussi les résultats d’une pareille recherche seraient-ils insuffisants pour justifier de longs et laborieux dépouillements. Nous nous contenterons donc de parler ici des deux journaux dont nous avons retrouvé le texte complet : l’un en original et l’autre dans une copie intégrale.


I.


Ce dernier est le second Journal de la Chambre qui est copié dans le ms. fr. 2755 de la Bibliothèque nationale[13] ; on lit en tête de cette copie :

« Incipiunt Memoralia. In nomine Domini, Amen[14].

« Assavoir est que ce sabmedy, premier jour du mois d’aoust, l’an de grace mil trois cent vingt un, commença ce livre apres le premier livre Journal, qui fenist le derrenier jour du mois de juillet ou dict an.

« A cestuy sabmedy, jour de feste Sainct Pere ad vincula, compta en la Chambre haute des Comptes Gerentien de Paci de sa recepte des revenus de la baillie de Senlis pour le terme de l’Ascension, l’an de grace mil trois cent vingt un[15]. »

Nous avons bien là, sans que l’identité, corroborée par la disposition et la nature des documents, en soit contestable, la copie du second Journal de la Chambre des comptes ; mais au début du XVIIe siècle une confusion s’établit entre l’original de ce registre et le Mémorial A2 : en effet, la collection Poncet[16] et ses filiales[17] ont emprunté quelques pièces à ce Journal[18] et les placent parmi les pièces copiées dans les Mémoriaux proprement dits[19] en renvoyant à A2. Or, il existe bien un Mémorial A2, et nous en possédons la table complète[20] ; de plus, la reconstitution officielle en contient quelques pièces[21] : ce Mémorial A2 n’a rien de commun avec le Journal de 1321-1322 contenu dans le ms. fr. 2755. C’est à proprement parler un Registre des Chartes datant du règne de Jean II, contenant des actes de ce prince[22] et mêlé indûment aux Mémoriaux où l’on a dû lui donner cette cote A2 parce qu’il ne trouvait pas sa place légitime.

En réalité, ce second Journal, copié dans le ms. fr. 2755, devrait s’appeler B, et c’est le nom que nous proposons de lui donner, les Journaux ayant été dès l’origine désignés par des lettres[23], et le rang de celui-ci ne pouvant faire aucun doute.


II.


La comparaison de ce Journal, dont l’identification ne peut faire aucun doute, nous a permis de rendre sa véritable identité à un Journal original, sauvé par hasard, et qui nous avait été signalé par M. le comte Fr. Delaborde comme ne se trouvant pas à la place qu’il devrait occuper : c’est le registre du Trésor des Chartes coté JJ 79B.

Ce registre se trouvait déjà mêlé au Trésor des Chartes dès le temps de Gérard de Montaigu, qui l’avait classé au nombre des Libri inutiles[24]. Il le signale en ces termes, qui se retrouvent sur l’ancienne couverture en parchemin de ce registre : « Continet registrum aliquorum negotiorum Camere Comptorum, ordinationum regis et monetarum de tempore regis Philippi de Valesio, et non est registrum autenticum vel regium, sed particulare, non continuatum quomodolibet vel perfectum[25]. »

Le transfert au Trésor des Chartes de ce registre n’a rien d’invraisemblable quand on connaît les liens étroits qui ont existé entre ce dépôt et la Chambre chargée de sa conservation[26] : un registre a très bien pu être mêlé par mégarde à d’autres séries. Or, il est bien évident que ce registre, en papier, n’a jamais appartenu légitimement au Trésor des Chartes et que, comme en fait foi la note de Gérard de Montaigu, il provenait de la Chambre des Comptes. Dans ces conditions, il restait à rechercher dans quelle série des registres de cette Chambre il aurait dû prendre place ; or, d’une part, il répond parfaitement à la définition des Journaux donnée par l’ordonnance du Vivier en Brie, et, d’autre part, la comparaison avec le Journal B ne laisse aucun doute sur la véritable identité de ce registre. En effet, les matières contenues dans JJ 79B et dans le Journal B sont les mêmes : mentions de décisions et d’opérations diverses de la Chambre, transcriptions de documents de nature à l’intéresser, et d’arrêts ou d’instructions émanant d’elle. Nous nous trouvons donc en présence d’un Journal de la Chambre des Comptes, et, les deux premiers Journaux embrassant chacun une période de dix-huit mois, celui-ci doit être le sixième ou le septième[27].


Joseph Petit.
  1. Par exemple, celui de 1722 à la bibliothèque de l’Arsenal, ms. no  2642.
  2. Notamment le mémorial Noster1 (Bibl. nat., lat. 12814), cf. Essai de Restitution des plus anciens Mémoriaux de la Chambre des comptes de Paris (Paris, 1899, in-8o, t. VII des Annales de la Faculté des lettres de Paris), p. x et suiv.
  3. Ibid.
  4. Apendice D de notre thèse sur Charles de Valois (sous presse).
  5. « Jornale Camere primo ordinatum fuit teneri per unum ex clericis, in registro magistri Johannis le Bègue, fol. IIIIXX VIII. » Bibl. nat., lat. 12815, fol. 114 vo.
  6. Recueil des Ordonnances, I, p. 703, et les autres copies et éditions citées dans notre Essai de Restitution, nos 10, 194 et 394. Cf. A.-M. de Boislisle, Pièces justificatives pour servir à l’histoire des premiers présidents (Nogent-le-Rotrou, 1873, in-4o), p. IX.
  7. Cette distinction est faite nettement par M. de Boislisle, op. cit., p. VII ; voir aussi Essai de Restitution…, p. I.
  8. Voir Essai de Restitution…, p. XVI.
  9. A.-M. de Boislisle, op. cit., p. XII.
  10. Les Journaux postérieurs à l’incendie et tenus de 1752 à 1790 sont conservés en original aux Archives nationales, P 2814-2847.
  11. P 2848-2864.
  12. La plus ancienne, qui date de 1323, a été éditée par nous, Essai de Restitution…, p. 162 ; elle se trouvait dans le Journal C. Il n’y a, dans la collection de Le Marié d’Aubigny, que 28 pièces antérieures à 1400.
  13. Fol. 344-474.
  14. Le copiste a noté en marge qu’il était question dans ce paragraphe du premier Journal de la Chambre.
  15. Bibl. nat., fr. 2755, fol. 344.
  16. Arch. nat., P 2569 et suiv.
  17. Voir Essai de Restitution…, p. 13.
  18. Pièces qui se retrouvent dans fr. 2755, fol. 485 et suiv.
  19. Arch. nat., P 2569, fol. 456.
  20. Arch. nat., PP 109, fol. 165.
  21. Arch. nat., P 2290, p. 854.
  22. C’est vraisemblablement l’original reproduit dans fr. 2755 qui était intitulé : « Secundus liber jornalis » et appelé aussi « Petit A » ; cf. A.-M. de Boislisle, op. cit., p. IX, n. 3.
  23. A.-M. de Boislisie, op. cit., p. XII.
  24. A. Bordier, les Archives de l’histoire de France, p. 166.
  25. A. Bordier, les Archives de l’histoire de France, p. 166.
  26. A.-M. de Boislisie, op. cit., p. XLI-XLIII.
  27. La cote EE qu’il porte et sous laquelle il est cité, notamment dans le Recueil des Ordonnances, ne provient pas de la Chambre des Comptes, mais du classement de Gérard de Montaigu.