Les portes du monde

Les portes du monde
manuscrit
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LES PORTES DU MONDE


ROBERT HONNERT


S'ouvriront pour moi les portes du monde
La minute approche.
          À vos noirs battants
Si hauts que mon oeil n'en voit pas le faîte,
Polis par les pleurs et par la tempête,
Mes doigts ont frappé depuis bien des ans.

Et par certains soirs aux lueurs perdues,
J'ai vu pullulant dans l'air étranger,
Tout un peuple naître et se prolonger
Au double portail qui barre les rues.

Formes surgissant de l'autre cité
Ne devant à rien des feux de la terre
Pas plus qu'au foyer d'un coeur solitaire
Le scintillement de leur vérité.


CHANT ROYAL modifier

Anges issus de votre ciel royal,
Apportez-nous aux plis de votre traine
Un blanc rayon de l'univers natal
Où l'âme un jour remonte souveraine;
N'oubliez pas, sucre de nos menus,
Un fruit des champs que nous avons perdus;
Sur les chenêts où doit la cendre grise;
Roulez le tronc que nul hiver n'épuise;
D'ombre et de feu tracez sur la cloison
Des signes saints où le secret se lise
Honneur à qui sert folie et raison.

Chaumiêre basse où je berce mon mal,
Monde rapide où je trompe ma peine,
La transparence ignore ton cristal,
Et le temps luit par dessus ta semaine;
Ah sur le seuil, les deux bras étendus
Montrons la route aux anges descendus;
Sous l'arche usée où l'aurore s'irise,
Leur troupe fonce en la place conquise,
Couronne l'hôte, éclaire la maison,
Et sans changer, c'est la terre promise
Honneur à qui sert folie et raison.

Ont-ils cru voir votre essaim matinal
Les insensés ferment leur chambre humaine;
Mourants de faim, ils boudent le régal;
Pâles de froids, ils refusent la laine,
Scandalisés (quoi les mots cent fois lus
Offrent du sens de nous mal entendus.
Une saveur, aux gourmets seuls exquise ?
C'est bien ainsi qu'on. lâche une sottise;
Allez forger la cinquième saison
Ou que le corps n'est pas dans la chemise !)
Honneur à qui sert folie et raison.
 
Visite donc, cortège sans rival
La chambre pauvre et cependant si pleine,
Le noble jeu point sous le carnaval,
Tout est reflet d'une chose prochaine,
La rose même, aux regards confondus,
Naît de la rose et ne se fane plus,
La clarté germe et s'ouvre et se divise,
Graine légère aux glèbes non soumise,
Digne splendeur, subite floraison,
Force du temps et que nul temps ne brise
Honneur à qui sert folie et raison.

Prince royal, en qui tout s'éternise,
Gardez la joie innocemment conquise
Aux sages fils qui vous font oraison
Dès ici-bas choisissant pour devise
Honneur à qui sert folie et raison.

 
Nous t'avons senti ce matin
Si triste, si peu fait pour vivre
Dans ton univers incertain,
Si dressé vers ce qui délivre,
Dans ton trouble, entends-tu nos voix ?
Nous voici, perçois nos haleines,
Nous n'ajoutons pas à tes peines;
Ecoutes-nous, comprends et vois
De quelque douleur qu'on te blesse,
Ne supportes en toi rien d'amer;
La rancune est une faiblesse;
Nous ne sauverons qu'un coeur clair !
Vois la terrestre matinée,
L'air bleu dans un ciel frisonnant;
Cette nuit une rose est née,
Et la cloche s'en va sonnant !

La brume berce le feuillage;
Le clocher veille le village
L'oiseau se caresse au nuage,
Et tout cela n'est qu'une image
Si lointaine du paysage
Que tes yeux dévoilés verront,
Lorsqu'à la fin de ton voyage,
Tu jetteras l'ancre au rivage
Où tes désespoirs fleuriront.
 
Etre la vitre claire en la maison des âmes
Au travers de laquelle un rayon éternel
Sans rien gâter de sa fraicheur ni de ses flammes,
Glisse en tombant tout droit du ciel.

Jamais le rideau lourd qui mange les lumières
De l'oeil désespéré tendu vers la hauteur,
Mais le beau verre pur qui transmet aux paupières
Autant d'incandescence avec plus de douceur.

Puisqu'entre l'homme et Lui, Dieu jette le poète
Pour rappeler aux coeurs sa puissance et son choix,
Au premier grondement je tiens mon âme prête;
Le Verbe soit en paix dans mon humaine voix.

 
Ville où je dois souffrir, terre où je suis perdu,
Tu ne peux enchaîner que ma forme d'esclave;
Mer où je dois voguer, je te laisse l'épave
Là-bas c'est l'ile claire où je suis attendu.
 
 
Parle et si le poète en l'homme se révèle
Ton vers dira toujours plus que tu n'as voulu
Et dans le mot désert, port que tu croyais nu
Glisser à feux éteints la flotille éternelle.

 
Seigneur, l'homme perdu dans les travaux serviles
Peut oublier qu'une âme est cachée en son corps;
Les anges se voient mal sous le brouillard des villes;
Seul un sommeil de bête interrompt nos efforts.

Et je vous parlerai pour nous tous qui sur terre
Jdoignons nos doigts salis pour sauver dans le soir
Malgré le vent, la flamme honnête et solitaire
Où l'éclat primitif se fasse encore voir.

Quand la paix ou le pain manque à la création,
Quel bonheur trouve-t-elle à son éternité,
Qu'importe que la voix toujours dans la nature
Monte, si le discours ne peut être écouté.

Qu'importe sur les toits la première nuit douce
Et les frissons hardis du printemps qui revient,
Si blème dans ma chambre il faut que je repousse
Pour un salaire obscur l'inestimable bien.

Qu'importent bientôt toutes ces fleurs naissantes
Dont vous semez mon âme et les horizons verts
Si déjà vous lancez des tornades puissantes
Qui frappent les boutons avant qu'ils soient ouverts.

Gardez-vous pour ailleurs, tous les muets poèmes
Qu'hommes par millions nous déchirons en nous,
Dès lors que chaque jour nous chasse de nous-mêmes,
Sans pour cela, Seigneur, nous rapprocher de vous.


 
C'est l'heure brusque où dans mes veines
Allumant un nouvel émoi
S'éveillent les forces humaines
Qui furent et seront sans moi.

Auront-elles enfin la chance
À travers l'être que je suis,
Par ma voix, de rompre un silence,
Par mes yeux de briser leurs nuits.

Ah ce désir qui se prolonge,
Restes de chair, spectres au vent,
Et pour sortir de son mensonge
N'espère qu'en moi, le vivant.

Car je ne suis plus que la place
Où se prépare, obscurs efforts,
La victoire enfin d'une race
Ou le dernier échec des morts.


 
Voix que j'espère encore au milieu de mon âge,
Ce soir entre les pins parlerez-vous vraiment ?

Le ciel ne vous a pas confié le message
Pour en frémir de joie entre vous seulement.

À votre fils qui veille au creux du paysage,
Livrerez-vous le terme ou le commencement ?

L'hirondelle annonçait, ailes basses, l'orage,
Vous tairez-vous avec son dernier battement.

Et ne direz-vous rien quand monte du rivage
La lune dans nos coeurs et sous le firmament ?

  
Près du foyer pâle aux flammes perdues,
Les matins rongés d'espoirs et d'effrois
Pourriez-vous jamais revenir, Ô voix
Que l'enfance morte a mal entendues.

Qu'importent alors litières et toits
Ou spectres surgis, aîles étendues
Rien ne distraira des collines nues
L'homme qui s'enfuit des hameaux étroits.

Et qu'importe aussi, terrestre silence,
Si rien ne m'accueille en la plaine immense
Où montera seul le choc de mes pas.

Sans Dieu qui rayonne ou main qui protège
Si le froid trop vif m'abat sur la neige,
Qu'importe la mort , je ne vivrais pas.

 
Aujourd'hui mon âme énivrée
S'éveille brisant ses liens
Et sort légère et délivrée
De la fosse où je la retiens.

Ah franchir la borne sacrée :
La joie en donne les moyens;
Gloire à la glèbe sans ivraie
Où s'élaborent les vrais biens !

Pour une fois, pour la première,
Avec la terre et la lumière
Tu vas vivre d'accord enfin

Tu vas goûter la plénitude
Dont tu n'as guère l'habitude,
Si tu n'en perds jamais la faim.

Je vogue sans pécule et solde mon passage
Par des airs que je chante à l'avant du vaisseau;
Mais de vos torses roux pesant sur le cordage,
Matelots dans l'embrun vous crispez le visage
Et mon chant s'évapore inutile sur l'eau.
Hommes, carguez la voile et redressez vos têtes;
Ces mots que mon gosier hasarde encor tout bas,
Derrière l'horizon annoncent les tempêtes,
Et si vous m'écoutiez, vous ne couleriez pas.

Ne faites pas de nous des enfants sans enfance
Qui, s'ils songent au loup, ricanent en silence,
Mais longent prudemment la lisière des bois,
L'oreille large ouverte à de grondeuses voix,
Car tout fiers qu'ils portaient, ils ont peur sans défense.

Ah, connaître la crainte et n'avoir plus les jeux !
Ne nous empêchez pas d'être une heure oublieux !
L'ombre ne nous touchait qu'au soir. à sa descente,
Et n'alourdissait pas la minute innoncente
De cette gravité que nous voyons aux vieux.

Les vêtements de fleurs et les maisons de neige,
Expierons-nous longtemps l'enfantin sacrilège
D'avoir été jadis des vieux sans le savoir
Reviendra-t-il toujours aux approches du soir,
Cet injuste remords que nul hiver n'allège ?

Et j'aurai tout perdu, devenant homme mûr
Tout ce qui me paraît au verger clair-obscur,
Sauf l'angoisse, seul don que n'use pas la vie,
Que nous laisse la fée en fuyant la féérie,
Quand le coeur n'est plus tendre et n'est pas encor dur.

 
Et soudain la forêt craquante est devenue
Une boule de tous les verts, lourde et charnue;

Les nuages fondus sous les faîtes géants
inondent les sous-bois du gris des océans;

Et, pélerin penché sur les gouttes tranquilles,
Je vais dans les buissons comme à travers les iles.

Que par nous ému le poème
Se déroule en sa majesté :
Ne nous oppose pas toi-même
Une orgueilleuse humilité.

Décris plutôt sans te défendre
Tout le spectacle que tu vois,
Répète le chant sourd des voix
Qui se font de toi seul entendre.

Au désert veux-tu t'arracher
Et revoir la terre promise,
Ne sois pas semblable à Moïse
Frappant trois fois sur son rocher.

Si tu perds cette matinée
Les anges seront mécontents,
Car ils t'offrent les mots chantants
Et la musique t'est donnée.

Dans la forêt, d'or couronnés
D'où pointent les bolets-satans
Si tu perds cette matinée
Les anges seront mécontents.

Songe à la crête abandonnée
Où ne fleurissent que piquants,
Crains de voir fondre en peu d'instants
Tout l'enjeu de ta destinée
Si tu perds cette matinée.

Ne me laissez pas seul dans l'ombre du chemin;
Bonnes forces du ciel, prenez-moi par la main.

Prenez-moi par la main, même si je résiste;
Dès que vous me tiendrez, je ne serai plus triste;

Je ne serai plus triste, alors qu'aux frais buissons
Dans l'aube trembleront les nouvelles chansons,

Les nouvelles chansons de votre sainte aurore
Avec leur pur bonheur, qui nous arrive encore,

Qui nous arrive encor comme au premier aïeul,
La forêt va parler, ne me laissez pas seul !

En un instant que puis-je faire,
Perdre ma vie ou la trouver ?
Est-il sage de soulever
Les voiles calmes du mystère ?

Trop de rumeurs rampent sur terre
Et nul ne peut nous en laver
En un instant.

Si ce n'est vous. vieux sans colère
Que notre audace vient braver,
Par qui l'oeuvre va s'élever,
Hors de l'ombre crépusculaire
En un instant.

Là-haut je chante à la fenêtre
Car la ferme est sur la hauteur
Pour qu'au vol on juge le Maître
À l'ivresse du serviteur.

Bondissant à pieds joints au coeur des flaques roses,
Où scintillent l'ondée et le jeune soleil,
Avril, enfant brutal, tu tournes, tu t'imposes
Plus que jamais nouveau, plus que jamais pareil.

Le visage crispé de la première averse
Tu saisis sûrement les hommes par les mains,
Les tirant en ta course éternelle et diverse
Et sans te soucier de leurs reculs humains.

Es-tu l'ami rieur ou le dur adversaire ?
Mais ose qui voudra discuter ton pouvoir,
Quand ton bras lisse et frais est là qui nous enserre
Et nous tient par le cou jusqu'aux gouffres du soir.

Enfin je vous retrouve, espaces de la nuit,
Souffles purs qui baignez la plaine reposée,
Horizon calme où s'accomplit
Le mystère de la rosée.

Enfin je vous retrouve, espaces de mon coeur
Où tant d'ombres s'étaient posées,
Libres comme autrefois de la terrestre peur,
Les branches mortes sont brisées.

Enfin je vous retrouve, espaces du destin,
Si vastes que mon oeil vous mesurait à peine
A l'époque où ma vie humaine
Etait encore à son matin.

Mais que dis-je : elle en est toujours à son enfance,
C'est en vain qu'ont passé trente ans,
Et tout émerveillé je découvre en silence
La route neuve que j'attends.

Ô nuit. soeur de tant d'autres nuits

Où je crois que mon coeur se ferme,

Quand peut être dans l'ombre germe

Un poème, malgré les bruits,

Grain nu que Dieu mène à son terme

Pour remplir les cours de ma ferme

Du choc sonore des beaux fruits.

Je me dis au milieu des champs : Sois généreux,
Laisse au jour se chauffer le poème qui tremble;
Fais-lui sa part de ciel comme au plus vigoureux;
Les campagnes de mai te montrent leur exemple.
La nature, crois-tu, n'aurait pas réfléchi,
Avant que de rouler dans le jeune silence,
Du pommier vaporeux ou fleur rafraichi,
La vague de reflets et de fleurs qu'elle lance
Sur la grève neigeuse où jouit le printemps;
Avant que de parer l'épaule des collines
Pour le dieu qui la suit de ses yeux éclatants,
A-t-elle dit : J'ai tort, ces buissons d'aubépines
Vont se répandre sur les prés aux premiers vents;
Le coquelicot vif meurt tôt, je le supprime;
D'avance je proscris ce qui passe et s'abime
Non, c'est ainsi que tu parlas, Ô vérité.
Le mortel hait sa mort dans la brièveté;
À lui de ménager son souffle, je suis riche,
j'ai le droit de fleurir même les champs en friche;
Et dans ce troupeau neuf de feuilles et de fûts,
Par mon art florissant sur la terre nouvelle,
Qu'importe un cep brisé lorsque la vigne est belle,
Et si le soleil dure, un nuage diffus;
Qu'importe une corolle éparpillée à terre,
Quel malheur dans les blés laiteux qu'un brin noirci;
Et la profusion reste mon seul souci.
Les arbres du verger n'auront pas mêmes forces;
Des rameaux prometteurs jauniront démunis;
Mais c'est souvent au creux des branches les plus torses
Que les oiseaux chanteurs cachent le plus de nids.

Virgile est toujours là, droit à l'orée obscure
Où brillent les buissons de bronze et de verdure,
Pâle, dans les éclairs de son pourpre manteau,
Et seul, car nul passant ne monte le côteau,
Au coeur des bois, sur le miroir des herbes fines,
Allumant des clartés d'aurores sous-marines,
Un rais de jour, issu des calmes épaisseurs
Illumine la ronde, appel des ombres soeurs;
Quel pélerin, lassé de la campagne humaine,
Fantôme rejoindra dans leur trouble domaine,
Cet incertain troupeau de héros et de vieux
Qui surgit, frappe au coeur et se dérobe aux yeux;
Mais rien; la face haute au dessus du pré vide,
Aîné sans jeune frère et sans voyageur guide,
Virgile, dans les jeux des nuages amis,
Tu pais, sage éternel, tes célestes brebis.

La nuit est pleine ce messages,
Illusions ou vérités:
Les sentiers sont trop abrités,
Confondant pièges et passages.

Je ne cherche joie ou tourment
Murmure l'âme à la rosée,
Et ni lasse ni reposée,
Je vais suivre docilement
Cette étrange ligne brisée
Loin des morts et du logement
Pour la raison vite exposée
que je ne puis faire autrement.

J'apporte fleurs et fruits l'oeuvre d'une saison
À celle qui l'aima fragile et mûrissante;
Le soleil aujourd'hui baisse à mon horizon;
C'est l'heure d'engranger la récolte récente.

Cèpes de la forêt, girolles de la sente,
Vous ai-je portés frais devant l'humble maison ?
Seine, où glisse déjà la brune frémissante,
Trouvez-vous en mes vers votre belle prison ?

Sais-je si mes amis voudront en leur mémoire
Garder ces premiers mots où tremble un vrai bonheur
Et si beaucoup de joie achète un peu de gloire.

Mais toi, qui viens à moi sans détour et sans peur
Avant d'avoir connu le mot des destinées
Que ces simples moissons d'abord, te soient données.

CARREFOUR modifier

 
Allez, chantez, gens de PARIS,
Aux carrefours pleins de lumière,
Gens vigoureux, blanche crémière
C'est la saison, lancez vos cris.

Pèle-mêle, offrez à tout prix
Melons, fleurs et vite première;
Allez, chantez, gens de PARIS,
Aux carrefours pleins de lumière.

Vous venez assez tôt surpris
Les pois loin de la légumière,
Hors des brocs la rose trémière
Et le sang sur le pavé gris;
Allez, chantez, gens-de PARIS.

Sur les jardins mouillés et calmes de province
À l'aube les couvents sèment leurs carillons
À peine, au bas du ciel glissant sa bande mince
Le jour hasarde-t-il quelques tremblants rayons,
La cloche, dans l'air pur, légère et reposée
Tisse sur les toits bleus de la ville rosée
L'impalpable filet de l'éternel Pêcheur.
Derrière les hauts murs, dans les pâles chapelles
Où le souffle d'encens se mêle à la fraicheur;
Murmures d'au delà sur les lèvres mortelles,
S'égrènent, envolés vers les clairs horizons
Les mots nus et puissants qui sauvent les maisons,
La ville doucement éveillée et sereine,
Retrouve, calme nef, son autre rive humaine,
Et tandis que l'appel de la cloche s'éteint,
Que le premier volet claque dans le matin
Et qu'un passant furtif se hâte sur la place,
En une fugitive et grave liberté;
On voit se rapprocher dans le joyeux espace
La Cité du Seigneur et l'humaine cité.

Et vous voici, buissons en fleurs

Sur les herbes de la colline

Ecrivant parmi les odeurs

Un mot de la strophe divine

Qui chante en moi dans les vapeurs

Vers le clair bouquet d'aubépine

Dont le ciel de Dieu s'illumine

Abritant ces doubles fraicheurs.

Après vingt siècles, Christ, Lumière des Lumières,
Né dans la plus disjointe entre tant de chaumières,
Vous souvenant toujours de vos heures premières
Et qu'auprès du Dieu nu battaient d'humbles paupières,
Vous demeurez, offert aux plus gauches prières
Dans l'ombre verte des vaisseaux d'humides pierres
Blottis entre le ciel et les rumeurs fermières,
Et l'on vous voit, bleui dans le rais des verrières,
Corps de plâtre souffrant dont les cures sont fières,
Aux cheveux d'acajou longs comme des rivières,
Aux flancs rosés plus doux que les roses trémières,
Toujours promis, sous le silence et les poussières
Au coeur obscur des lourds gars bruns et des laitières
Qui refont sous vos pieds, les placides litières
Où Vous Vous réchauffiez en vos heures premières.

Ô jeunesse, javas ... De Barbès à Clichy;

Les miroirs du matin, le visage blanchi...

Je me reconnais mal, es-tu toujours le mêne;

Un garçon brun au bar te sert ton café crème,

Et te guide des yeux, croisant ses bras velus,

Comme vers un pays d'où l'on ne revient plus,

Alors que ton col dur relevé sous la bise,

Des vapeurs vont fuser de ta bouche cerise,

Et tu prendras ta place, allongeant ton rimmel,

Sous un porche tranquille, imaginaire ciel.

Tempête, dis quelle vague

Ouvre les flancs du vapeur;

Bijoutier dis-moi la bague

Qui seule retient un coeur;

Feuille jaune sur la branche,

Dis quel rayon te dora;

Nuit changée en source blanche

Dis quel instant t'éclaira;

Mais toi, mon vers, peux-tu dire,

Echappant à mes efforts,

Quelle main te fait reluire,

On t'éteins, comme les morts.

LA FAIBLESSE DU POÈTE modifier

 
Que la foule ingrate nie,
Seigneur, ta divinité,
Pour autant n'est pas ternie
Ta limpide éternité.

Et l'étoile au coeur tranquille,
Sûre de son flamboiement
Aime à briller sur la ville
Quand tout PARIS est dormant.

Et sur les mers souveraines,
Dont les nuits ouvrent les flots,
Etincellent les sirènes
Même loin des matelots.

Et la source qui circule
À l'abri des bois légers
Peut chanter au crépuscule
Sans la flûte des bergers.

Et la cerise ou l'orange
À la force d'être fruit
Sans la bouche qui la mange
Ou l'oeil qui s'en réjouit.

Mais à l'enfant, fils d'enfance
Qui joyeux vers vous courait,
Offres une âme en défense :
C'est l'hiver sur la forêt.

Silences vivants de l'âme et des blés,
Où le pain y amorce, où Dieu s'élabore,
Je ne vous surprends jamais que troublés;
Quand je vous rejoins, c'est après l'aurore.

C'est pour découvrir, lassant les sillons,
L'orage imprévu, les fleurs parasites,
De même ébloui par trop de rayons,
Je ne connais Dieu qu'après ses visites.

Le mur croulant luit comme du vieux sel,
Faudra-t-il rentrer en claquant la porte
Et s'endormir saoul des vins bleus du ciel,
La lippe pendante et l'oreille morte.


Je vous suis du fond des âges,
Ô mes frères fous ou sages,
Mis sur la terre vivant,
Fixez d'autres paysages,
Dans l'éclair de vos passages
Migrateurs épris du vent.

Les quatre saisons humaines
Pour vos rires et vos peines
Manquent de neige ou de fleurs,
Et les désirs dans vos veines
N'allument que flamme vaine,
Il vous faut d'autres douleurs.
Dès la première journée
Avec le globe était née
Dans l'universel remous,
Votre race condamnée
À n'être pas enchainée,
Homme plus hommes que nous !

Plus encore que dans les mots
Indociles à la nuance,
Le piège est dans l'amer repos,
Dans l'angoisse du long silence.

Pour l'ennemi de la clarté,
Quel nécessaire et digne ouvrage :
Tenir le poète arrêté
Sur la blancheur d'une autre page !

Les voix sont prêtes à parler.
I1 suffit pour une merveille
Que l'enfant se laisse souffler;
Mais pourra-t-1l tendre l'oreille

Te sens-tu capable aujourd'hui,
Murmure le conseiller traitre
De déméler dans tout ce bruit
La véritable voix du Maître ?

N'es-tu pas des troubles humains
Ce soir encore trop la proie
Pour suivre dans tous ses chemins
Le clair mystère de la joie ?

Fais-toi plus beau. deviens plus pur;
Dès la prochaine matinée,
Tes yeux recevront mieux l'azur,
Tu verras mieux ta destinée.

Et pour mieux faire, criminel,
Préférant l'aurore impossible
Le poète perd son vrai ciel
Et la flèche manque sa cible.

Tu gémis dans la nuit obscure
Et tu repousses ma clarté !
Tu te plains que ton malheur dure
Lance un appel, il t'a quitté !

Ne sais-tu pas, enfant rebelle
À te vêtir de ton destin
Que je viens dans l'aube nouvelle
Tisser ta robe du matin.

L'homme déjà n'est plus coupable,
Qui s'apprête à saisir mes dons;
Déjà fume à ma blanche table
Le festin qui suit les pardons.

Mais il faut un bond dans le vide,
Le coeur tranquille et les yeux clos
Vers mon immense Amour avide
Dont ton angoisse est le repos :

Car tu peux durant des années
T'évader par d'autres chemins;
Je suis maître des destinées;
Tu finiras entre mes mains.

Tu peux fuir, cachant ta blessure
Et t'asseoir au creux du fossé;
Ta rouge route n'est pas sûre;
Je vois toujours le sang versé.

Un peu de ciel, un peu d'espace,
Une route où l'on a rêvé :
Le mot perd son habit de glace
Et le poème est achevé.

OCÉAN modifier

Au désastre à nouveau ravie,
Pelages tendres et fronts durs
Je portais à l'Arche de la Vie
Vers la fleur des sommets futurs

Mais bientôt sous ma vague grise
De mes profondeurs j'ai senti
Remonter la loi de traitrise
Et triste j'ai tout englouti.

AVENIR modifier

Frère, tu surgiras un matin de rosée;
Dans ton oeil brilleront les nouveaux univers;
Et ton pied nu frappant sur la borne brisée,
Tu souriras au seuil des espaces rouverts
D'où, fusil déchargé, fuit le garde farouche
Voici le ruisseau libre où s'égaie une bouche
Et voici le verger avec ses larges fruits
Qui sucraient vainement les aubes et les nuits
Ils ne pourriront plus sur l'herbe triomphante !
De ton jeune bras ivre et gonflé sous le ciel,
C'est toutes les moissons que le domaine enfante,
Le vin frais, le lait tiède et la figue et le miel,
Qu'aux travailleurs lassés, issus par lentes files
Anxieuses, du fond famélique des villes,
Guide, tu livreras d'un cri dans le soleil !
Car les maîtres d'hier, voyageurs taciturnes
Qui fermaient sur lui-même un jardin sans pareil,
Trop las pour en cueillir les floraisons nocturnes,
Trop sourds pour s'émouvoir d'un son dans le matin,
Ne marqueront pas même, et c'est la loi du monde,
Qui lance un astre neuf où l'astre s'est éteint,
Leur ombre sur la route où l'allégresse aborde !
Et vous, peuples encor pâles de vos tombeaux,
Dressez votre corps maigre et secouez vos fanges
Le tournant bleu n'est pas, derrière les rameaux,
Défendu par le glaive étincelant des anges !

SEPTEMBRE modifier

 
Silence des saisons, Ô sagesse de l'homme;
Ciel translucide après l'éclipse des couleurs;
Vieux mur où je m'asseois., plein de ruines de Rome
Pour attendre la prix qui naîtra des douleurs,
Ô plénitude enfin des heures immobiles,
Vierges du sacrilège et de l'horreur des villes
Où ce qui va survivre est sous ce qui s'en va,
Visible comme au creux du buisson, Jéhovah !


Quand 1e poème est là, grande algue et pure flèche,
Qu'il est doux de le suivre en son déroulement,
Et, loin de le cueillir en révoltant l'eau fraiche,
Que de fois j'ai songé, sans voix ni mouvement,
Fier de voir pour moi seul jouer les destinées,
Et riche d'un reflet entre les graminées;
Mais de ces trésors, rien, pas même une vapeur,
Pas un souffle des champs n'est resté sur mon coeur
Et vous me laissez nu, légères matinées.

Avant nos mers et nos âges,
Dans l'autre monde sans nuit.
Brillait avec ses images
Le poème d'aujourd'hui.

Troupeau d'un vain pouvoir ivre,
S'il traverse notre ciel,
Nous croyons l'aider à vivre,
Quand lui seul est immortel.

Tu te plains, dans l'ombre abattu,
D'attendre seul devant ta page;
Mais quand surgit notre visage,
Que de fois te détournes-tu !

Sont-ils dûs, nos chants, notre ronde ?
Ce n'est pas ainsi qu'on nous plaît !
Nous ne viendrons pas au sifflet
Briser les bornes de ton monde.

Souvent dans la pénombre, aux soirs de solitude
Le masque roule au loin, que les ans ont sculpté,
Et dans sa pathétique et trouble nudité,
Lavé de la pudeur, libre de l'habitude,
Le visage apparaît qui correspond vraiment
À ce qu'il a vécu de joie ou de tourment,
Avec l'usure et la gravité de la bouche,
Avec d'autres lueurs dans un oeil plus farouche
Livrant d'un coup sans honte aux témoins de la nuit
Tout ce peuple confus qui chante ou pleure grâce
Dans l'étrange prison hors le temps et l'espace
Que pour ses sentiments est tout homme qui vit.


J'avais vu des reflets sur de troubles rivages,
Et mes pieds m'ont conduit où ne vont pas les sages,
Au bord des horizons qui nourrisent la nuit;
Ni les pleurs, ni les flots brisant sur ce cap vide
N'ont embaumé de sel un coeur de joie avide
Et c'est ce coeur vivant que je t'offre aujourd'hui.

Ombres et chants au fil des flots
Où la lune tranquille glisse;
Ah ce long soir, joie ou supplice,
Jaillissez du fleuve, sanglots.

Saules pâles des noirs ilots,
Que votre argent brisé frémisse,
Ombres et chants.

Puis endormez nos yeux mal clos;
Qu'un soir trop longtemps bleu finisse,
Et que l'eau déserte engloutisse
Entre ses berges sans canots
Ombres et chants

Au carrefour de rêve et de pensée
Combien de fois l'âme lourde est passée !

Les deux chemins vont vers les ombres bleues:
Lequel faut-il suivre durant des lieues.

Frais miroitant de bourgeons et de lierre.
Chacun se fond dans la tendre lumière.

Chacun nous mêne au coeur du paysage
Où se transforme une terrestre image.

Où l'arche immense en l'infini jetée
Offre l'accès de la plaine enchantée.

TOUSSAINT modifier

 
Pleurer sur qui, sur quelle tête ?
Tant de nous-même est au tombeau !
Qui mérite un sanglot nouveau ?
Ce soir c'est tous les morts qu'on fête !

Dans les cimetières du coeur,
C'est toutes les voix qu'on salue,
Un signe à la plus vermoulue,
Sur la plus récente une fleur.

Et par faiblesse ou par amour,
Je secoue encor quelques rimes
Sur les cadavres anonymes
Dont le deuil m'est chaque an plus lourd.

La Muse offre plus d'un visage;
Je vois le fou, je vois le sage;
J'en sais un autre plus réveur
Où moins faciles à comprendre
Se lèvent sous un front plus tendre
Les yeux vacillants du bonheur;
Doux visage qu'une lumière
Baigne encor dans le soir humain,
Même quand l'ombre printanière
Sort des mousses de la clairière
Et nous dérobe le chemin.

Allons, ne pleure plus dans les chambres humaines,
Mon âme, et cours plutôt vers ton joyeux destin,
Car c'est la joie, Ô toi qui t'uses dans tes chaines,
C'est l'éternelle joie et l'éternel matin,
Par qui germe la vie et sort le fruit des peines
Que tu dois, instrument des forces souveraines,
Redire aux voyageurs de ce monde incertain.
Qu'importent, prisonnier, ta vieille défiance
Et tes reculs devant un avenir trop lourd,
Quand les voix ont parlé, tu te veux en vain sourd;
Tu t'arc-boutes en vain aux portes du silence
Qui s'ouvrent, car en vain tu te croyais caché.

Ton bonheur n'était pas où tu l'avais cherché.

Le jour pourtant allait paraître,
Traversé de flamme et d'appel,
Où je pressentirais mon maître
Dans un corps enfin fraternel,
Et je t'espérais, ma lumière,
Et toi seule emplissant mes yeux,
J'aurais joui ma vie entière
Sans invoquer dans ma prière
D'autre soleil et d'autres cieux;
Mais debout au seuil de l'enfance,
Muet parfois entre mes jeux
Je déchiffrais votre défense
Et j'inclinais mon front fièvreux.
D'aussi loin que je me souvienne,
Vous m'avez flétri mon jardin;
O ce grand vol trouble soudain

- C'est lui, j'ai peur ! Hélas, qu'il vienne !

Dès lors en mes doigts de voleur
Les branches séchaient sans odeur,
Et sans comprendre mon malheur,
Celle que je croyais l'amie
Se redressait droite et pâlie
Comme si derrière ma vie
D'autres que moi lui faisaient peur
Avec des masques de folie;
Et pourtant, docile aux saisons,
Vers les saules de la prairie
Ou sous la lampe des maisons,
Vous saviez quelle aube ravie
Rafraichissait tous les instants
Où vous n'aviez pas pour envie
De me détruire mes printemps.

Nous les avons détruits comme l'ombre féconde
Ouvre le grain d'hiver pour en sortir l'épi;
Tu désirais un pré, nous te donnons un monde;
Tu dormais, dès ce jour, tu n'es plus assoupi.



Mais ce désert et long rivage
Où vous me traïînez lentement,
Les murs moussus de ce village
Où flâne le chemin dormant
Ne m'offrent encor qu'une image
Bonne à distraire un enfant sage
Et ne calment pas mon tourment.


Distingues-tu là-bas, dans l'aube bleue et grise,
Ajouré, plein d'oiseaux, le clocher d'une église
Elle est bâtie au pied des monts, dans le genêt;
Ses lourds vantaux moisis sont clos; nul n'y venait;
Non loin des contreforts, l'eau d'un abrevoir brille,
Et dans le cimetière, effondrés sous leur grille,
Guettent les os des morts que tu crois oubliés;
Choisis le chemin rose et descends la colline;
Et tout lavé de ciel et de senteur marine,
Rejoins l'église basse entre quatre noyers,
Où les pigeons neigeux volent à ton approche,
Et les oiseaux et l'arbre oscillent déployés;
Le vent qui courbe l'heure a secoué la cloche;
Ah comme tout est doux et digne autour de toi;
Les saints pour te bénir ont soulevé leur doigt
Dans la niche sonore où l'insecte murmure;
Pénètre sous le porche, et libre et l'ombre pure,
Vois la terre de Dieu t'offrir en leur clarté
Ses landes et ses caps où la grâce a chanté.

Est-ce la paix, est-ce l'épreuve ?
Je deviens vieux et je mourrai;
Assez joué d'une soif neuve,
Ouvrez la source qui m'abreuve;
Je veux finir désaltéré.

Si tu savais de quel amour puissant nous sommes
Brûlés pour toi,
Nous qui, libres enfin de nos oeillères d'hommes,
Lisons toute la loi;

Si ton sang percevait de quelle inquiétude
Tous nous souffrons
En te voyant, dans la terrestre solitude
En vain faire tes ronds.


Tu te trompes, par là; mais non, voici la route
Dans les rayons,
Et rien, si tu pouvais entendre un jour; écoute,
Et toujours nous crions !

Sommes-nous donc déjà séparés de la terre
Si sûrement
Que nous ne puissions plus parler à notre frère
Pendant un seul moment !

Ah comprends-tu, pauvre vivant qui nous appelle
Quelle douleur
De ne pouvoir briser les murailles cruelles
Entre nous et ton coeur

Car dans notre univers que tu veux et reflêter
Nous ne songeons
À goûter le trésor de nos heures complètes
Que si nous partageons,

Et sans cesse penchés sur l'ombre où tu te noies
Tendent leurs bras
Tous nos corps glorieux à qui pèsent leurs joies
Si tu ne les as pas

O secours qui n'est pas sensible
Et pourtant s'offre plus réel
Que le pauvre bonheur possible:
N'accuse pas d'oubli le ciel.

Si les frères n'ont pu descendre
Pour ouvrir le cachot humain
Quel présage que saluent déjà leur voix tendre
Entre eux et nous, à mi-chemin

Car les efforts tentés sans nombre
Par le grand groupe fraternel
Triompheront un jour de l'ombre :
N'accuse pas d'oubli le ciel.

JEANNE modifier

Sous les arbres secrets va poursuivre ton rêve :
À chacun de nous son labeur;
Va, la forêt t'attend, toute verte de sève
Moi je construis notre bonheur
Ainsi qu'une fée innocente,
Furtive parmi les buissons,
Cours, un caprice de la sente,
Mets en gerbe odeurs et frissons,
Puis reviens, à moi qui travaille,
Dire ta plus fraiche trouvaille
Et l'air nouveau de tes chansons.

Villon, tes neiges sont fondues
Et depuis lors bien des glaçons,
Comme avec leurs maîtresses nues
Sont morts bien des mauvais garçons,
Les tavernes où tes chansons
Prolongeraient leur sanglot sonore
Croulèrent au pic des maçons
Mais la ballade vit encore

Dressés sur leurs rosses fourbues,
Portant le vide en leurs arçons,
Des magisters, barbes chenues,
Aux siècles croient dicter leçons;
C'est en vain qu'ils font des façons,
Leur oeil vitreux chasse l'aurore
Et leur gosier n'a plus de sons,
Mais la ballade vit encore.

En des parades trop connues,
Lutteurs suants nous nous lassons
Et crions aux badauds des rues
A qui les gants et caleçons ?
Forçats courbés sur nos chansons
Croisant le fil multicolore
Voici nos doigts que nous blessons,
Mais la ballade vit encore.

Prince en vain nous nous efforçons
Le temps narquois déjà dévore
Chaque mode que nous lançons,
Mais la ballade vit encore.

Ô soleil blanc qui brûles à cette heure
La rose sèche et le raisin des murs,
Le volet s'ouvre, entre dans ma demeure
Je suis fermier; j'aime tes rayons durs;
Les épis pleins quitteront les javelles;
Que laisses-tu sur les pages nouvelles;
Les blés de l'âme, cela, quand seront-ils mûrs ?

Voici le gel par l'avril emporté;
Déjà renaît le printemps sur le monde;
Ah ! renoncer à mon éternité
Pour le plaisir de vivre une seconde !

Ah laissons se fondre au gré des dimanches Nos coeurs citadins emplis de printemps; Rêvons des prés neufs, des ciels et des branches Le long de la Seine aux flots miroitants.

Qu'en un reflet tienne une fleur qui s'ouvre, La ferme sonore en l'aboi des chiens; Les roucoulements des pigeons du Louvre Valent en douceur les vénitiens. </poem>

La forêt tremblait d'ombre et de soleil
Et, sur le talus, par le ciel posée,
Dans les plis roulant des grains de rosée,
Revêtait au vent sa robe d'éveil;

De large fils d'argent fixés aux branchettes,
Tendaient, scintillante et toute mouillée,
La toile sans proie et d'où l'araignée
Glissaient en tournant vers d'autres cachettes.

De la mare sèche aux plus minces branches
Et de l'herbe folle aux fines fougères,
Frémissaient déjà les ailes légères
De l'été limpide et des frais dimanches;

Et vers la lisière où fleuri le thym,
Le clocher joyeux dans la plaine proche,
Faisait chatoyer et bondir sa cloche,
Jeunesse des champs, joyau du matin.

   
Donc j'ai déjà lutté depuis plus de trente ans
Et nul n'aura sans doute, et d'une âme plus ivre
Mieux connu la grandeur de vivre
Et de vivre libre au printemps

Voici que fatigué j'aspire à d'autres hâvres
Et qu'il vaut mieux pour moi, ce soir, sous les cieux verts
Fuir loin des flots toujours ouverts
Où s'engloutissent les cadavres.

DISCOURS modifier

</poem> Que de fois, délivré des peurs et de la ville, Je me suis dit, perdu dans la forêt tranquille — Comme i1 suffit de peu de chose en vérité Pour renouer le fil de notre éternité. Le jour commence calme, un souci le dévore Auquel d'autres soucis vont succéder encore; Ce que l'on nomme vie avec tous ses tourments Consume mes plus beaux, mes plus jeunes moments; Mais ici. dans ces bois généreux et sans bornes, Meurt jusqu'au souvenir de tant d'abandons mornes; L'élan qui fait jaillir l'atome que je suis Du ventre déchiré d'inconnaissables nuits, Retrouve tout d'un coup son but et sa puissance; Dans mon coeur rafraichi bat un nouveau silence; Et pour vous je me sens, à l'angoisse arraché, Conduit vers le secret que je n'ai pas cherché Oui, branches de l'aurore, ô lumières mouvantes, Vous ranimez en moi de saintes épouvantes, C'est le brouillard des morts que j'appelais matin; À peine ai-je connu la moitié du destin, Et si je parle au seuil des clairières nouvelles, C'est que je crains encor qu'elles ne soïent trop belles. </poem>

Les luttes à grands cris contre l'ange menées,
Les ongles en fureur trouant le mauvais soir
Pour arracher du mur les ombres obstinées,
L'injure qui rugit d'être encore l'espoir,
Laissent l'homme du moins près de ses destinées;
Dieu peut dans le rebelle avouer son enfant;
Et sait-on quels soleils ces tempêtes préparent:
Mais quand vers le désert ses pieds sanglants l'égarent,
Et si par le silence un mortel se défend,
Que peut autour de lui dans l'éboulis des sables
La légion que sur ses fuyards périssables
Ne cesse de lancer le Seigneur triomphant.

Dans les matins muets où triomphe 1a neige,
Tes yeux d'homme perdu poursuivent à travers
La forme qui surgit et qui se désagrège,
Toujours voulu, toujours voilé, l'autre univers
Sur lequel, au delà du verbe et de la nue
Se fixe ta pensée et s'arrête ta vue;
Qu'il est dur d'éviter le piège des brouillards,
Dans tes veines d'enfant vit la peur des vieillards;
Tu te tais, sans savoir ce qui sort du silence;
Entre voeux et toi pâlit l'espace immense;
Dans la fausse lumière où meurt un vrai rayon,
Tu grelottes, battu par un sourd tourbillon,
Et triste, abandonnant une gloire trop rude,
Tu rentres dans l'angoisse et dans la solitude.
— Ah, mon frère, résiste, ah ne te livre pas
À tous ces doigts glacés qui te happent d'en bas;
Parle et tu déferas le mauvais sortilège;
Parle, et les mains s'en vont, parle, un seul mot protège.
Contre toi sont ligués les errants sans espoir
Qui n'aiment pas que l'homme accomplisse un devoir.
Et ce devoir étant de parler la lumière,
Aux étendards des morts ose opposer les tiens;
Si meurtri que tu sois par tes propres liens,
Plié dans tes prisons et sous tes crépuscules
Par la chaîne toujours moins longue des scrupules,
Frère, sache que rien dans ton destin ne ment;
Le messager du grand ciel clair, tu l'es vraiment:
T'en inspirer le doute est la suprême feinte;
Le feu qui te brûla reste une flamme sainte;
Mesure un avenir que tu n'as pas choisi;
Crois-le lointain, dis-le trop lourd, mais songes-y :
Au premier cri joyeux vers tes nouvelles tâches,
L'ennemi repliera ses colonnes de lâches
Qui t'auront combattu sans l'avoir emporté,
Et les dieux t'offriront enfin leur liberté.

Sans doute fus-je trop semblable au lys des champs
Qui fleurit, et n'eut point souci de sa parure;
Trop frère de l'oiseau qui prodigue ses chants
Et ne craint point pour sa pâture

Pour la première fois, j'ai peur du dénuement;
Retrouverai-je un toit pour abriter ma tête
Que deviendra mon nom ? S'en ira-t-il au vent
Quand je serai hors de la fête ?

Qui nous fera durer, Seigneur, si ce n'est Vous ?
Mon oeuvre de pêcheur rendit toujours l'hommage;
La lumière a toujours éclairé ses remous
Effacerez-vous votre image ?

Quand trop d'autres voudraient abolir votre Nom,
N'étouffez pas celui qui malgré sa faiblesse
Veut qu'on Vous dise grand, veut qu'on Vous sache bon;
Otez le baillon qui me blesse.

Et j'espère qu'un jour, si vous chassez de moi
L'angoisse d'être seul et nu qui me domine,
On verra s'élever de l'esclave à son Roi
Une offrande vraiment divine.

Lorsque je songe aux vents qui montent sur la mer
Et secoueront encor notre barque tremblante,
Lorsque je vois au loin, couleur d'ocre et de fer,
Les nuages noyés grossir leur masse lente,
Et que je nous sais seuls, égarés sur le flot,
Toi, flamme de l'esquif, o fragile colombe
Des vents battue, et moi, novice matelot;
Aux gestes génés par l'écume qui retombe,
Je souris, mais je crains quelque funeste sort.
Où brille la jetée ? Où s'amorce le port ?
Seigneur la brume cache à nos yeux votre église
Avec son porche calme et les saints s'y tenant
D'autres ont de plus loin revu sa pierre grise,
Nul gouvernail ne rompt, votre main le tenant.

LA COMPLAINTE DES MOTS MAL DITS modifier

Par un soir de neige prochaine
Où le pauvre pleure sans laine,
Dans les nuages j'entendis
La complainte des mots mal dits.

Des vieux mots décharnés de fièvre
Brûlés d'embruns et de soleil,
Qui vous empoignent sur la lèvre
D'un seul coup l'aveu sans pareil.

Des mots battus par tant d'orages !
Le sel leur a fait des visages
D'ivrognes violets sans vin :
Pour Tes accueillir, sois devin !

Et c'est à ces mots mercenaires,
Aux lourds saluts d'entremetteurs
Que s'ouvrent nos coeurs solitaires
Pour qu'ils nous gagnent d'autres coeurs !

O mots qui n'êtes pas nous-mêmes;
Mots des amours, mots des poèmes,
Ce soir d'hiver je vous ai vus,
Masques dans le vent suspendus,

Crispés sur vos propres tempêtes,
Dans les replis du ciel neigeux,
Ricaner là-haut sur nos têtes
De nos efforts et de vos jeux.

Voici les jours d'Avril de lumière si neuve,
Où devant les flots verts du fleuve vif et froid,
Frémissant de canots, je sens se fondre en moi
Le rameur de la vie et le rameur du fleuve.

Ah qu'importe qu'on sache où qu'hier on ait su
Comme une berge au soir est soeur d'une autre berge
Et qu'un semblable feu, dans une même auberge,
Met de pareils reflets aux creux du torée nu

La rame est là, brillante, et d'eau froide trempée,
Et fiers, voyant frémir la feuille et la forêt
Nous courbons dans le vent notre corps toujours prêt,
En qui déjà se tait l'âme toujours trompée.

DÉPART modifier

Chassé de la poussière où perce une présence,
L'ange a bondi dans les bois du chemin,
Je vole et n'ai plus peur de parler au silence
Acceptez ce rouleau que j'élève en la main,
Placet où s'appliqua mon écriture d'homme;
Entre l'herbe et le vent je le fis un verger
Où le serpent toujours siffle auprès de la pomme;
Reqardez : chaque trait s'élance, ample et léger
Pour dessiner le monde où j'irai tout à l'heure:
Ici la passerelle et là, le messager:
Mais le coeur m'a manqué pour peindre la demeure,
Le faite sans fumée et le soir qui l'effleure.

Dans la poussière que remue
Le voyageur aux cheveux gris
En peine sur la route nue
De soupes chaudes et d'abris,

Suit l'ange fidèle et tranquille,
L'ange sans peur, l'ange sans nom,
Plus que tous les démons habile,
Qui se voulut le compagnon,

Et fier de son oeuvre il assiste
À la perte du dernier jeu
Qui chasse un homme pauvre et triste
Entre les bras ouverts d'un Dieu.


Dans le vent s'est fondue une haleine plus molle,
Aux fenêtres des cours sautent les canaris,
Et le ciel neuf, où le nuage d'or s'envole,
Comme un manteau lavé s'est tendu sur PARIS.

Des ombres sur les toits glissent, nettes et crues;
La Seine lourde roule un flot glauque à plein bord,
Et les passants joyeux piètinent dans les rues
Cet hiver tendu et las qui sourit de sa mort.

L'éternel jeu renaît sur l'éternelle ville;
Voici les soleils durs et les soirs éclatants;
Mais le coeur verra-t-il d'un battement tranquille
Sur tous ses printemps morts naître encore un printemps ?

Les flancs gonflés d'éclairs, arrêtez-vous, nuages;
Sur la ville en torpeur lâchez vos grondements;
Vous prolongez en vain vos sonores passades:
Des bruits éteints déià sont vos seuls monuments.

L'homme hâte le nas sous l'averse pressée:
Le dos humble il a fui des ennemis si forts:
Mais des siècles encor brillera sa pensée
Ouand vos troupeaux seront depuis des siècles morts.

Quand vous m'aurez tué, dans le beau cimetière,
De rien ne servira la phrase ni le pleur,
Ni la foule qui suit, front nu, dans la poussière,
Ni la couronne avec ses perles de couleur.

Voici l'heure aujourd'hui, si vous voulez m'entendre,
De faire le silence autour du voyageur;
Je ne suis là qu'un jour; demain je vais reprendre
La route qui conduit vers un autre auditeur.

Mon message est divin, ma force n'est qu'humaine,
Le loisir de tout dire est bien plus qu'entamé;
Quand mon corps glissera dans l'ombre souterraine
Vous songerez trop tard que vous m'auriez aimé;
Et j'avouerai 1à-haut que ma course fut vaine.