Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris

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LES PETITES ÉCOLES
ET LE VÉNÉRABLE DE LA SALLE
AU XVIIe SIÈCLE A PARIS





L’enseignement populaire est une création de l’Église. Elle seule a aimé le peuple, s’est occupée de lui, a cherché avec une sollicitude maternelle à le tirer de son ignorance, et lui a enseigné la doctrine chrétienne, qui est la première des sciences, et, les autres par surcroît. Les origines des petites écoles de Paris sont obscures. Ces humbles institutions échappent aux regards de l’histoire, et ce n’est guère que par quelques renseignements éparpillés dans les chroniques qu’on peut reconstituer leur passé. Cependant, il est aisé de prouver qu’elles prirent naissance autour de Notre-Dame. Si haut que l’on remonte dans le cours des siècles, on trouve une école près de l’église épiscopale de Paris. Elle existait déjà en 556 au temps de saint Germain. Les enfants y apprenaient la lecture et le chant ; et dès la fin du sixième siècle, elle avait une organisation constituée. L’évêque l’avait fondée, des chanoines la tenaient ; et l’un d’eux, le grand-chantre, en avait en cette qualité la direction. Originairement, elle était destinée à former des enfants à la lecture et au chant ecclésiastique pour les besoins du culte. L’Église ne repoussait personne.

Paris n’était pas grand alors, il ne s’étendait guère au-delà de la cité ; et pour tous les enfants de cette petite ville, l’école de Notre-Dame pouvait suffire. Mais à mesure que la ville s’agrandit, il devint nécessaire de fonder des écoles nouvelles. Elles s’établirent près des églises à l’imitation de celle de Notre-Dame. Chaque collégiale, chaque abbaye voulut avoir la sienne. Puis, suivant toute vraisemblance, des écoles tenues par des maîtres et des maîtresses laïques furent ouvertes à titre de supplément dans les divers quartiers.

Il était même d’usage d’admettre à ces écoles d’enfants de chœur des enfants qui y venaient dans le seul but de recevoir de l’instruction[1].

En l’an 1292, dans le rôle de la taille imposée par Philippe le Bel à tous les habitants de Paris, figurent onze maîtres d’école et une maîtresse. Il y en a deux sur la paroisse Saint-Germain, trois sur la paroisse Saint-Huitace, deux sur la paroisse Saint-Merri, deux sur la paroisse Saint-Jean-en-Grève, les autres sur les paroisses Saint-Nicolas des Champs, Saint-Jacques, Sainte-Geneviève, Saint-Leu, Saint-Gilles. L’impôt qui les frappe est du cinquantième de leur revenus, et leurs revenus sont bien différents. Car les uns sont taxés à 12 sous, d’autres à 2 sous et quelques-uns à 12 deniers seulement. Parmi eux, il n’y a que deux clercs ; les autres sont laïques. Mais dans l’énumération de ces écoles, celles qui existaient dans les églises mêmes n’étaient pas comprises ; et il les faut ajouter pour se rendre compte de l’état de l’instruction populaire à Paris à cette époque.

Un siècle plus tard, le chantre réunit dans une assemblée les maîtres d’école de la ville ; ils sont au nombre de soixante-trois, dont quarante-et-un maîtres et vingt-deux maîtresses. Au milieu du quinzième siècle, le nombre des écoles peut s’élever à cent ; le nombre des écoliers, à mille environ. A la fin du seizième siècle, le chantre Claude Joly évalue le nombre des maîtres et des maîtresses à cinq cents.

En résumé, au commencement du dix-septième siècle, la ville de Paris avec ses 43 paroisses était divisée pour l’instruction primaire en 147 quartiers, dont chacun avait généralement une école de garçons et une école de filles, ce qui en eût porté le nombre à 334. La seule paroisse Saint-Sulpice, qui n’était pas beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui, contenait 17 quartiers, c’est-à-dire 34 écoles. Mais il y avait en outre des écoles de charité à peu près dans toutes les paroisses, c’est-à-dire une centaine pour la ville, des maîtres de pension dont il serait difficile de préciser le nombre, des maîtres écrivains, et enfin tous les établissements qui relevaient de l’Université.

L’Église ne s’était pas contentée de fonder des écoles, elle avait organisé et réglementé l’enseignement. Les statuts les plus anciens que l’on possède sont de l’an 1357. Ils n’étaient que la rédaction d’usages antérieurs ; car, en ce temps, on n’improvisait pas de règlements, et les lois n’étaient que des coutumes écrites. Il est même probable que tous ces usages se formèrent peu à peu. L’histoire se compose d’une multitude de faits successifs et de gradation insensible ; mais l’historien, pour aider la mémoire, est obligé de la couper en périodes et de faire saillir certaines dates.

Les statuts de 1357 étaient écrits en latin, à cette date, sur un vieux livre de la chantrerie. Il y en avait aussi une rédaction française en 22 articles, postérieure probablement, mais aussi très-ancienne. En 1380, le chantre Guillaume de Salvarville réunit dans la grande salle de sa maison une assemblée composée de quarante-et-un maîtres des écoles de grammaire de Paris, « respectables, prudentes et discrètes personnes, tant clercs que laïques et dont plusieurs étaient maîtres ès-arts, et les maîtresses d’écoles, honnêtes femmes de bonne vie et mœurs ; » il leur donna lecture de ces statuts, leur fit jurer de les observer et le notaire apostolique, appelé à cet effet, les inscrivit tout au long dans son procès-verbal avec les noms des assistants.

Ces statuts s’appliquèrent à peu près sans modification durant le quinzième et le seizième siècle. En 1626, le chantre Guillaume Ruellé les renouvela en les complétant, mais sans les modifier notablement. En ce temps-là, les lois avaient longue durée et on ne les changeait pas sans de graves motifs. Le but du chantre était de rétablir l’ancienne discipline, attendu que plusieurs abus et désordres s’étaient insensiblement l’exercice des dites écoles au grand préjudice de la bonne éducation de la petite jeunesse et de son instruction tant en la piété et doctrine chrétienne que principes de bonnes lettres. En 1659, le chantre Michel Le Masle les publia de nouveau sous son nom. Ses successeurs les renouvelèrent en leurs synodes en y ajoutant toujours quelques interprétations. Enfin le chantre Dorsanne réunit toutes ces décisions diverses en un règlement général qu’il fit homologuer par le Parlement le 24 mars 1725, et qui resta la loi des petites écoles tant qu’elles furent sous l’autorité des chantres. Mais les principes généraux des statuts de 1357 n’avaient pas varié.

Si l’on étudie l’esprit de ces règles, on voit qu’elles ont uniquement pour but d’assurer la bonne tenue des écoles, la capacité, la moralité et l’assiduité des maîtres, d’entretenir entre eux la charité, d’empêcher la concurrence et de veiller à ce que les enfants réunis par petits groupes reçoivent de bonnes leçons.

Le maître s’engageait à remplir fidèlement sa fonction et à instruire avec soin les enfants dans les lettres, les bonnes mœurs et les bons exemples. Il promettait d’honorer le chantre de l’église de Paris, de lui obéir dans tout ce qui regardait le gouvernement des écoles, et de respecter en tout les droits de la chantrerie.

Le maître ne devait point chercher à ravir des enfants à ses collègues. Il ne devait pas accepter des enfants de leurs écoles sans leur permission. Il ne devait point les diffamer, mais seulement les dénoncer au chantre s’ils avaient commis quelque méfait.

Le maître devait tenir lui-même son école. Il ne pouvait ni l’affermer, ni prendre d’associé, mais seulement un sous-maître ; et dans ce cas, il ne devait pas l’accepter venant d’une école proche de la sienne. Les procureurs près les tribunaux, les chapelains, les bénéficiers ne pouvaient tenir d’écoles.

Les maîtres devaient entre eux vivre en paix. Tout sujet de conflit né à propos d’une école devait être porté devant le chantre sous peine de retrait de la permission de tenir école.

Personne ne devait enseigner la grammaire, s’il n’était bon grammairien.

Les maîtres et les maîtresses devaient observer les prescriptions de la commission qui leur était donnée pour le nombre et le sexe des enfants et pour la nature des livres par eux employés.

Aucun d’eux ne devait recevoir plus d’enfants qu’il ne lui était permis, sinon le chantre retenait le surplus des rétributions scolaires.

Ils devaient être assidus à leurs écoles ; et les jours fériés, ils ne pouvaient s’absenter sans une permission du chantre et sans mettre un moniteur à leur place.

Un des points sur lesquels les statuts insistent le plus, c’est la séparation des sexes. Les maîtres d’école ne peuvent recevoir de petites filles, les maîtresses ne peuvent recevoir de petits garçons, sans une permission expresse du chantre. Ce mélange des enfants de sexe différent dans une même classe donnait lieu sans doute à beaucoup d’abus, car on y revient sans cesse. La défense est faite dans les statuts de 1357, renouvelée dans le règlement de 1626. En 1628, un arrêt du Parlement la confirme[2]. En 1633, dans un synode, le chantre M. Le Masle la rappelle encore. En 1641, l’archevêque Mgr de Gondy juge nécessaire, à cause des désordres qui lui ont été signalés, de faire un mandement à ce sujet. En 1655, le chantre, M. Le Masle rend une sentence qui fortifie la prohibition de peines très-sévères. En 1666, le chantre M. Ameline renouvelle la défense ; et, en même temps, l’archevêque, Mgr Péréfixe, publie un nouveau mandement. L’interdiction n’est levée que dans les campagnes, où il n’y a pas assez d’enfants pour établir une école de chaque sexe. Le même maître peut alors recevoir les filles et les garçons, mais à des heures différentes.

Le chantre nommait les maîtres et les maîtresses à la tenue des écoles. Il le faisait à la Nativité de saint Jean-Baptiste, ou au surlendemain de Noël, et pour un an seulement. Pour obtenir une permission, les maîtres n’avaient, à l’origine du moins, rien à payer ni à promettre. Il leur était défendu de se faire donner de l’argent pour procurer une école à un autre ni de stipuler à cet égard aucun marché. Celui qui voulait prendre un sous-maître devait d’abord le présenter au chantre et le faire accepter par lui.

La direction des écoles ne constituait ni des commissions ni des offices ; ce que l’on appellerait aujourd’hui des fonctions publiques ou des charges. Les lettres de maîtrises étaient toujours révocables et ne conféraient sur les écoles établies ni droit de propriété, ni droit de désignation du successeur. Chaque année, au jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, les maîtres et les maîtresses rapportaient leurs lettres qui étaient renouvelées si, durant l’année, aucun abus ne s’était glissé dans leur école et que leur enseignement n’eût donné lieu à aucune plainte. Le chantre procédait comme procède aujourd’hui le ministre qui nomme ou destitue à son gré les instituteurs. Il y avait seulement cette différence qu’un sentiment très-paternel animait cette administration ; et que tout ce qui rappelle la bureaucratie d’aujourd’hui y faisait complétement défaut.

Des individus qui n’offraient aucune garantie cherchaient à échapper à la juridiction du chantre et à ouvrir des écoles soustraites à toute surveillance. Ils s’établissaient de préférence dans des lieux écartés, afin d’être moins facilement découverts, d’où leurs maisons portaient le nom d’écoles buissonnières. On comprend tout ce que cet enseignement clandestin offrait de danger sous le rapport de la foi, de la science ou des mœurs. Dès cette époque, les charlatans ne se faisaient pas faute d’attirer le public par de pompeuses promesses. Celui-ci se flattait d’enseigner en trois mois le grec et le latin dont il ne savait pas le premier mot. Cet autre distribuait des prospectus et enseignait à lui seul la grammaire, la rhétorique, la philosophie, les mathématiques, la théologie, la jurisprudence, la médecine, la mécanique, la fortification, la géographie, le blason, l’astronomie, la chronologie, le droit romain, le droit canon, la coutume, les ordonnances et les principes hébraïques.

Ce maître possédait au moins la science de la réclame ; et de nos jours, elle n’a guère été poussée plus loin. Le chantre intervint. Il fit défense aux maîtres d’enseigner, même avec la science d’autrui, ce qu’ils ne savaient point, et d’afficher ce qu’ils prétendaient montrer. L’enseignement ne devait pas être une entreprise. Enfin, partout il poursuivit les écoles clandestines. Le Parlement le seconda dans cette recherche, et de nombreux arrêts condamnèrent les récalcitrants. Des arrêts de 1628, de 1632, de 1665, consacrent l’autorité exclusive et souveraine du chantre sur les petites écoles. Les maîtres ès-arts eux-mêmes ne peuvent en ouvrir sans sa permission. Tous les différends doivent être portés devant lui ; et le prévôt de Paris ayant voulu intervenir, sa sentence est cassée. Le chantre de Notre-Dame a juridiction sur les écoles de Paris, des faubourgs et de la banlieue ; et partout ailleurs, elles relèvent des curés.

Le grand-chantre, et en son absence le chapitre, exerçait sur les écoles une autorité souveraine. Non-seulement il instituait les écoles, mais nul ne pouvait en ouvrir sans son consentement. Il nommait les maîtres, examinait leur capacité, leur délivrait des brevets, les révoquait. Il visitait les écoles, veillait à ce que les règlements y fussent observés, prononçait des amendes contre les récalcitrants. Tous les ans il appelait les maîtres devant lui, tenait un synode pour leur faire les observations nécessaires, et leur inculquer l’esprit de leur profession. Toutes les contestations relatives aux écoles étaient portées devant lui. L’autorité du grand-chantre était une émanation du pouvoir du chapitre, lequel à son tour le tenait de l’archevêque. Le chapitre possédait une autorité supérieure, qui engendrait, remplaçait et contenait celle du chantre. En cas de vacance de la chantrerie, le chapitre exerçait ses fonctions, nommait et révoquait les maîtres d’école à sa place. Si le chantre se rendait coupable de deni de justice envers les maîtres, le Parlement renvoyait l’affaire au chapitre. Enfin, le chancelier du chapitre, qui en était le premier dignitaire, eut pendant longtemps la collation des écoles dans la cité, et dans quelques paroisses avoisinantes, à Saint-Séverin, Saint-Eustache, Saint-Gervais, Saint-Nicolas des Champs, Saint-Germain l’Auxerrois, SaintPage:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/9 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/10 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/11 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/12 très-favorablement disposé pour leur corporation, qui se tenait dans sa dépendance. Le prévôt ordonnait d’abord que les maîtres d’école ne pussent enseigner l’écriture dans aucune de ses parties, ni mettre sur leurs tableaux des plumes d’or ni aucune marque d’écriture. La sentence ayant été cassée, les écrivains obtenaient du Châtelet une sentence pour défendre aux maîtres d’école de donner à leurs écoliers des exemples autres que des monosyllables. Puis, en vertu des ordonnances du prévôt, ils faisaient opérer chez les maîtres d’incessantes saisies d’exemples et de tableaux. Ils alléguaient pour motifs que, faisant de l’écriture une étude spéciale, et arrivant à une habileté extraordinaire, ils pouvaient seuls enseigner convenablement « ce très-noble art. » Les maîtres d’école répondaient que ce beau prétexte d’enseigner l’écriture dans sa perfection n’avait d’autre résultat que d’apprendre à former une écriture belle à l’œil, mais accompagnée de tant de traits inutiles et d’ornements superflus, qu’elle en devenait illisible ; qu’il suffisait de bien ajuster les lettres et de donner à chacune d’elles la forme qu’elle devait avoir, et que les maîtres d’école en étaient capables. Le Parlement goûtait ces raisons, et comprenait surtout que le monopole des maîtres écrivains eût réduit considérablement le nombre des maîtres d’école, et porté un grand préjudice à l’éducation publique. Aussi, cassait-il invariablement les sentences du prévôt et du Châtelet, et donnait-il satisfaction aux réclamations du grand-chantre qui avait épousé les causes des maîtres d’école.

Vers 1650, il y avait dix-neuf procès pendant. Enfin, pour obtenir du Parlement un arrêt plus favorable, les maîtres d’école saisirent habilement un moment où le grand-chantre Le Masle était retenu au lit par une maladie grave, et par conséquent se trouvait incapable de se défendre.

En 1651, ils étaient affranchis de l’autorité du grand-chantre, et pouvaient enseigner l’écriture, l’arithmétique et l’orthographe ; à partir de ce moment, ils forment une communauté tout à fait distincte. Ils ont un syndic élu par eux et chargé des intérêts communs, des registres régulièrement tenus et déposés entre les mains du procureur du roi, sur lesquels tous les actes de réception du maître sont inscrits par ordre de date.

La réception était faite après examen par le syndic assisté des anciens maîtres. Le récipiendaire prêtait serment devant le lieutenant général de police, en la présence et avec le consentement du procureur Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/14 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/15 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/16 place. L’enseignement était absolument gratuit, le maître ne pouvait recevoir ni salaire, ni étrennes, ni cadeau. Il enseignait le catéchisme, la lecture, l’écriture, un pende calcul, à peu près les mêmes choses que dans les écoles payantes, plutôt moins, les enfants étant jugés avoir besoin de connaissances moins étendues. Le but principal de cet enseignement était surtout la science du salut.

Les maîtres étaient nommés tantôt par l’assemblée de charité, tantôt par les marguilliers, tantôt par le curé. Celui-ci désignait généralement un ecclésiastique sous la direction duquel était l’école.

La situation de ces écoles vis-à-vis des écoles ordinaires fut d’abord incertaine. D’un côté, était l’autorité du grand-chantre ; de l’autre, le droit alors très-respecté des fondateurs des nouvelles écoles, qui le plus souvent se confondait avec le droit du curé dans les mains duquel arrivait l’argent destiné aux fondations.

Il y avait là le germe d’un conflit entre l’autorité du curé et celle du grand-chantre. Le droit du grand-chantre fut d’abord pleinement reconnu : ainsi, saint Vincent de Paul, en 1639, voulant établir, de concert avec M. Lestocq, curé de Saint-Laurent, des écoles de charité pour les enfants des deux sexes sur cette paroisse, en demanda la permission au grand-chantre et l’obtint. En 1646, le curé de Saint-Eustache fit de même. Il dressa par devant notaire un acte dans lequel il déclarait que les maîtres et maîtresses seraient acceptées par le grand-chantre, lui demanderaient leurs lettres d’institution renouvelables tous les ans suivant l’usage, seraient soumis à ses visites, se rendraient chaque année à ses assemblées, paieraient les droits de confrérie, ne recevraient que des enfants pauvres produisant un certificat d’indigence, et remettraient le rôle de ces enfants au grand-chantre tous les trois mois. Il existe un règlement analogue et de la même époque du bureau de la fabrique de l’église Saint-Séverin. Le maître est choisi par les marguilliers, mais il doit recevoir son institution du grand-chantre. Il doit enseigner gratuitement la lecture et le catéchisme à trente enfants pauvres désignés par le bureau, et quand ils sont assez instruits, les remplacer par d’autres. Mais, pour tout cet enseignement, il reste placé sous l’autorité du grand-chantre et est soumis à ses règlements, à ses visites, à son droit de contrôle. Ce contrôle était gênant beaucoup moins par la faute du chantre que par la jalousie des maîtres d’école qui voyaient s’élever des institutions rivales des leurs et qui craignaient, non sans fondement, que l’enseignement gratuit qu’on y donnait ne dépeuplât leurs écoles. Tel qui est dans l’indigence s’imposera les plus dures privations pour faire donner un peu d’instruction à son fils et trouvera le moyen de payer les mois d’écolage. S’il y a une école gratuite, il s’empressera de l’y envoyer et aura tous les droits pour l’y faire recevoir. Le maître de l’école payante sera privé de ce petit revenu. Ceux-ci se plaignaient donc, assiégeaient de leurs réclamations le grand-chantre, et piquaient son amour-propre pour qu’il exerçât le plus rigoureux contrôle sur les écoles de charité. La surveillance touchait à la persécution. Les curés essayèrent de s’y soustraire. Le curé de Saint-Paul institua, en 1654, cinq écoles de charité dans sa paroisse, en réservant à la compagnie de charité le droit de choisir et d’examiner les maîtres. Les curés de Saint-Leu, de Saint-Louis, de Saint-Étienne, suivirent cet exemple. Le grand-chantre qui s’appelait alors M. Le Masle, y forma opposition et offrit de faire enseigner gratuitement les pauvres dans les écoles ordinaires. Les curés répondirent que les parents riches cesseraient alors d’y envoyer leurs enfants, ou que les enfants pauvres seraient mis à part, négligés, et peu à peu renvoyés. Le conflit s’envenima. L’intérêt privé des maîtres des écoles payantes apparaissait derrière les motifs allégués par le grand-chantre.

Ainsi, l’un d’eux, Nicolas Mariette, poursuivit le curé de Saint-Louis en l’Ile, et le traduisit devant le chantre pour lui faire fermer l’école de charité qu’il avait ouvert en sa paroisse. Le chantre condamna le curé. Celui-ci en appela au Parlement et obtint un arrêt, interlocutoire qui permettait « aux prêtres préposés par les curés des paroisses et aux femmes de continuer à instruire, à la charge de ne montrer qu’aux enfants des pauvres et par charité[3]. » Le même droit avait été reconnu à plusieurs communautés de femmes, aux Filles de la Croix[4], aux Filles de la Charité[5], aux Ursulines[6]. La jurisprudence du Parlement se fixait dans ce sens[7]. Le chantre cependant continuait de faire valoir son droit, il était soutenu par le chapitre. Les curés de Paris avaient pris fait et cause les uns pour les autres, de nombreux mémoires avaient été échangés. L’archevêque évoqua l’affaire. Les partis consentirent à se soumettre à sa décision ; et il rendit, le 20 septembre 1684, une sentence qui reconnaissait en Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/19

Quelle était la cause principale de l’infériorité des écoles au dix-septième siècle ? C’était l’insuffisance des maîtres. Les prêtres n’avaient pas le temps ; les laïques n’avaient pas la science, ni surtout la vertu nécessaire ; et les malheureux enfants étaient souvent livrés aux soins des premiers venus. Toute la surveillance et la sévérité de l’Église ne pouvaient empêcher les abus. A plusieurs reprises, des saints, des hommes de prière et de charité avaient essayé de fonder des instituts pour former des maîtres. L’œuvre, en France du moins, n’avait pas réussi. Celui qui devait la faire n’était pas venu.

Un des plus ardents propagateurs de la réforme ecclésiastique, à cette époque, M. Bourdoise, ami de saint Vincent de Paul, avait été frappé de l’urgence de cette réforme.

« Je souhaiterais, écrivait-il à M. Olier, voir une école dans un esprit surnaturel, dans laquelle, en apprenant aux enfants à lire et à écrire, on les pût disposer et former à être des bons paroissiens. Car de voir qu’une charité fasse une dépense pour leur faire apprendre à lire et à écrire seulement, et qu’ils ne deviennent pas meilleurs ni plus chrétiens, c’est dommage, et néanmoins c’est ce qui se pratique le plus communément ; et aujourd’hui toutes sortes d’enfants vont aux écoles, mais à des écoles qu’on leur fait toutes naturelles ; ainsi, il ne faut pas s’étonner si, dans la suite, on en voit peu qui vivent chrétiennement, parce que, pour faire une école qui soit utile au christianisme, il faudrait avoir des maîtres qui travaillassent à cet emploi en parfaits chrétiens, et non pas en mercenaires, regardant cet office comme un chétif métier, inventé pour avoir du pain…

« Pour moi, je le dis du meilleur de mon cœur, je mendierais là volontiers de porte en porte pour faire subsister un vrai maître d’école, et je demanderais, comme saint François Xavier, à toutes les universités du royaume, des hommes qui voulussent non pas aller au Japon ou dans les Indes prêcher les infidèles, mais du moins commencer une si bonne œuvre.

« Il est facile de trouver dans le clergé des gens disposés à prendre des vicariats et des cures, mais de rencontrer des personnes qui aient la piété et les qualités nécessaires pour tenir une école et remplir dignement cet emploi, qui aient du pain d’ailleurs, et qui veuillent s’en acquitter avec une entière dépendance de MM. les curés, c’est chose fort rare. D’où je conclus que, de s’employer à former de tels maîtres ; c’est une œuvre sans doute plus utile à l’Église et plus méritoire que de prêcher toute la vie dans les chaires les plus considérables des meilleures villes du royaume.

« Il y a 57 ans, ajoutait-il, que je connais le métier de laboureur ; et depuis ce temps-là, je n’en ai jamais vu de si mal avisés, que de semer des terres sans les avoir bien fumées et bien labourées auparavant… Or, c’est par le moyen des écoles chrétiennes qu’on prépare les cœurs à recevoir la parole de Dieu dans les prédications.

« L’école, disait-il encore ailleurs, est le noviciat du christianisme. C’est le séminaire des séminaires. »

Enfin, de plus en plus préoccupé de cette pensée, il entreprit de fonder une association de prières pour obtenir de Dieu qu’il voulût bien accorder à la France des maîtres d’école chrétiens. Il était alors à Liancourt : beaucoup d’ecclésiastiques et de religieux que la guerre civile avait chassés de Paris, se trouvaient avec lui. Soixante-dix d’entre eux, parmi lesquels plusieurs membres de la communauté de Saint-Sulpice, entrèrent dans l’association qui fut placée sous le patronage de saint Joseph. Tous les associés s’engageaient à célébrer avec une grande dévotion la fête du Saint, à prier sans relâche pour que Dieu inspirât aux supérieurs ecclésiastiques le zèle des écoles chrétiennes, à y travailler eux-mêmes de tous leurs efforts, M. Bourdoise, de son côté, n’y manqua point. Il écrivit, prêcha, fit des conférences avec son ardeur accoutumée. Un jour, dans l’église de Gentilly, après un sermon, il parla avec tant de feu sur ce sujet, que quatre-vingts personnes voulurent aussitôt se faire inscrire dans l’association. Elle commença le 15 mars 1649 ; deux ans après, le 30 avril 1651, le vénérable de la Salle venait au monde. Dieu avait envoyé sur la terre le fondateur des écoles chrétiennes.

Nous n’avons pas le dessein de raconter, ici du moins, comment le vénérable de la Salle fonda son institut. Contentons-nous de rappeler qu’il l’établit en 1682 à Reims, au milieu d’obstacles de tous genres ; et qu’en 1688 il vint à Paris, appelé par M. de la Barmondière, curé de Saint-Sulpice, pour tenir une petite école de charité, ouverte rue Princesse, et placée jusque-là sous la direction d’un des prêtres de la communauté de Saint-Sulpice.

Quand le vénérable de la Salle vint s’établir à Paris en 1688, il se trouvait donc en face de deux communautés toutes deux puissantes et investies d’un monopole ; celles de maîtres d’école, et celle des maîtres écrivains ; or dans ce cercle privilégié, une première brèche avait été faite par les communautés des femmes enseignantes et ensuite par les écoles de charité. Cette brèche, le Vénérable devait l’élargir et faire définitivement prévaloir le principe de la liberté ; mais ce ne devait pas être la dernière lutte.

Pendant quelque temps, il passa inaperçu. Le curé de Saint-Sulpice lui avait confié son école ; et comme le différend qui s’était élevé au sujet des écoles de charité touchait à sa fin, qu’en 1690, une première transaction avait déjà suspendu les hostilités, les maîtres d’école ne songèrent point d’abord à inquiéter le nouveau-venu.

Mais ses écoles acquirent promptement une renommée extraordinaire ; les enfants y affluèrent avec une abondance inconnue jusqu’ici dans les petites écoles. Puis les écoles se multiplièrent ; à ce moment, l’attention fut attirée et les hostilités commencèrent pour ne plus cesser, jusqu’à ce que le Vénérable eût quitté Paris. Ce sont ces hostilités que nous entreprenons de raconter d’après des documents inédits, et dont le texte même a été tout à fait inconnu jusqu’ici. Ainsi que nous l’avons exposé, les maîtres des petites écoles formaient une communauté différente des corporations des arts et métiers qui relevaient du prévôt de Paris, tandis que la première ne dépendait que du grand-chantre. Mais la nécessité où était chaque personne qui voulait enseigner d’obtenir des lettres de maîtrise donnait à ceux qui les avaient obtenues un monopole de fait dont ils se montraient fort jaloux. Ces maîtres étaient de pauvres gens, vivant péniblement de leur métier, et par conséquent très-attentifs à ce que rien ne vînt réduire leurs maigres profits. Les mois d’école étaient d’un prix minime, et souvent d’un paiement difficile. Les méthodes d’enseignement alors en usage ne permettaient pas de recevoir beaucoup d’enfants à la fois dans les écoles. On ne connaissait ni l’enseignement simultané, qui ne devait être imaginé qu’à la fin du dix-septième siècle par le vénérable de la Salle, ni l’enseignement mutuel. Les enfants étaient enseignés les uns après les autres. Les classes étaient petites, les écoliers peu nombreux, les écoles fort rapprochées. Les règlements déterminaient rigoureusement la distance qui devait les séparer. Il devait y avoir entre elles environ dix maisons dans les quartiers peuplés, vingt dans les autres. Beaucoup de classes ne comptaient qu’une dizaine d’écoliers. Souvent, pour augmenter ses revenus, la femme dirigeait une école en même temps que son mari. Elle enseignait les filles dans une salle pendant qu’il enseignait les garçons dans une autre. Même doublé, le revenu était mince. C’était donc un petit monde, gêné, besogneux, envieux, voyant de mauvais œil tout ce qui pouvait lui faire concurrence, et âpre à la poursuite du téméraire qui osait porter atteinte à ses droits.

Les maîtres plaidaient rarement eux-mêmes. Ils n’en avaient ni le temps ni les moyens. Mais la communauté prenait fait et cause pour eux. Il y avait un syndic qui tenait à justifier l’utilité de sa fonction, des anciens, gardiens vigilants du privilège de la corporation, une bourse commune à laquelle il fallait bien trouver un emploi. On entamait un procès et on le suivait de juridiction en juridiction avec la lenteur solennelle de la procédure et la patience imperturbable de ce temps-là. Il durait un demi-siècle, quelquefois un siècle entier.

Le tribunal du premier degré était celui du grand-chantre. Il jugeait en premier ressort les différends qui s’élevaient entre les maîtres d’école, et les conflits qu’ils avaient avec des rivaux violateurs de leurs priviléges. On ne pouvait appeler de ses décisions que devant le Parlement.

Entre les maîtres d’école, le grand-chantre tenait la balance égale, et sa juridiction était fort appréciée ; mais entre eux et d’autres il était disposé à favoriser les premiers. C’était lui qui les instituait, qui les dirigeait ; naturellement, il se considérait comme leur protecteur et les préférait à des étrangers qui, voulant enseigner en dehors de lui et sans sa permission, étaient presque des rebelles.

Les enfants pauvres étaient nombreux sur la paroisse Saint-Sulpice. Lors du recensement fait en 1651 par les soins de l’assemblée de charité, on avait constaté l’existence de 866 familles de pauvres honteux représentant 2,496 bouches, dont environ 400 enfants en age de fréquenter l’école. Mais il fallait en joindre beaucoup d’autres dont les parents, sans être assistés, étaient hors d’état de payer les mois d’écolage. Ce nombre, déjà considérable en 1652, s’était encore augmenté en 1688, puisque la paroisse elle-même s’était étendue. Aussi l’école établie par le vénérable de la Salle, rue Princesse, se trouva insuffisante ; et il en fallut ouvrir une seconde, rue du Bac, près du quai d’Orsay, en un lieu appelé la Grenouillère ; elle fut bientôt remplie et aussi florissante que la première.

Aussitôt, les maîtres d’école s’alarmèrent. Toutefois ils n’osèrent pas attaquer M. le curé de Saint-Sulpice, et contester son droit d’établir des écoles de charité sur sa paroisse. Ils ne s’en prirent qu’au vénérable de la Salle et ils prétendirent que celui-ci recevait dans ses écoles des enfants assez riches pour payer leurs leçons et qui, par conséquent, devaient leur appartenir. Se fondant sur cette raison, ils firent opérer une saisie sur les écoles gratuites et traduisirent le Vénérable devant le grand-chantre de Notre-Dame. Le Vénérable, qui détestait les procès, ne se présenta point. Il fut condamné, et ses écoles allaient être définitivement fermées. On lui montra alors qu’il n’avait pas seulement ses intérêts à défendre, mais celui des pauvres, que la cupidité des maîtres allait triompher, et que l’œuvre qu’il poursuivait depuis tant d’années serait compromise ; et il se décida à faire valoir ses raisons. Toutefois, comptant peu sur la justice des hommes si elle n’est éclairée par les lumières de Dieu, il fit d’abord avec les frères un pèlerinage à Notre-Dame des Vertus près de Paris, pour implorer son assistance. Puis il interjeta appel de la sentence rendue contre lui ; il exposa qu’il ne causait aux maîtres aucun dommage appréciable, que les enfants qui venaient dans ses écoles n’iraient point dans les leurs, et qu’ainsi son œuvre servait la religion et profitait au public sans nuire à personne ; ces arguments remportèrent, la décision fut réformée et les écoles purent se rouvrir librement.

Mais la jalousie ne tarda point à renaître. Elle se manifesta de nouveau en 1699, mais sans aboutir à d’autres résultats.

Jusqu’en 1702, le vénérable de la Salle avait eu à se défendre de la jalousie des maîtres d’école, et il en avait toujours triomphé. Deux ou trois fois, il avait été traduit devant le grand-chantre et il était sorti victorieux des poursuites. Que pouvait-on lui reprocher ? Au point de vue légal, ses écoles étaient inattaquables. S’il n’avait pas demandé pour les établir l’autorisation du grand-chantre, il avait eu celle du curé ; et n’avait rien fondé que d’après ses ordres. Or le droit des curés de fonder des écoles de charité venait d’être reconnu par le Parlement, par l’archevêque, par le grand-chantre lui-même qui avait renoncé à ses priviléges en leur faveur. Si l’on reprochait à M. de la Salle d’attirer trop d’enfants à ses classes, il pouvait répondre que ces enfants presque tous pauvres ne fussent pas allés ailleurs ; et ses adversaires en étaient réduits à prouver d’une façon très-contestable que, dans les centaines d’enfants qui fréquentaient les écoles, s’en trouvaient quelques-uns de condition plus aisée qui eussent pu payer une rétribution scolaire. Mais ces allégations, portant sur des cas exceptionnels appuyés de preuves douteuses, ne faisaient pas une grande impression sur le juge ; car, jusqu’en 1704, le vénérable de la Salle ne parait pas avoir été condamné. Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/25 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/26 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/27 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/28 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/29 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/30 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/31 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/32 Page:Ravelet, Les petites écoles et le vénérable de La Salle au XVIIe siècle à Paris - 1872.pdf/33

  1. Registres du Chapitre 16 nov. 1545.
  2. Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 457 et suiv.
  3. Arrêt du Parlement du 25 mai 1666.
  4. Arrêt du 3 mars 1651.
  5. Lettres données par le cardinal de Retz aux Filles de la Charité.
  6. Arrêt du 23 août 1678.
  7. Arrêt du 2 septembre 1679.