Gustave Havard (p. 5-14).



autrefois et aujourd’hui


Les Grecs… Ne vous sauvez pas, jeunes collégiens ; il ne s’agit ici ni de thèmes, ni de versions, ni de racines grecques. Les Grecs, dis-je, avaient un Lycée et une Académie, et c’étaient leurs colléges les plus célèbres.

Ce temps-là, voyez-vous, c’était l’âge d’or ; on n’étudiait alors que la langue maternelle. Oh ! vont s’écrier beaucoup d’entre vous, que d’ennuis et de larmes de moins, s’il en était ainsi chez nous ! C’est possible ; mais souvenez-vous bien que si les racines de l’étude sont amères à douze ans, les fruits qu’on en recueille à vingt-cinq sont bien doux.

Mais continuons. Les juifs aussi avaient des collèges ; l’histoire nous vante beaucoup ceux de Tibériade, de Jérusalem et de Babylone.

Et les Romains, ces fiers Romains qui jetèrent l’épouvante dans le monde entier, en ont institué aussi, eux, des collèges ; ils en ont fondé dans les Gaules, à Marseille, à Lyon, à Bordeaux. Il paraît qu’ils avaient du temps pour tout, ces vainqueurs des vainqueurs.

Vous le voyez, de tout temps ç’a été une conjuration contre vous ; de tout temps vous avez été circonscrits, cernés, bloqués par l’étude.



Et ces maîtres qui vous surveillent, qui ont toujours les yeux fixés sur vous… Quoi ! vous baissez la tête, vos bras tombent, et vous vous affligez !… Mais, corbleu ! c’est mal, très-mal, ça… Ah ! vous souriez, je crois !… Oui, et votre front redevient rayonnant, rayonnant comme doit toujours l’être celui d’un collégien.

Allons, séchez vos larmes, amis, et prenez pour nous lire ce visage riant que vous avez quand, du collège chez vos bons parents ; vous ne faites qu’un bond. Nous voulons que



pendant toute la lecture de ce livre vous n’ayez pas un seul instant de tristesse.

Le diable, c’est que, voyez-vous, sans l’étude, on ne peut, n’importe en quoi, faire ce qu’on appelle des hommes. Et un père se dit sans cesse, Mon Dieu ! que je serais heureux si mon fils était un jour un homme de mérite !

Il n’est pas jusqu’à ce grand homme de Charlemagne qui, lui encore, n’ait voulu conspirer contre vous ! Puisque je vous dis !

Le voilà, en 781, qui s’avise de fonder une école qui devint l’origine de toutes les autres en France. Oh ! mais c’est qu’il attachait à son école une extrême importance ! Il allait jusqu’à la visiter lui-même, et interroger les jeunes gens pour juger de leurs progrès. Il allait plus loin encore, ce roi



minutieux : il prenait les cahiers des mains des écoliers pour juger de leur écriture. Une histoire secrète, très-secrète de ce prince, rapporte qu’il n’était pas toujours très-content sur ce dernier point.

Quelle surveillance ! Tudieu ! quel homme c’était que ce Charlemagne !

Ah ! s’il revenait parmi nous, le ministre de l’instruction publique, reconnaissant des idées et quelque mérite en lui, serait capable de l’engammer sur-le-champ et de lui donner une place d’inspecteur général de l’université… avec l’expectative de l’avancement.

L’appétit chez les Français, comme on dit, vient en mangeant. Une fois l’élan donné, on ne s’arrête plus. Des collèges, mais il va en pleuvoir !

De 1252 à 1569, c’est-à-dire dans l’espace de trois siècles environ, Paris en fut inondé. Quarante-deux collèges !!!

Quel soupir ce nombre quarante-deux vous arrache de la poitrine ! Oh, là !

Combien de pensums, hélas ! devaient se faire dans une seule journée !

Quelle consommation de haricots, bon Dieu !



Que de grec et de latin, vous écriez-vous tous en masse, les plumes devaient cracher ! C’est, en vérité, quand on y pense, à en tomber en pâmoison, en syncope.

Mais pas du tout ; ces quarante-deux collèges comptaient moins de collégiens que nos sept collèges d’aujourd’hui, auxquels affluent presque toutes les pensions de la capitale…

Vous le voyez, c’est de plus fort en plus fort. Diable de Charlemagne, de quoi s’est-il avisé !

Tous ces collèges, comme vous le pensez bien, n’ont pas eu une égale célébrité ; quelques-uns sont restés dans notre mémoire, les autres sont oubliés. Ainsi soit-il. Que Dieu… ou leur père Charlemagne, si vous le préférez, ait leur âme !

Le plus ancien, celui dont les vieilles murailles sont fières, étonnées même d’être encore debout, c’est la fameuse et célèbre Sorbonne, qu’institua saint Louis en 1252. Robert Sorbon, son aumônier, lui en souffla la pensée, et soudain la lumière parut.

Que de terribles arguments ses docteurs ont poussés à leurs adversaires ! S’il leur arrivait de se reposer pendant quelque temps, soudain, comme le lion qui a dormi à regret, comme le volcan qui ne s’est refroidi que pour mieux éclater,


       Aux accents prolongés de l’airain monotone,
       S’éveillant en sursaut, la pesante Sorbonne
       Redemande ses bancs à l’ennui consacrés,
       Et les arguments faux de ses docteurs fourrés.


Maintenant le lion dort, ses dents sont tombées, ses ongles. il n’en a plus. Le volcan, il est froid, bien froid. Attendons et nous verrons.

Passons d’un défunt à un vivant, et bien vivant encore : le collège royal de Louis-le-Grand, qui précédemment porta le nom de Clermont ou des Jésuites, et que fonda Guillaume Duprat, évêque de cette ville.

Celui-là, c’est le fameux des fameux, n’est-ce pas ? Il fut honoré de la protection des grands.

Louis XIV le visita en 1674, et dit à un courtisan qui l’entretenait



du succès qu’avait obtenu une tragédie représentée par les élèves et dans laquelle on faisait l’éloge du grand roi : Faut-il s’en étonner ? c’est mon collège. Le recteur, jésuite habile, recueillit ces paroles, et fit en toute hâte graver en lettres d’or sur un marbre noir cette inscription :


Collegium Ludovici Magni ;

et le lendemain elle remplaça l’ancienne. Vous le voyez, les jésuites n’étaient pas maladroits avec les puissants de ce monde.

Jadis vous étiez leur proie, à ces messieurs. Ah ! s’ils pouvaient vous ressaisir !… Mais non, non ! vous écriez-vous,

nous n’en voulons pas. Corbleu ! comme vous vous en défendez !… Vous souriez !… Ah ! nous devinons : avec eux, n’est-ce pas, reviendraient peut-être les pères fouetteurs, ces pères cinglants qui disaient à Voltaire, l’astre de Ferney, condamné à recevoir la correction que vous savez et où vous savez :



Allons, monsieur, dépêchons-nous : nous en avons d’autres à servir. Il est vrai qu’aujourd’hui un collégien n’est pas homme à se laisser faire.

Ce collège était destiné à être l’objet de la faveur des grands monarques. Napoléon lui donna en 1802 le titre de lycée impérial.

Alors tous les collèges reçurent le nom de lycée et prirent une allure nouvelle. L’habit bourgeois fit place à un uniforme presque militaire, et les jeunes gens qui le portaient auraient presque voulu que Napoléon y joignît l’épée.

Les cloches qui annonçaient l’heure du lever, de l’entrée en classe, l’heure du réfectoire, etc., furent supprimées, et le tambour, oui, le tambour, les remplaça.

Dieu, quelle joie c’était ! Une vie nouvelle commençait pour la jeunesse. Être lycéen, c’était être animé d’un souffle napoléonien, mais tout change en ce monde ; 1814 vit disparaître l’uniforme ; 1814 a brisé vos tambours et vos cœurs, et les lycées sont redevenus collèges.

Il vous fallut donc prendre l’habit de ville et substituer au chapeau à cornes le chapeau rond, cette lune de feutre.

Il fallut vous habituer à entendre la cloche, cette musique de couvent qui va droit au cœur en agaçant les nerfs et en vous brisant le tympan.

Mais c’est que, voyez-vous, on craignait alors que vous ne devinssiez trop militaires, et cela aurait pu avoir de très-graves conséquences ; les proviseurs ne se seraient pas crus en sûreté, les professeurs auraient demandé d’être assistés de gendarmes, et les pions seraient tous morts d’effroi.

Juillet 1830 vous a rendu vos tambours, mais ce fut tout.



Ce qu’il y a de plus clair pour vous dans tout cela, c’est que sous l’Empire on vous faisait manger force haricots, que vous en mangez encore, et que ce régime parait devoir se perpétuer sous… tous les régimes.

Nous ne ferons pas l’historique intérieur d’autres collèges : ce serait vous ennuyer, et nous voulons faire l’opposé.

Si l’étude vous fait répandre des larmes amères, espérons que nos pages les sécheront ; elles mettront sous vos yeux vos espiègleries de collégien, vos joies, vos heureux jours, vos tribulations, vos petites vengeances, en un mot les mœurs du collégien depuis son début jusqu’à sa sortie. La route à parcourir est piquante ; le jeune homme battra des mains, l’homme fait sourira complaisamment à son passé.