Les mystères du château Roy/Texte entier

  Table des Matières  

LES MYSTÈRES
DU
CHÂTEAU ROY
par
rené coulombe
Berthierville
Tous droits réservés d’adaptation
ou
de reproduction
Les noms des personnages et les endroitsse déroule ce roman sont purement fictifs et ont été choisis au hasard.
L’auteur

PROLOGUE

Après la mort de sa mère une jeune fille donne son cœur à un jeune étudiant Allemand, mais les artifices d’une seconde mère l’obligent à abandonner celui qu’elle aime.

L’amour et l’argent sont en duel. Il faut des victimes. Un enfant est enlevé sans qu’il soit possible de le retrouver. L’argent semble être le plus fort. Un homme est assassiné dans des circonstances très mystérieuses. Le corps est trouvé dans une bibliothèque dont la seule fenêtre qui doit éclairer la pièce durant le jour n’a pu livrer passage à un homme puisqu’elle était bien verrouillée et ne porte aucune trace de violence. Impossible aussi d’entrer par la seule porte de communication, qui se trouvait bien fermée à clef par l’intérieur de l’appartement et la clef restée dans la serrure.

Il n’existe aucune porte secrète, aucun moyen de communication secret par les murs, aucune trappe dans le plancher ou le plafond, en un mot aucun moyen d’entrée ou de sortie possible et pourtant un homme est trouvé là assassiné, frappé de deux coups de couteau dont l’un dans le dos et l’autre dans la gorge.

Les deux limiers qui sont chargés d’élucider le drame m’ont pas les mêmes vues. À qui donnerez-vous raison ? Trouverez-vous une solution à cette énigme ? Avant que l’un d’eux ne vous raconte tout. C’est ce que nous verrons quand vous aurez lu ce roman l’amour triomphe en terminant par un dénouement très heureux pour tous ceux qui auront attiré votre sympathie.

L’AUTEUR


PREMIÈRE PARTIE


CHAPITRE PREMIER

MORT DE Mme ROY

Par un de ces soirs de fin de Novembre, où le temps est triste et morne, un vent violent pousse une pluie fine qui vient glacer les vitres des fenêtres d’une somptueuse maison située non loin de Montréal, dont les occupants, le cœur angoissé, sont réunis dans une chambre où l’on aurait pu voir ce triste spectacle de la mort qui passe, et qui nous aurait fait river les yeux sur la figure d’une mourante qui sera plus dans un instant qu’un cadavre.

Le notaire vient de se retirer après avoir noté les dernières volontés d’une femme clouée sur son lit de douleur. Le prêtre du village venant d’accourir d’urgence pour assister la mourante dans ses derniers moments. Quelques parents étaient rassemblés pour la voir une dernière fois avant qu’elle ne parte pour le grand voyage de l’éternité. M. Roy, son époux, le cœur triste et gonflé, et sa fille Thérèse qui venait d’entrer dans la chambre et s’abattre auprès du lit en appelant sa mère avec détresse, mais en vain, elle venait de rendre le dernier soupir.

Le prêtre assistant le curé de la paroisse, venant de constater que la pauvre femme était morte, releva l’enfant, éplorée, la consola et la réconforta de tendres paroles, puis il étendit la couverture par-dessus la tête de la morte, après quoi il offrit ses sympathies à M. Roy et à tous les membres de sa famille, et après quelques paroles d’encouragements, se retira.

Trois jours plus tard eurent lieu les funérailles de Mme Roy avec toutes les pompes dues à leur aisance.

Une semaine s’est à peine écoulée après les évènements que nous venons de relater. M. Roy après avoir mis ordre à ses affaires, prend le chemin de Montréal avec sa fille unique, pour aller passer l’hiver chez sa sœur. Thérèse retourna au couvent. Tous les dimanches M. Roy allait au couvent rendre visite à sa fille, ce qui désennuyait cette dernière et lui faisait passer plus vite les jours de semaine.

Le 24 Décembre au soir, chez M. Lavallée, (où M. Roy demeurait depuis son arrivée à Montréal), l’arrivée de Thérèse pour les vacances des fêtes était attendue avec anxiété. Enfin vers neuf heures du soir on entendit une machine arrêter devant la grille. Thérèse et son père en débarquèrent. On fit monter Thérèse dans un appartement aménagé à son intention à côté de la chambre de sa petite cousine Cécile.

Arrivée dans sa chambre, quand elle fut seule, Thérèse enleva son costume de couvent et revêtit une jolie robe noire que lui avait fabriquée sa mère elle-même de ses propres mains. (Car malgré son aisance sa mère aimait à habiller sa petite fille. Elle endossa sa robe qui malgré sa coupe simple lui allait à ravir. Son décolleté laissait entrevoir sa gorge ronde et gracieuse, ses petites manches courtes laissaient voir ses beaux bras ronds et blancs.

Thérèse était moulée dans cette petite robe de crêpe qui laissait paraître ses formes déjà arrondies d’adolescente. Après avoir mis les souliers neufs que son père venait de lui acheter, elle se leva sur ses petites jambes nerveuses et s’admira dans le grand miroir après toutefois, avoir passé ses petits doigts fins dans sa chevelure châtaine aux reflets roux. Son teint déjà clair, pâlit tout à coup car elle pensa soudain à sa pauvre maman, qui pensait-elle aimerait sûrement la voir porter pour la première fois la robe qu’elle-même avait fabriquée de ses propres mains. Elle se laissa choir sur sa chaise et pleura amèrement en pensant à la chère disparue.

Ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait cependant, car lorsqu’elle était au couvent combien de fois avait-elle pleuré en pensant à sa maman chérie, malgré que son père la voyait une fois chaque semaine et essayait de son mieux de la consoler. Car une maman ça tient tant au cœur.

À ce moment on frappe à la porte. Aussitôt elle se leva, essuya ses yeux avec un petit mouchoir qu’elle avait brodé au couvent et dit d’une voix qu’elle s’efforça de rendre ferme : Entrez.

CHAPITRE
II
LES DEUX COUSINES

La porte s’ouvrit et Cécile entra.

Bonsoir Thérèse, ça va bien, que je suis contente de te voir arriver parmi nous pour la période de tes vacances. Oh ! mais qu’as-tu donc, ma chère ? Tu as pleuré !

Ce n’est rien, tu comprends, ça me fait tellement plaisir moi aussi d’être parmi vous tous. Tu sais au couvent c’est tellement tranquille toujours la même chose, ça devient monotone. Et l’on pense à bien des choses tu sais, surtout lorsqu’on vient, comme moi, de perdre sa chère maman. Toi au moins tu es bien heureuse, tu as encore tes parents, des amis, et tu as bien du plaisir, mais moi !

Je comprends ce que tu veux dire, je suis plus heureuse que toi. J’ai mon père, ma mère, des amis qui me visitent et que je vais visiter et avec qui j’ai beaucoup de plaisir. J’ai même un ami de garçon, un chic type, Roland il est étudiant en médecine, d’une beauté passable, d’un bon cœur, et surtout, il m’aime et je l’aime. Il occupe la première place dans mon cœur. Attends que tu fasses sa connaissance. S’il est reçu médecin dans un an et demi comme il l’espère, nous nous marierons alors. N’en dis mot à personne car il est bien entendu que c’est entre nous. Il est vrai que j’ai un an de plus que toi, mais je pense déjà au mariage. Tu devrais pas t’attrister comme cela, ma chérie, il te faut plus de courage. Toi aussi tu auras des amies et amis, je dirais même un amoureux, comme moi que tu aimeras bien et qui t’aimera lui aussi.

Tiens, la cloche pour le souper qui se fait entendre. Toutefois avant de descendre, je vais te prévenir d’une chose, j’ai pensé à toi cette semaine et c’est pourquoi j’ai dit à Roland de venir prendre le Réveillon de Noël après la messe de Minuit et d’emmener avec lui un de ses amis qui est justement un de ses confrères de classe. C’est un Allemand, M. Walter Hines, qui lui aussi étudie la médecine. Il est catholique et un très bon garçon. Nous allons te le présenter, pour t’accompagner. Ne dis pas non maintenant, car tout est arrangé. Je l’ai vu une couple de fois et je suis sûre qu’il te plaira. Maintenant descendons vite, car la cloche du souper est sonnée depuis quelques minutes et je suis sûre qu’on nous attendra.

Thérèse et Cécile firent leur apparition. On les attendait. On fit prendre place à Thérèse près de son père et le souper se passa le plus allègrement du monde.

Après le souper, Thérèse et Cécile descendirent au salon. Là, Cécile montra à Thérèse des photographies de son ami, et lui conta mille et une histoires se rapportant chacune à chaque photographie qu’elle lui montrait. Elles parlèrent du réveillon qui devait avoir lieu ce soir là après la messe de minuit, et le temps passa assez vite. Cécile consulta sa montre-bracelet.

— Il est sept heures, dit-elle, ils ne tarderont sûrement pas à arriver.

À cet instant, la sonnerie de la porte d’en avant retentit. Cécile alla recevoir les deux amis et ils furent introduits aussitôt. Cécile présenta son ami Roland à Thérèse, qui a son tour, présenta Walter à Thérèse.

C’était un jeune homme élégant, bien vêtu, d’une taille moyenne et très bien découpée dans un habit brun foncé qu’il portait à ravir. Il avait les yeux bleus, les cheveux blonds et un air dégagé, qui lui seyait bien. Au premier abord ils se plurent l’un et l’autre.

Après avoir fait accepter la causeuse à Thérèse et à Walter, la conversation s’engage sur mille et un petits soucis des études. Thérèse parla même de sa mère qu’elle venait à peine de perdre et tout en parlant ses jolis yeux s’emplirent de larmes. Walter lui répondait du mieux qu’il pouvait tout en essayant de la consoler, il dit que lui-même avait perdu sa mère étant tout jeune enfant, mais il ne faut pas se laisser abattre par toutes ces choses ajouta-t-il, car dans la vie, plus on vieillit, plus les épreuves deviennent dures. Il lui parla aussi de ses études, de ses rêves d’avenir. Il devait finir ses études en même temps que Roland, si toutefois, ils avaient la chance de passer leurs examens avec succès.

Ils se parlaient avec tant de franchise et de sincérité et les choses allaient si bien que tous deux furent surpris lorsqu’ils entendirent Madame Lavallée qui arriva et leur dit qu’il était temps de se préparer pour la messe de Minuit.

Tout le monde de la maison alla à la sainte messe qui fut entendue avec beaucoup de dévotion. On y reçut même la sainte communion. À la sainte table, Walter et Thérèse étaient côte à côte, et Walter pensait en lui-même : — Quand je me marierai, je me demande si ce sera cette gentille petite fille qui sera à mes côtés.

Après la messe, Walter et Roland vinrent réveillonner tout comme il était entendu, et tous eurent beaucoup de plaisir.

Dans l’après-midi de Noël, Roland et Walter ne manquèrent pas de se rendre à l’invitation qui leur avait été faite, et ils revinrent accompagnés cette fois de quelques amis de Cécile. On s’amusa très bien tout en respectant le deuil récent de la petite Thérèse.

Les visites de Walter à Thérèse se firent assidûment jusqu’à la rentrée de cette dernière au couvent. Même après que Thérèse fut au couvent Walter alla lui rendre visite assez fréquemment, ce qui lui avait été facilité par Cécile qui avait dit à la Supérieure du couvent que ce dernier était son frère, par conséquent, le cousin de Thérèse,

Après chaque départ de Walter après ses visites, Thérèse tombait dans de longues rêveries profondes, elle pensait à toutes sortes ⁁de projets d’avenir et elle n’était tirée bien souvent de ces rêveries que par la cloche annonçant l’étude ou bien le souper. Le devoir faisait sombrer les Châteaux en Espagne pour un moment, quitte à les rebâtir au coucher.

CHAPITRE
III
JEANNE ET PIERRE

Il est cinq heures du soir. Une jeune fille emmitouflée dans un manteau de fourrures se promène devant l’université, semblant attendre quelqu’un. En effet, un jeune homme d’une vingtaine d’années sort et l’aborde aussitôt. Ils se firent conduire par un taxi, dans un hôtel fashionable de la ville et s’enfermèrent dans un salon. Ils se firent servir chacun une consommation.

Jeanne enleva son manteau et son chapeau et s’installa confortablement dans un fauteuil près d’une table. Pierre en fit autant et prenant un siège, s’installa près d’elle.

Ils formaient certainement le couple le plus idéal et le plus charmant qu’on puisse imaginer. Elle avec ses traits délicats, son corps de déesse, elle possédait toutes les qualités qu’une femme puisse rêver de posséder pour pouvoir séduire un homme. Lui de son côté était l’homme idéal et tout désigné pour séduire les femmes. Il était surnommé parmi ses confrères, « La coqueluche des femmes ». Cependant, malgré tous ces attraits, on pouvait remarquer dans les regards de chacun des lueurs louches qui ne respiraient pas tout-à-fait la franchise. Des grands yeux noirs de Jeanne, s’échappaient des éclats métalliques, lorsqu’elle parlait avec animation et ce regard froid et chaud à la fois avait pour don de faire fléchir Pierre à tous les caprices de son amante.

Ils se regardèrent quelques secondes, alors Jeanne prenant son verre et en tendant un à Pierre, lui dit.

— Mon cher. J’ai fait une découverte merveilleuse. J’ai trouvé tout ce qu’il nous faut pour être heureux.

— Que veux-tu dire ? lui demanda Pierre.

— Je veux dire que j’ai un voisin, Monsieur Roy, et qu’il est riche de près d’un million de dollars.

— Quelle importance cela peut-il avoir affaire avec notre amour demanda Pierre d’un air étonné tout en la regardant dans les yeux.

— Prenons plutôt notre verre lui répondit Jeanne ensuite je t’expliquerai.

Elle prit son verre, but très lentement, regardant son interlocuteur dans les yeux, semblant vouloir le dominer, lui faire entrevoir sa propre pensée. Ayant vidé son verre elle le déposa sur la table et prit une cigarette que Pierre lui offrit et approchant son fauteuil encore plus près de son amant elle lui dit : —

— Écoute mon Pierre il va falloir nous séparer pour quelque temps.

— Que dis-tu là ! dit Pierre en sursautant.

— Pierre, écoute et n’interromps pas, tu verras quand j’aurai terminé que c’est pour toi seul que je veux faire cela.

Il va falloir nous séparer, dis-je, durant ce temps tu pourras finir tes études et moi de mon côté je m’occuperai de faire la connaissance de ce Monsieur Roy. J’ai même l’intention de l’épouser. Je vivrai avec lui et tu sais tout peut arriver, un fâcheux accident ou autre chose, (que tu peux imaginer). Après sa mort, nous nous marierons et nous serons riches et heureux. Et se penchant plus près, elle lui glissa quelques mots à l’oreille à voix basse et se redressant, elle reprit : « Ce n’est pas si mal, qu’en pense-tu ?

— Tu es admirable de répondre Pierre, Mais comment sais-tu qu’il est si riche ?

— Je l’ai su de sa nièce et de plus je sais le nom du notaire avec qui il fait affaire. Allons le voir, peut-être apprendrons-nous quelque chose d’intéressant et nous déciderons ensuite ce que nous aurons à faire.

Ils sortirent du salon de l’hôtel, réglèrent la note et sautèrent dans un taxi.

Vingt minutes plus tard ils frappèrent à la porte du notaire qui les reçut le plus aimablement du monde.

Pierre exposa le but de leur visite disant que sa mère était la sœur de Madame Roy et qu’ils venaient au nom de sa mère prendre connaissance des dernières volontés de la défunte.

Le notaire les fit passer à son bureau, ouvrit son coffre-fort en sortit toute une liasse de papiers timbrés et se mit en devoir de trouver ce qu’il cherchait tout en causant avec eux.

C’est très malheureux dit-t-il à Pierre que votre oncle ait perdu son épouse quand il avait tout ce qu’il lui fallait pour être heureux. Une femme possédant toutes les qualités, une gentille fillette. Et avec cela près d’un million de dollars. En plus une très belle propriété en campagne.

— Oui fit remarquer Pierre, mon oncle a toujours aimé la campagne pour le bon air qu’il savait y trouver.

— Voilà le testament de votre tante dit le notaire en leur remettant, le document.

Jeanne et Pierre s’emparèrent aussitôt du testament et se mirent en devoir d’en prendre connaissance du contenu qui se lisait comme suit : —

Je soussigné lègue à ma fille unique, Thérèse, la somme en argent de cent cinquante mille dollars ($150,000.00) qui devra lui être remis le jour de son mariage ou à la mort de son père si ce dernier devait mourir avant qu’elle soit mariée. —

En plus je lègue à son premier enfant la somme de dix mille dollars (10,000.00) dont il ou elle prendra possession à son mariage ou à l’âge de vingt et un ans (21 ans) révolus.

En fait de quoi ayant tous lucidité d’esprit et agissant selon mon désir, je soussigné.


Ont Signé : —Mme Albert Roy (Née Lucille Bordeleau.)

M. Albert Roy.
M. Alp. Boisvenu. Notaire

— Je ne suis aucunement en peine pour M. Roy dit le notaire en remettant le testament dans son coffre-fort, car il peut remplir toutes ses obligations en tout temps sans en être affecté le moins du monde.

La sonnerie du téléphone se fit entendre à cet instant. Le notaire s’excusa auprès de ses clients. Il alla répondre et revint en disant : — Je suis demandé à l’hôpital auprès de mon petit garçon qui est très malade. On vient de m’apprendre qu’il est bien bas en ce moment.

— C’est très malheureux dit Jeanne, car vous allez passer un bien triste jour de l’an.

Quand ils furent sortis de chez le notaire, ils allèrent souper dans un restaurant non loin de là et après que leurs repas fut consommé, ils retournèrent à l’hôtel, prirent une chambre et s’y enfermèrent à double tours. Jeanne s’abattit sur une chaise, prit sa tête entre ses mains et se mit à réfléchir un long moment. Pierre vint se placer debout devant elle et la contempla.

Ils restèrent muets tous les deux pendant quelques minutes, Jeanne relevant soudainement la tête rompit le silence.

Eh bien ! Pierre qu’en penses-tu ?

— C’est très risqué, ma chère.

— Bah ! on n’a rien pour rien, reprit Jeanne, après tout, ce sacrifice que nous allons nous imposer pour quelque temps nous sera bien payé. Mon plan est tout établi d’avance, moi j’épouse le père, et toi tu auras la fille, tu sais le reste, les deux morts, à nous richesse et bonheur.

— Tout cela est très bien dit Pierre, mais qui me dit que tu ne te ficheras pas de moi quand tu auras épousé le père Roy.

— Oses-tu douter de moi, dit-elle, crois-tu que je vais passer ma vie avec ce vieil homme ruiné, et que je n’aime pas quand il y a toi qui es jeune, joli et plein de vigueur, et encore mieux, que j’aime. Mais puisque tu crains nous allons nous faire un serment et nous lier par le sang. Tout en parlant elle se leva, prit un verre et lui demanda un canif. Elle enleva son manteau et se fit une incision à l’avant bras gauche. Elle laissa couler un peu de sang dans son verre et essuya la plaie avec son mouchoir. Elle lui présenta ensuite le canif et lui dit : — Fais comme moi.

Pierre prit le canif et se fit la même opération, et lui aussi fit couler son sang dans le verre que lui présentait son amie, et qui se mêla à son sang.

Jeanne s’empara alors du verre, et elle en absorba quelques gouttes après quoi, elle lui passa le verre qu’il vida d’un seul trait.

— Eh ! bien Pierre tu ne pourras plus douter de moi maintenant, nous sommes désormais liés l’un à l’autre À LA VIE À LA MORT.

Et remettant son manteau elle s’apprêta à sortir, mais il la retint.

— Écoute Jeanne, nous ne sommes pas pour nous quitter aussi promptement que cela, nous n’aurons peut-être pas l’occasion de nous revoir en tête-à-tête bien longtemps. Reste, donne-moi encore une fois de cette ivresse. Oh ! si tu savais ma chérie, comme il me faut t’aimer pour consentir à un tel sacrifice.

— Moi aussi, il me faut me sacrifier tout autant que toi, mais c’est pour toi, je t’aime tellement mon chéri.

Oui, ils s’aimaient tous les deux c’était un amour enflammé, né d’un seul jet au contact de la double étincelle de leurs beautés et de leurs désirs, un amour né de la chair, absolu, assoiffé, immédiat et fatal.

Huit mois de cela, huit mois de baisers, de caresses et de bonheur pas une seule ombre, pas une minute de lassitude ou de dégoût. La seule chose qui les préoccupait c’était l’argent ils venaient de trouver ce qu’ils cherchaient avec tant de convoitise, ils étaient donc heureux, et c’était fête pour eux.

Le lendemain matin on aurait pu voir Jeanne seule dans un taxi l’air rêveuse, se faisant reconduire chez elle.

Ce même jour qui était le jour de l’an Jeanne alla chez sa voisine Madame Lavallée pour lui faire ses souhaits et elle fit dans la même visite connaissance avec Monsieur Roy qu’elle invita à lui rendre visite chez elle. Il se rendit donc un jour à son invitation et à partir de ce jour M. Roy s’était chargé des visites. Les choses allèrent si bien que M. Lavallée fit remarquer un jour à son épouse : On trouvait Thérèse en bonne voie avec M. Hines mais je crains que son père la devance, nous allons bientôt le perdre je crois.

En effet les choses allèrent si bien qu’à la fin du mois de mai fut célébré le mariage de Monsieur Roy avec Jeanne…

CHAPITRE
IV
M. et MADAME ROY

De retour de leur voyage de noces autour de la Gaspésie, les nouveaux époux Roy vinrent s’installer dans leur maison de campagne. Disons plutôt dans leur château, car les gens de la région l’avait surnommé le château Roy.

C’est sous ce nom que nous connaîtrons leur demeure dans la suite. Dès qu’ils furent revenus au Château, ils firent subir de grandes réparations et le tout se fit bien entendu au goût de Mme Roy, car M. Roy était très orgueilleux de sa nouvelle épouse et n’aurait pas voulu que Jeanne ne fut contrariée pour le moindre caprice.

Les réparations furent finies pour l’arrivée de Thérèse pour les vacances. En sortant du couvent Thérèse passa une semaine chez sa cousine Cécile. Son ami Walter en profita pour lui rendre visite tous les jours, attendu qu’il demeurait tout près.

Ces deux jeunes cœurs étaient épris d’un amour sincère et inséparable. Walter vint même la reconduire chez elle accompagné de Cécile et de Roland.

Jeanne s’informa de ce jeune homme et lorsqu’elle sut que Walter était bien l’ami de Thérèse et non un camarade elle en fut très contrariée mais n’en fit rien voir.

Elle s’empressa tellement et eu tellement d’égards pour Thérèse que M. Roy finit par lui dire : — Si je ne te connaissais pas je croirais réellement que Thérèse est ta propre fille.

— Lorsque je t’ai épousé, répondit Jeanne j’ai pris des engagements et je m’efforce de m’en rendre digne. Quand on aime bien son mari on aime bien tout ce qui lui touche.

— Je suis très heureux de voir ainsi lui répondit son mari et tu peux être assurée qu’il en est de même pour moi.

Quelques jours plus tard, Walter revint rendre visite à Thérèse, il revint plusieurs fois, ce qui mettait de plus en plus Jeanne dans l’inquiétude.

Alors un soir après y avoir mûrement réfléchi, elle aborda son mari en ses termes :

— Ce soir mon chéri, j’ai à t’entretenir de notre fille. Permets-moi de l’appeler ainsi car je la considère comme telle.

— De quoi s’agit-il ma chère Jeanne ?

— Eh ! bien ce monsieur Walter m’intrigue beaucoup. Je me suis informé de sa personne à M. le Docteur Pierre un de ses confrères, un ami de mon frère. Il me conseille d’avertir Thérèse qu’elle était mieux d’être déçu aujourd’hui que d’être déshonorée demain. Il a même dit au Dr Pierre qu’il n’était pas prêt à se marier, que ce serait dans son pays qu’il irait se choisir une épouse. C’est un Allemand et un viveur m’a-t-il dit. Un homme qui préfère beaucoup mieux effeuiller la rose blonde que la cueillir. Comme j’ai recueilli d’aussi mauvais renseignement sur son compte je me suis empressé de t’avertir afin que tu puisses mettre fin à ces fréquentations qui pourraient peut-être un jour nous occasionner de la peine.

— Je te remercie pour l’intérêt que tu témoignes vis à vis de Thérèse, et demain je verrai à ce que tout cela soit fini.

Le lendemain après le diner il convoqua Thérèse dans sa bibliothèque il la fit asseoir en face de lui et lui demanda.

— Tu l’aimes beaucoup ton Monsieur Walter ?

— Oh ! Oui beaucoup.

— Tu as même l’intention de l’épouser je crois ?

— Elle hésita.

— Sois franche avec moi.

— Oui, et je crois que j’aurai ce bonheur.

— Non, car il faut que tu l’abandonnes.

— C’est impossible

— Pourtant il le faut.

Elle se leva et s’apprêtait à quitter les lieux.

Il lui saisit la main d’un mouvement brusque et tendre, remarquant la petitesse et la fragilité de son poignet, il lui fit reprendre son siège.

— Je te dis jeune obstinée qu’il le faut, j’aimerais mieux mourir que de te voir épouser un hypocrite à transformation, qu’un coureur de sensations dites rares, en un mot un artificiel. La sincérité même dure ne m’effraie pas pour toi. C’est le perpétuel mensonge qui m’effraie. Crois-moi Thérèse, à peine mariée, s’il te mariait, tu chercherais en vain ton mari, tu ne le trouverais nulle part et quand tu croirais l’avoir trouvé ce sera encore pour le perdre.

— Laisse-moi papa, tes arguments sont forts, tu les ajustes bien mais ils ne sont pas justes. Walter te déplaît c’est ton droit. Il me plaît, c’est le mien.

— Tu as envie de lui appartenir même malgré moi ?

— Oui j’ai envie de lui appartenir. S’il me faut souffrir, ce sera bon de souffrir pour sa faute et de pleurer à cause de lui. Remarquez que je ne me marierai pas pour avoir au plus vite mon héritage mais bien parce que j’aimerai.

— Je suis prêt à te donner ton héritage tout de suite si tu veux me promettre de l’abandonner.

— Je vous remercie.

Eh bien ! finissons-en c’est fini, tu m’entends bien, et je te défends de le recevoir et lorsqu’il reviendra c’est moi qui le recevrai. Sur quoi il la congédia.

Elle monta dans sa chambre se laissa tomber sur son lit et pleura amèrement pendant de longues heures, se demandant ce qui avait bien pu bouleverser son père, et l’avoir tourné si mal contre son ami. Elle aurait bien voulu le recevoir, cet ami chéri, lui expliquer qu’elle n’était pour rien dans cette affaire. Elle le voyait loin, le cœur triste, se demandant ce qui avait bien pu changer Thérèse si brusquement. Elle finit par s’endormir en faisant des soubresauts. Elle était loin de se douter que Walter était à la porte en ce moment demandant à son père une entrevue avec Melle Thérèse.

M. Roy lui répondit.

— Non Monsieur. Elle est sortie et pour vous, elle sera désormais toujours sortie. Si vous voulez bien ne plus la revoir, je vous en serais très obligé. Bonjour, et la porte se referma brutalement.

Walter regarda pendant quelque temps la porte qui venait de se refermer si brutalement sur lui. Il était fort surpris et il se demanda même s’il ne rêvait pas. Il remonta alors dans sa voiture et reprit la route de Montréal : se demandant ce qui pouvait bien s’être passé au Château pour qu’on lui fit une si mauvaise réception.

Il entra chez lui se promettant bien de revoir Thérèse et d’avoir une explication.

Tous les jours il se rendait dans les environs du Château pour guetter la sortie de Thérèse car il voulait lui parler seul à seul. Enfin, un jour il la vit sortir se dirigeant vers le village : Il partit aussitôt à sa poursuite et la rejoignit bientôt.

Elle fut fort surprise de le voir apparaître à un moment aussi imprévu. Il la fit monter près de lui et il partit à une vive allure dépassa le village de quelques milles. Thérèse se laissait emporter rêveuse. Ils ne se regardaient même pas l’un et l’autre on aurait cru à une évasion, ou des criminels en fuite. Il arrêta dans un endroit isolé afin de n’être pas remarqué par les passants.

— Tu dois sans doute savoir pourquoi je t’ai apparu aussi soudainement.

— Je m’en doute.

Eh bien ! que s’est-il passé ?

— Impossible de te l’expliquer.

— Pourquoi m’a-t-on fermé la porte au nez quand je suis allé pour te voir ?

— Je savais même pas que tu étais venu.

— Ai-je fait quelque chose de désobligeant à tes parents ou à toi-même ?

— Moi je n’ai rien à te reprocher, et pour ce qui est de mes parents je n’ai eu connaissance de rien et cela me fait beaucoup souffrir de nous voir réduits à ce point sans pouvoir en connaître la cause.

— Dans ce cas tu n’as aucunement changé tu m’aimes toujours aussi sincèrement.

— Oui, mon chéri.

Eh bien ! qu’allons-nous faire ?

— Je n’en ai aucune idée.

— Moi j’en ai une si tu y consens… Et il arriva ce qui arrive malheureusement à certaines jeunes filles quand les parents veulent trop sans raison suffisante, se rendre maître de leurs sentiments. Six mois plus tard on dut enfermer Thérèse afin que personne ne s’aperçut dans quelle position elle se trouvait.

Jeanne était beaucoup déconcertée de la voir dans cet état, car elle voyait dix mille dollars lui échapper. Elle ne se décourageait pas et trouva un moyen ingénieux.

Un soir que M. Roy était beaucoup atterré, se demandant ce qu’il devrait faire pour éviter le scandale de Thérèse, Jeanne vint en aide : — Tu as l’air bien découragé, as-tu quelque chose qui ne va pas ?

— C’est Thérèse qui me cause tous ces soucis, il faudra que je finisse par consentir à son union.

— Je ne crois pas que cela soit nécessaire, dit Jeanne, j’ai trouvé un autre remède aujourd’hui pendant que tu étais allé en ville. Le Dr Pierre est venu et me demanda si les amours de Thérèse avec M. Walter étaient finis et si je croyais qu’elle le recevrait encore comme son ami. Je lui ai dit dans quelle position elle était et c’est lui qui me donna le moyen à prendre.

— Je suis prêt me dit-il à venir pour sa maladie, qu’on porte l’enfant au baptême le soir, afin que tout soit tenu secret, qu’on le porte ensuite dans une famille éloignée pour le faire élever, de cette manière personne ne s’apercevra de rien. Après quoi je suis prêt à l’épouser si elle veut bien de moi pour mari, car je ne lui tiendrai aucunement compte d’avoir été dupée par un ensorceleur et un hypocrite de cette trempe.

Voilà ce que m’a dit le Dr Pierre, c’est pourquoi je ne crois pas que tu sois forcé de consentir à son union avec un homme qui ne fera sûrement pas son bonheur.

L’idée est — très bonne, et les choses s’arrangent bien, mais j’y réfléchirai, quand même et l’on verra.

CHAPITRE
V
COMPLOT

On est au commencement d’avril, Jeanne est dans sa chambre récapitulant une dernière fois ce qu’elle doit faire de l’enfant de Thérèse. Elle fit venir dans sa chambre Louise, sa cuisinière.

— J’ai cinq cents dollars pour vous Louise, voulez-vous les gagner ?

— Si c’est possible.

— Il s’agit d’enlever un enfant pour sauver l’honneur de la famille, et de tout faire pour qu’il soit votre propre enfant.

— Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire.

— Eh bien ! Mademoiselle Thérèse va avoir un enfant. Et il faut que cet enfant disparaisse d’ici, quelques jours après son arrivée. Vous l’apporterez chez vous, vous allez être malade, Dr Pierre ira, vous aurez un enfant. Le lendemain vous le faites baptiser à votre nom et je vous donne cinq cents dollars.

Vous serez deux mois sans travailler et je vous paierai votre salaire quand même. Vous faites de l’enfant ce que vous voulez et l’affaire sera finie.

— C’est impossible madame, je ne suis pas enceinte.

— Personne ne pourra vous soupçonner un docteur va à votre maladie, l’enfant est baptisé à votre nom, on ne peut rien dire. Et les cinq cents dollars vous appartiennent.

On frappa à la porte, Jeanne fit signe à Louise d’aller répondre. On venait prévenir Mme Roy que le Dr Pierre venait d’arriver et désirait s’entretenir avec Madame.

Jeanne descendit aussitôt avec Louise. C’est justement le docteur dont je vous parlais. Il est au courant de tout ce que je viens de vous proposer, vous pouvez être sans crainte. Je vous donne congé pour l’après-midi, allez prévenir votre époux et prenez ces deux billets de cinq dollars en acompte pour ces jours-ci. Louise se confondit en remerciements et courut sans plus tarder à son logis.

Son mari fut fort surpris de la voir arriver, mais elle lui expliqua bientôt de quoi il s’agissait, lui racontant les intentions de Mme Roy. Alfred ne l’entendit pas d’une bonne oreille, mais lorsqu’elle lui apprit qu’il avait cinq cents dollars à gagner et que madame en avait déjà donné dix en acompte, cela changea toute la face des choses.

C’est différent lui dit son mari, pourvu qu’il y ait de l’argent au bout, je suis prêt à tout et tu pourras prévenir Mme Roy qu’elle peut compter sur nous, elle n’aura qu’à nous prévenir.

Oui mais ne t’imagine pas que tu auras toute la galette, lui dit sa femme. Comme c’est moi qui gagne la vie ici et qu’il me faudra faire vivre cet enfant, il est convenable que j’aie ma part. Donc c’est part égale. Deux cent cinquante dollars pour chacun de nous.

— C’est bien, donne-moi les dix dollars que Mme Roy t’a remis et j’accepte de faire parts égales.

— Non ! Parts égales en tout et partout. Voici cinq dollars, le reste en même temps que moi quand nous prendrons possession de l’enfant.

Alfred fut donc obligé d’accepter le cinq dollars que sa femme lui remit et aussitôt qu’elle fut partie pour retourner au château, il prit le chemin de l’auberge où il n’avait pas remis les pieds depuis déjà plusieurs jours.

Louise, dès qu’elle fut revenue au Château, s’empressa de trouver Mme Roy pour lui faire part de la décision qu’elle avait prise avec son mari ce qui attira aux lèvres de Jeanne un sourire de satisfaction.

Elle renvoya Louise à la cuisine et se dirigea au salon, où le Dr Pierre causait avec M. Roy.

Jeanne entra, prit place dans un fauteuil en face des hommes et s’adressant à M. Roy.

— Eh bien ! mon cher, qu’as-tu décidé au sujet de Thérèse ?

— J’ai décidé d’élever nous-même l’enfant et de ne pas l’envoyer dans d’autre famille. Si Thérèse est dans cette position c’est de notre faute, si nous l’avions mieux surveillée, cela ne lui serait pas arrivé. Nous sommes coupables tous les trois, donc expions notre faute, si nous voulons être pardonnés de notre manque de surveillance, qu’en pensez-vous docteur ?

— C’est très bien, mais vous pouvez faire une chose. Faites passer l’enfant pour votre propre enfant, de cette manière on ne se doutera de rien et vous expierez votre faute quand même.

On frappa à la porte. Un valet s’avança portant une lettre qu’il remit à M. Roy. La lettre était adressée à Thérèse. M. Roy prit la lettre l’examina. Elle venait de Montréal et était adressée par une main d’homme.

Et comme le valet ne bougeait pas, M. Roy lui demanda.

— Qu’attendez-vous pour vous retirer ?

— J’attends une réponse que je dois rapporter au messager.

Alors M. Roy se décida à rompre le cachet de la lettre qui l’intriguait beaucoup. Elle se lisait comme suit. —


Ma chère Thérèse.

Comme mon père doit partir pour retourner dans notre beau pays, en Allemagne, et qu’il désire bien que je parte avec lui, je n’ai pas voulu consentir à le suivre avant d’avoir eu une réponse définitive sur l’impossibilité de notre mariage.

J’espère que votre père est revenu à des meilleurs sentiments à mon égard. S’il consent à notre union, je resterai à Montréal, mais si au contraire il persiste dans ses idées, je me verrai forcé d’accompagner mon père en Allemagne.

Je partirai dans trois jours et ce sera avec mille regrets que je quitterai cette terre canadienne où je laisserai un petit enfant avec sa mère pour qui je donnerais volontiers ma vie.

Je demeure, en attendant la réponse que doit me rapporter le messager et qui doit décider de mon bonheur.

Votre tout à vous,
Walter.

M. Roy donna la lettre à Jeanne qui la lut bien attentivement.

— Il a encore l’idée de revenir, ce sacripant, dit-elle.

— Donne-moi la lettre, je monte voir Thérèse. Et dites au messager d’attendre quelques minutes.

Et il monta à la chambre de Thérèse…

— Bonjour papa, dit-elle en le voyant entrer…

— Bonjour ma petite. Je suis venu te demander une faveur, et c’est, j’ose l’espérer, la dernière de ce genre que je viens te demander.

— De quoi s’agit-il mon cher papa !

— De Walter.

Thérèse devint tout à coup songeuse. Elle cloua ses yeux au plafond et demeura là, en extase.

— Quoi, lui demanda son père, vas-tu être aussi rebelle que la dernière fois qu’il en fut question ? Vas-tu refuser à moi, ton père, de vouloir désirer le bonheur pour sa fille et pour lui-même.

Oui, il le désirait le bonheur pour sa fille et c’est avec bonne foi qu’il cherchait à la détourner de cet Allemand. S’il avait eu le moindre doute qu’il était dupé, qu’on se servait de lui pour jouer avec la destinée de Thérèse, il aurait vite fait de les rappeler à l’ordre, car c’était un homme qui aimait la justice et qui aurait préféré se sacrifier mille fois, plutôt que d’en imposer à sa petite fille, sans raison suffisante. Mais il lui était impossible de douter sa femme capable d’un tel méfait. Elle si pleine d’égards et d’empressement pour Thérèse.

— Eh bien ! Papa parlez, je vous écoute.

— Prends connaissance de ceci, après quoi je te dirai pourquoi je m’oppose à cette union.

Thérèse s’empara de la lettre d’une main nerveuse, la lut et relut, une larme vint perler à ses paupières, qu’elle essuya du revers de sa petite main blanche.

— Tu as de la peine, ma chérie, je te comprends. Il a si bien su t’ensorceler, oublie-le et plus tard tu comprendras que je voulais ton bonheur. Moi aussi j’ai beaucoup de peine de voir que tu veux absolument appartenir à un homme qui n’est pas digne de toi. Que ferais-tu si tu l’épousais ? tu t’ennuierais peut-être de te trouver loin des tiens dans un pays éloigné, personne n’aurait le dévouement de ton père, si tu venais dans le besoin, à qui confier ta peine ? Si ton époux n’est pas comme tu l’as rêvé, tu serais obligée de voiler ta peine par un sourire. Vas-tu m’abandonner, moi ton père, qui n’a que toi d’enfant que je puis chérir, toi qui me rappelle ta chère maman que nous avons tant aimée. Non c’est impossible tu ne peux pas faire cela. Dis-moi que c’est un mauvais rêve que j’ai fait, que tout est fini, et que tu n’y penseras plus.

Thérèse releva la tête qu’elle avait tenue penchée pendant tout le temps que parlait son père, et la main sur l’épaule de son père, le regardant, les yeux pleins de larmes elle dit.

— Pour vous, Papa, je vais m’imposer ce grand sacrifice. Mais en retour il faut que vous promettiez d’élever mon enfant, de pourvoir à tous ses besoins, de le considérer comme s’il était votre enfant, ne jamais me pousser au mariage, me laissant libre de pleurer ma peine.

— Je te le promets, pourvu que tu renonces à lui. En plus je vais te donner dix mille dollars dont tu prendras possession cette semaine même : de cette manière tu ne seras pas dans l’inquiétude, et si je venais à manquer bientôt, ce qui peut arriver, car nous ne savons pas quand notre dernière heure sonnera. De cette manière j’aurai rempli ma promesse quand même.

Alors Thérèse s’approcha de son bureau dans lequel elle mit la lettre que son père venait de lui remettre, prit une feuille de papier et y traça quelques lignes. Elle mit cette feuille sous une enveloppe la cacheta la tendit à son père.

— Faites-lui parvenir ceci et je vous promets que vous n’entendrez plus parler de lui.

CHAPITRE
VI
LA FEUILLE D’ÉRABLE

Le lendemain au Château Roy, était baptisée une fillette du nom de Lucille. C’était comme on s’en doute l’enfant de Thérèse. L’ordre fut donné à tous les serviteurs de la maison de laisser entendre dans les alentours que c’était bel et bien l’enfant de M. et Mme Roy.

Le soir même Thérèse constata et fit constater à son père et sa belle-maman que le bébé portait sur l’épaule droite une feuille d’érable bien visible, ce qui fit penser à Jeanne.

Tout est contre moi pour que j’échoue dans mon entreprise, mais non, je réussirai quand même. Je vaincrai tous les obstacles, il faut que j’arrive à mon but.

Quoique peu satisfait de voir qu’une telle chose était arrivée à Thérèse, M. Roy se montra très empressé pour le bébé, ce qui faisait beaucoup de plaisir à Thérèse ; mais le bonheur que lui procuraient ces marques d’affection ne dura pas longtemps, car trois jours plus tard on lui enleva son enfant.

—o—O—o—

Il est minuit, à la grille du château, un homme et une femme sont dissimulés dans l’ombre. On les reconnaîtra sans doute, ce sont Louise et son mari.

— Ils ne viendront pas dit le mari impatienté.

— Attends répondit sa femme je ne crois pas qu’ils retardent. Tiens, je vois venir quelqu’un là bas. Ce doit être cela. En effet un homme vint les trouver et leur remit un enfant, la somme d’argent convenue et une bouteille de remède avec les instructions. Dix minutes plus tard, tout retomba dans l’ordre au Château.

À l’aube Thérèse s’éveilla, étendit le bras pour approcher son enfant dont elle pensait s’être éloignée en dormant. Mais elle ne trouva rien. Elle se mit à crier de toute la force de ses poumons appelant son père avec détresse.

M. Roy réveillé en sursaut accourut accompagné de sa femme et de quelques serviteurs attirés par les cris.

— Qu’as-tu ? lui demanda son père.

— Mon enfant, où est mon enfant ? On m’a volé mon enfant.

Mme Roy eut toutes les peines du monde à retenir Thérèse au lit et ce ne fut qu’après toutes sortes de promesses qu’on allait sûrement retrouver son enfant, qu’elle parvint à la rassurer. On fit des recherches partout dans le Château pour voir par où étaient passé les ravisseurs… Mais ce fut en vain, on ne trouva rien. M. Roy téléphona à Montréal, à une agence de détectives, pour commencer les recherches aussitôt.

Une heure plus tard deux détectives se présentaient au Château. On leur apprit qu’il s’agissait d’un enlèvement d’enfant. Que l’enfant portait sur l’épaule droite une feuille d’érable bien visible.

— Avez-vous entendu du bruit dans le cours de la nuit ? s’informa un des détectives.

— Aucun bruit, le chien dans la cour n’a même lancé aucun avertissement, et il nous a été impossible de découvrir par où sont passés les ravisseurs.

— Doutez-vous quelqu’un qui aurait pu avoir intérêt à faire cet enlèvement ?

— Peut-être M. Walter Hines, dit Mme Roy.

— Quel intérêt peut-il avoir ?

— Il est le père de l’enfant.

— Dans ce cas l’enfant n’est pas à vous ?

— Non, reprit M. Roy. Il appartient à ma fille.

Est-elle séparée d’avec son mari ?

— Non Mr c’était son ami et comme elle ne veut plus l’épouser il aurait probablement voulu avoir l’enfant pour je ne sais raison.

Pouvons-nous voir la mère de l’enfant ?

— Certainement monsieur. Si vous voulez vous donner la peine de me suivre.

— C’est vous la mère de l’enfant qui fut enlevé cette nuit demanda l’un des détectives, une fois introduits chez Thérèse.

— Oui monsieur.

— Doutez-vous M. Hines d’être l’auteur du rapt ?

— Je ne le crois pas capable d’une telle monstruosité.

— Doutez-vous d’autres personnes ou avez-vous quelques idées qui puissent nous aider à retrouver votre enfant.

— Non monsieur aucune.

— C’est très bien, nous vous remercions beaucoup. Ils se retirèrent après s’être fait donner une liste de tous les employés du Château, dont on scruta scrupuleusement les allées et venues de chacun. Ils apprirent que Louise avait eu une fillette la même nuit de l’enlèvement.

Ils allèrent interroger le médecin qui avait été demandé pour Louise, et celui-ci jura que l’enfant était bien à Louise.

Ils se firent même montrer l’enfant par Alfred, le mari de Louise, mais ils ne découvrir pas de tache ou de marque sur l’épaule de l’enfant.

On se lança donc sur une autre piste. Sur celle de Walter.

CHAPITRE
VII
WALTER DOIT RENONCER À THÉRÈSE

Walter est dans sa chambre qu’il arpente nerveusement de long en large, attendant avec impatience le retour du messager qu’il avait envoyé auprès de Thérèse. Il revint enfin. Il vint lui porter la lettre dans sa chambre. Walter s’en empara d’une main fiévreuse, régla le messager et refermant la porte, il fit sauter le cachet et lut : —
Monsieur.

Je regrette, mais après y avoir profondément réfléchi, il nous sera impossible de réaliser nos projets, que nous nous étions tracés.

Je vous demanderai donc de bien vouloir m’oublier, de ne plus m’écrire, de ne faire renaître aucune occasion de nous revoir ; De cette manière nous nous oublierons plus vite et la douleur sera moins grande. Je sais que vous allez vous rendre à ma demande sans plus d’explications, car ce serait impossible. Votre silence sera la grande marque d’amitié que je puisse désirer.

Je demeure, tout en gardant le souvenir, votre toute reconnaissante.

Thérèse.

Walter eut presqu’une crise, ses sourcils se foncèrent ; ses dents se serrèrent à se rompre ; ses doigts se crispèrent ; ses ongles entrèrent dans la chair. Il fit quelques pas dans la direction de son bureau, s’empara de la photographie de Thérèse qu’il regarda longuement. Ses nerfs se calmèrent peu à peu et la lucidité revint dans son esprit…

Non, je ne commettrai jamais un crime aussi atroce. Et parlant à haute voix comme s’il lui avait parlé à elle-même, il demanda d’une voix presque suppliante. Pourquoi m’abandonnes-tu ? Pourquoi veux-tu que j’oublie, que je me brise le cœur ? En prenant son parti. Eh bien puisque c’est toi-même qui me le demandes, j’essaierai de t’oublier. Et prenant un coffret où il renfermait ses photographies, il déposa celle de Thérèse. Walter descendit aussitôt au salon où son père se trouvait en ce moment et le prévint qu’il partirait avec lui.

— Que je suis heureux de voir que tu pars avec moi, mais tu as donc changé d’avis, tu devais rester par ici ?

— J’avais beaucoup à faire et je croyais être obligé de rester mais les choses se sont bien passées et je suis prêt à partir.

Ils mirent leur passeport en ordre, mais durent partir une journée plus tard qu’ils s’attendaient.


Il est huit heures de l’avant-midi. Walter et son père sont à la gare attendant l’arrivée de leur train pour New-York. Deux hommes les abordent et l’un d’eux demande à Walter s’il n’était pas un Allemand du nom de Walter Hines.

— Oui, monsieur.

— Voulez-vous nous suivre au poste dit-il en montrant son insigne de détective.

— C’est impossible, je dois partir dans quelques minutes.

— Vous êtes attendu au poste et nous avons ordre de vous amener, si vous voulez bien nous suivre de bon gré, vous nous dispenserez de sévir.

Walter dut de bon gré, se rendre au poste de police, où il fut longuement questionné au sujet de l’enlèvement de l’enfant de Thérèse.

Il fut des plus surpris de se voir interroger pour cette cause, car il ne savait même pas que Thérèse avait mis au monde l’enfant dont il était le père. Il aurait même donné la moitié de sa vie pour pouvoir le retrouver. Il dut passer deux jours au poste de police, le temps de prendre connaissance de toutes ses allées et venues, depuis la veille de l’enlèvement jusqu’à ce jour.

On dut le relâcher faute de preuves suffisantes, car on ne trouva aucun indice pouvant le compromettre. Une fois libre il reprit le chemin de l’Allemagne avec son père qui l’avait attendu.

— Quelques mois après son arrivée dans son pays il établit un bureau de médecine et se fit rapidement une clientèle enviable. Un an plus tard il convolait en juste noce avec une fille de sa nationalité de laquelle il eut un garçon. Il paraissait très heureux mais en lui-même il souffrait toujours de cette séparation si brusque avec Thérèse ; l’idée de la disparition de l’enfant qu’il aurait tant chéri, le hantait. Il aurait tant aimé l’avoir près de lui. Il aurait au moins un souvenir vivant de sa chère Thérèse.


Mais revenons au Château. Quelques jours après le départ de Walter pour l’Allemagne on aurait pu voir un soir Jeanne et Pierre assis dans le salon, paraissant fort préoccupés et parlant d’une voix très basse afin de n’être pas entendus.

— As-tu parlé à Thérèse ? demanda Pierre.

— Oui, ce matin. Elle n’est pas disposée à se marier cette année, elle demande un an pour oublier son ancien ami et pour pleurer la disparition de son enfant. Après quoi elle sera prête à t’épouser si tu as encore la même intention.

C’est impossible, nous ne sommes pas pour vivre cette vie-là encore un an.

— Pourtant il le faut.

— Oui, mais tu sais, tous les bruits que l’on fait à propos de la guerre, s’il fallait qu’elle éclate et moi encore garçon, que deviendrais-je ? Et toi ?

— C’est vrai je n’y avais pas pensé, nous allons donc parler à Thérèse demain et il faut qu’elle se décide.

Comme de fait, le lendemain on parla à Thérèse. On lui démontra tant de sincérité et de conviction qu’on finit par la convaincre et on lui fit accepter que son mariage eut lieu en juillet.

Le mariage n’eut pas lieu. La guerre s’étant déclarée plus tôt que l’on s’y attendait. Pierre fut donc obligé d’aller servir dans l’armée quoiqu’il eût bien voulu se cacher pour s’en exempter.

Le jour de son départ, on alla le reconduire et les adieux furent des plus touchants, mais si quelqu’un les avait remarqués il se serait sûrement aperçu qu’il y avait beaucoup plus de chaleur dans le baiser que Pierre donna à Jeanne que celui qu’il donna à Thérèse.

Revenus à la maison, au diner, M. Roy et Jeanne parlèrent beaucoup de Pierre, des dangers et les misères que les soldats endurent sur le champ de bataille. Thérèse seule demeurait silencieuse, car elle pensait beaucoup plus à son enfant qu’à Pierre. Et profitant de l’occasion ou la conversation était en suspens, elle demanda à son père ce qu’elle avait plus d’une fois demandé.

— A-t-on trouvé quelques indices sur l’enlèvement de mon enfant ?

— Non, toujours rien, et la prime que j’ai offerte n’a apporté aucun succès, mais nous ne devons pas désespérer car la justice est patiente c’est ce qui fait sa force. Tout la favorise contre les criminels un jour ou l’autre elle finira bien par mettre la main sur les coupables.

Jeanne qui les écoutait parler riait en elle-même et se faisait la réflexion suivante en les regardant du coin de l’œil.

Dans l’espérance l’on vit et l’on y meurt.

Elle riait et se jouait de la justice, c’est ce qui est très dangereux, et si quelqu’un qui aurait su ce qui se passait dans son for intérieur, il aurait certainement pu lui répondre tout en faisant ces réflexions comme elle.

— Qui joue avec le feu se brûle.

Mais laissons la rire et jouer, peut-être qu’elle se brûlera un jour. Oui, brulé par cette flamme d’amour qui renaîtra peut-être un jour et qui saura cette fois renverser et bruler tous les obstacles, et la clarté, qui jaillira de cette flamme saura guider la justice vers la découverte de cette énigme.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Vous retrouverez les personnages dans la deuxième partie de ce Roman.

Les Mystères
du
Château Roy
par rené coulombe — berthierville
Deuxième Partie
DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE
I
LE DR PIERRE

Nous retrouvons nos personnages dix-sept ans plus tard. Mais que sont-ils devenus depuis ce temps. C’est ce que nous allons voir.

Le docteur Pierre passe les quatre années de la guerre aux champs de bataille. Au mois de novembre de la dernière année on parlait beaucoup ce l’armistice, ce qui fit renaître en Pierre les beaux projets d’avenir qu’il s’était plus d’une fois tracés et qui avaient été renversés depuis quatre ans par cette satanée guerre. Mais aujourd’hui tout était différent, puisqu’on parlait de paix cela voulait dire pour lui, Jeanne… Il se revoyait déjà avec elle dans un avenir très rapproché. Que de baisers et de caresses ils s’échangeraient, et cette fois pour toujours, et pour ne plus jamais se séparer. Mais hélas ! les choses n’allèrent pas comme il les avaient rêvées, il ne devait pas la revoir aussitôt qu’il le croyait car trois jours avant que l’armistice ne fût signé, Pierre fut blessé et affecté par le gaz.

Force lui fut donc de se laisser conduire dans un hôpital où l’on déclara son cas très sérieux, car il avait été sérieusement atteint par le gaz.

Il fut donc forcé de rester à l’hôpital malgré que ses camarades reprenaient le chemin de retour à leur foyer, et ce n’est qu’après deux ans et demi de séjour à l’hôpital qu’il pût à son tour revenir vers Montréal.

Mais de passage à Paris, où il dut faire un séjour de quelques jours en attendant le départ de son bateau. Un autre malheur lui arriva. Il fit la connaissance d’une petite parisienne : Une mondaine, une de ces filles de rue, qui l’entraîna dans un club de Paris dont elle faisait partie au profit de certains joueurs. Elle lui fit tenter fortune et il se laissa entraîner par l’appât du gain.

Mais la chance ne le favorisa pas, car il perdit jusqu’au dernier sous des économies qu’il avait faites. Ce voyant ainsi dénué de tout son argent il tenta alors de le reprendre par la rigueur. À la sortie du club il se blottit dans une entrée de cour attendant la sortie du gros gagnant qui ne se fit pas longtemps attendre. Lorsque ce dernier sortit, et l’abordant le revolver au poing, le sommant de lui remettre tout l’argent qu’il avait en sa possession et tout occupé qu’il était à dévaliser son homme, il ne vit pas venir en arrière de lui un ami de ce dernier.

Il fut alors frappé à la tête et alla rouler sur le pavé et comme on allait pour le charger une seconde fois il déchargea son arme ce qui attira beaucoup de passants et particulièrement la police qui s’en empara aussitôt.

Il fut jugé et condamné, cinq mois plus tard à dix ans de prison ce qui retarda d’autant son retour.

Et tout ce temps que dura son incarcération il ne cessa de penser à sa chère Jeanne et se promettant bien cette fois lorsqu’il serait libre de se rendre immédiatement auprès d’elle.

Depuis le départ de Pierre pour la guerre, chez M. Roy on avait beaucoup parlé de lui et quoique toutes les lettres qu’on reçut de lui annonçaient toujours qu’il était bien et qu’il n’avait pas encore reçu de blessure, on s’attendait toujours d’apprendre sa mort un jour ou l’autre.

Mais les quatre années de la guerre se passèrent sans que l’on reçut de mauvaises nouvelles et depuis le 11 de novembre, le jour que l’armistice fut signé, on attendait avec anxiété encore plus grande le retour de Pierre.

Le jour où devait arriver les soldats l’on se rendit à Montréal afin d’assister à leur arrivée et avec l’intention bien entendu de ramener Pierre avec eux, car ils avaient tous cette même conviction que Pierre devait compter parmi les retours du front. Ils étaient loin de se douter qu’un malencontreux accident survenu au dernier jour pouvait le retenir à l’hôpital.

Ce fut donc avec une grande déception qu’ils retournèrent au Château sans avoir pu obtenir aucune nouvelle de lui…

Après plusieurs années passées sans qu’aucun signe de vie leur parvint de Pierre, on finit par l’oublier, sauf Jeanne qui ne cessait de penser à son amant et si parfois elle venait prête de prendre une décision d’exécuter son projet seule, elle changeait d’idée aussitôt à la pensée du serment qu’elle avait fait, c’est ce qui la faisait retarder.

Elle vécut longtemps dans cette espérance de le voir revenir, car ce ne fut que dix-sept ans après son départ pour la guerre qu’il revint enfin.

Son arrivée fut saluée avec grande joie et couronnée d’un grand festin où parents et amis furent conviés.

Après le repas, M. Roy annonça le renouvellement des fiançailles de sa fille Thérèse avec le Dr Pierre, qui avaient été rompues par le départ subit de ce dernier pour la guerre. Il ajouta qu’il était heureux de voir unir ces deux cœurs qui ne s’étaient pas oubliés depuis dix-sept ans de séparation et entrevoyait beaucoup de bonheur pour eux. Les acclamations retentirent de toutes parts et l’on vida les verres en leur honneur. Le mariage fut célébré au mois d’avril et quoique ce jour soit un jour de bonheur et de joie pour deux cœurs qui s’aiment et qui voient réaliser leurs rêves, Thérèse au contraire fut triste et rêveuse tout le temps que dura la cérémonie. Elle était si rêveuse, qu’il fallut lui répéter la demande de son consentement par deux fois pour avoir une réponse, car elle pensait à un autre qu’à Pierre.

Revenue au Château elle profita d’un instant où elle était seule dans sa chambre pour pleurer encore une fois son amour qu’elle avait éprouvée et qu’elle éprouvait encore pour Walter.

Si elle lui avait demandé de l’oublier et de ne plus la revoir ce n’était certes pas parce que ses sentiments étaient changés. Non, car depuis cette séparation si brusque, toutes ses pensées avaient été pour lui. Et comme elle ne doutait pas de son amour et sentant tout le sacrifice qu’il avait faire pour se rendre à sa demande, elle lui en était reconnaissante en gardant de lui un souvenir qui occupait la première place dans son cœur.

CHAPITRE
II
WALTER

Nous savons c’est avec regret que Walter avait quitté Montréal pour l’Allemagne où nous n’avons plus entendu parler de lui. Dix-sept ans de cela, dix-sept ans qu’il vécut paisiblement avec sa femme et son enfant ne sortant jamais si ce n’est que pour aller à ses malades. Il passait ses journées à son bureau à recevoir sa nombreuse clientèle, pour laquelle il se dévouait presque jour et nuit. Mais il ne se passa pas une journée où il n’eut pas une pensée pour Thérèse.

Depuis son arrivée dans son pays où il perdit son père quelques années après son arrivée, rien de fâcheux ne survint jusqu’au jour où un accident se produisit.

Mme Hines accompagnée de son fils étaient allés faire une promenade en auto, Walter se trouvant à son bureau reconduisant un client. La sonnerie du téléphone retentit soudain. On le demandait d’urgence pour un accident qui venait d’arriver à la campagne. Une locomotive disait-on venait de frapper une automobile. Il se rendit en toute hâte sur le théâtre de l’accident et arriva juste à temps pour constater la mort de sa femme et recueillir le dernier soupir de son garçon.

Ce fut un rude coup pour Walter qui se demandait si la malédiction ne s’était pas abattue sur lui. Il allait se décourager, quand l’idée lui vint de se tourner vers Thérèse. Il reprit aussitôt courage sans pour cela rejeter de sa pensée les pauvres disparus, qui lui étaient réellement très chers.

Il vendit tout ce qu’il possédait et revint vers Montréal avec l’idée de reconquérir Thérèse se disant que depuis dix-sept ans, les choses pouvaient avoir changé et qu’il serait peut-être plus heureux et qu’il réussirait peut-être cette fois.

Le même soir de son arrivée à Montréal, Walter écrivit une longue lettre à Thérèse qu’il alla déposer immédiatement à la poste. Mais s’il avait su que les idées de M. Roy étaient loin d’être revenues en sa faveur et qu’en plus Thérèse était mariée avec le docteur Pierre, il aurait pris plus de précautions pour lui faire parvenir sa missive.

Après avoir déposé sa lettre à la poste il revint se coucher, mais le désir ardent de la revoir, le tint éveillé durant plusieurs heures. Enfin le sommeil réparateur vint le libérer de ses soucis.

Le courrier vient d’arriver au Château. Thérèse qui est assise dans le salon en compagnie de son mari et de Jeanne vient de recevoir la lettre de Walter.

Elle fut surprise de voir que la lettre était adressée à son nom de fille. Jeanne qui regardait du coin de l’œil, fit la même constatation ce qui la mit en éveil.

Thérèse déplia la lettre et lut ce qui suit :


Thérèse,

J’avais promis de vous oublier, j’ai essayé mais vouloir oublier quelqu’un c’est y penser constamment. Déduisez de là que je n’ai pas essayé bien sincèrement.

Pour posséder entièrement et à jamais votre estime, j’avais promis de ne plus vous écrire et de ne jamais vous revoir afin que nous puissions nous oublier plus facilement.

Ce silence est le don le plus méritoire que puisse vous faire mon amour.

Si à vos yeux je tenais ma promesse, si vous ne saviez plus ce qu’était devenu votre petit ami d’autrefois en revanche tous les soirs, c’était un besoin maladif pour moi d’oublier un peu la triste réalité pour me réfugier en mon souvenir.

Sans que vous le sachiez je vous parlais, sans que vous le sachiez ma pensée vous suivait au loin.

En quelques années la vie m’a enlevé ce que j’avais de plus cher. Mon père, ma femme et mon enfant. Vous surtout, mon amie.

Ma peine à qui la dire, qui me comprendra entièrement. Il me faut la voiler d’un sourire. Mais à la chère photographie qui me rappelle votre bon sourire encourageant, naïvement, je redis mes chagrins. Je raconte combien pour moi la vie fut méchante.

En me plaignant ainsi à votre image, j’ai la douce illusion de me confier à vous-même ; il me semble voir votre regard des jours heureux où vous étiez là près de moi, votre sympathie si chaude et réconfortante, savait me faire oublier que même alors, la vie me rudoyait.

J’avais promis de vous oublier, j’ai essayé pourtant, mais pas très sincèrement, car au fond, tout au fond, je ne veux pas vous oublier.

S’il en est ainsi de vous, si vous avez gardé le même souvenir je vous attendrai dans le petit parc en arrière du Château.

Demain et après demain je serai là de neuf à onze heures du soir. Je vous attendrai et peu importe les empêchements, s’il en existe encore, nous fuirons loin de nos persécuteurs, dans un pays où nous pourrons épancher honnêtement et sincèrement notre amour.

Je demeure, en attendant le bonheur de vous revoir votre sincère et fidèle ami.

Walter.

À peine eut-elle fini de lire qu’elle se sentit le besoin urgent d’être seule pour pouvoir pleurer, elle se retira précipitamment. Il était temps, car à peine était-elle sortie du salon qu’elle éclata en sanglots. Elle courut dans sa chambre.

Pierre qui avait remarqué ce départ précipité de Thérèse fut vite mis au courant par Jeanne de ce qu’elle avait vu, et reçut même des instructions qu’il se mit aussitôt en devoir de remplir.

Il monta à la chambre de Thérèse avec l’idée bien arrêtée de savoir le contenu de cette lettre. Lorsqu’il entra dans la chambre il la surprit à pleurer à chaudes larmes.

— Qu’as-tu ? lui demanda-t-il. Que contient donc cette lettre pour te faire tant de peine ? De qui vient-elle ? Où l’as-tu mise cette lettre ? Laisse-moi la voir. Toutes ces questions furent lancées sans arrêt.

— Je l’ai brûlée, répondit-elle.

Mais s’approchant d’elle il mit la main sur son corsage et il sentit le papier, au toucher.

— Donne-moi cette lettre, ordonna-t-il.

Elle fut donc forcée de la lui remettre. Après l’avoir lue il la mit dans sa poche.

— Ah ! il a l’intention de t’enlever toi aussi. Il ne se contente pas de t’avoir enlevé ton enfant, c’est toi à présent qu’il veut. Eh ! bien, qu’il essaye donc pour voir.

Je te défends de lui répondre et particulièrement de sortir du Château d’ici quelques jours.

Et la laissant toute à son chagrin, il se retira aussi précipitamment qu’il était entré.

Revenu au salon où Jeanne l’attendait. Elle lui demanda.

— As-tu la lettre ?

— Oui, répondit-il en la lui présentant.

Eh bien ! dit-elle, après l’avoir lue attentivement, la chance est pour nous cette fois, il arrive à point ce M. Hines.

— Ce sera bientôt.

— Ce sera demain.

CHAPITRE
III
ASSASSINAT DE M. ROY

Dans la bibliothèque du Château, où plusieurs collections de volumes d’hommes réputés sont rangés, M. Roy est assis à lire son journal.

Neuf heures et demie viennent de sonner à la pendule. Dans le Château nous n’entendons plus que le bruit des pas de quelques serviteurs vaquant à leurs dernières occupations.

Tout-à-coup, perçant le silence, un cri strident retentit venant du côté de la bibliothèque. Thérèse et Jeanne qui étaient dans le salon accoururent accompagnées de quelques serviteurs. Pierre qui était dans son bureau, survint aussitôt.

On constata que la porte était barrée par en dedans, impossible d’introduire une autre clef dans la serrure puisqu’il y en avait dé- jà une de l’autre côté. On frappa à la porte sans pouvoir obtenir de réponse. Alors on donna ordre aux serviteurs d’enfoncer la porte. Deux hommes donnèrent de l’épaule dans la porte et la firent voler en éclats. Un triste spectacle se présenta à leurs yeux.

M. Roy étendu sur le parquet baignant dans son sang. Un grand cri de détresse se fit entendre, suivi d’un second. C’étaient Thérèse et Jeanne qui les avaient lancés. Il fallut les sortir aussitôt de la bibliothèque car elles venaient de s’évanouir toutes les deux. Pierre dut donc faire face seul, à la situation. On eut recours tout de suite à la justice qui dépêcha immédiatement des agents sur les lieux afin que le moindre indice ne fut détruit. Une fois sur les lieux, les agents cherchèrent aussitôt les indices pouvant les conduire à l’arrestation du meurtrier.

On constata que M. Roy avait reçu non seulement un coup mais deux. Le premier dans le dos entre les deux épaules ce qui enlevait tout doute que M. Roy pouvait s’être donné lui-même la mort. Et le deuxième coup que le meurtrier avait donné sans doute pour être sûr que sa victime ne survivrait pas, les mettait ainsi dans l’impossibilité de recueillir aucune accusation venant de la part de la victime. Le coup fut donné dans la gorge, là même où l’on retrouva le couteau de chasse dont s’était servi le meurtrier. Aucune empreinte digitale ne fut découverte sur le couteau cependant que sur le manche deux lettres étaient gravées W. H.

L’un des agents demanda si l’on ne connaissait pas quelqu’un portant ces initiales qui aurait par vengeance ou par intérêt attenté à la vie de M. Roy.

Jeanne qui était revenue de son évanouissement avait pris courage et assistait les agents dans leurs recherches. Ce fut elle qui répondit à la question de l’agent.

Je ne connais qu’un certain M. Walter Hines, qui porte ces initiales, le même qui a été soupçonné lors de l’enlèvement de l’enfant de Thérèse.

— Ce pourrait bien être lui dit Pierre, car il est revenu d’Allemagne et il a écrit une lettre à Thérèse la priant de se rendre dans le parc du Château afin de pouvoir s’enfuir avec elle dans un autre pays.

— Quand a-t-elle reçu cette lettre demanda un agent ?

— Hier Monsieur.

— Avez-vous encore cette lettre ?

— Oui, Monsieur, la voici si vous désirez la voir.

L’agent la prit et la lut.

— Puis-je garder cette lettre pour quelque temps ?

— Certainement, tant que vous le désirez.

— Avez-vous entendu quelque bruit avant que vous constatiez la mort de M. Roy ?

— Non, Monsieur, répondit Pierre mais lorsque j’entendis crier M. Roy j’étais dans mon bureau près de la fenêtre. Je sursautai en entendant le cri. Je fermai ma fenêtre et je vis quelqu’un courant dans la direction du parc.

— Avez-vous remarqué sa taille, son uniforme ?

— Il portait un chapeau mou, il était d’une taille moyenne, mais il m’a été impossible de voir la couleur de son habit étant donné qu’il faisait très sombre.

— Vous êtes certain d’avoir vu quelqu’un se diriger du côté du parc ?

— Oui, Monsieur.

— C’est très bien. Et donnant ordre à deux des agents qui étaient là on alla faire des recherches dans le parc. Ils virent un homme qui s’enfuyait à toutes jambes. Ils partirent à sa poursuite mais il leur fut impossible de le rejoindre.

Durant ce temps au Château on continuait les recherches. On défit presque tout l’appartement. Les murs, les plafonds, le plancher fut sondé. On examina soigneusement la fenêtre, la serrure, la porte sans y pouvoir découvrir de quelle manière le meurtrier avait pu commettre son crime sans qu’aucun moyen de pénétrer en dedans ou d’en sortir fût possible.

Des recherches furent alors organisées pour chercher Walter. On localisa l’hôtel où il se retirait mais il fut impossible de le trouver. On fit alors une perquisition dans sa chambre et on découvrit dans l’une de ses malles un fusil de chasse démonté et un étui qui devait porter le couteau découvert dans la gorge de la victime.

Le lendemain matin en s’éveillant Thérèse vit quelque chose dans la vitre de la fenêtre. Elle pria son mari d’aller voir. Pierre se leva, aussitôt ouvrit la fenêtre et s’empara du papier qui était collé à une vitre et se mit aussitôt en devoir de prendre connaissance de son contenu.

Thérèse se leva et s’approchant de son mari qui semblait atterré par ce qu’il lisait, lui arracha des mains le papier pour y lire :

Thérèse.
Si tu ne viens pas à moi j’irai à toi.

Thérèse ne pouvant pas en croire ses yeux qui lui révélaient une intention dont elle n’aurait cru Walter capable.

L’auteur du billet avait écrit en lettres moulées à la main, espérant d’enlever à la justice la chance de le découvrir. Pierre fit parvenir le billet à l’agent détective qui était en charge de la cause et celui-ci envoya quelques-uns de ses hommes afin que tous fussent en sécurité au Château.

Les hommes furent placés de manière et avec ordre de saisir mort ou vivant toute personne qui chercherait à s’introduire dans le Château.

La nuit venue serviteurs et quelques hommes de police guettaient d’un œil vigilant l’endroit où était caché celui qui avait annoncé sa venue.

CHAPITRE
IV
LUCILLE

Après l’enlèvement de Lucille on simula si bien les choses qu’aucun soupçon ne vint effleurer les gens de sa région sur l’arrivée de cette fillette qu’on croyait réellement la fille de Louise. On changea pour plus de précautions le nom de Lucille en celui de Rita. (C’est donc sous ce nom que nous connaîtrons Lucille par la suite.) On éleva Rita, car Louise qui aimait beaucoup les enfants ne voulut jamais s’en séparer quoiqu’en disait son mari, et l’instinct de mère se développa tellement en elle qu’elle aurait été prête à tous les sacrifices pour elle.

Tant que Louise vécut Rita fut heureuse, non pas du côté d’Alfred car il n’avait aucun égard pour elle et il cherchait souvent à lui faire un mauvais parti, surtout lorsqu’il arrivait en boisson. (Ce qui lui arrivait souvent.) Mais en revanche elle était certaine de trouver en Louise une protectrice qui savait la protéger dans ses moments critiques. Elle lui témoignait tant d’affection qu’elle oubliait les duretés qu’Alfred ne manquait pas de lui faire endurer.

Mais cette protection ne devait pas durer toute sa vie durant car à peine venait-t-elle d’avoir ses dix-sept ans que Louise minée par une maladie qui ne pardonne pas, mourut la laissant seule avec cet homme qui n’avait aucunement l’amour du travail. Il s’était laissé vivre par sa femme ne travaillant que pour satisfaire son ivrognerie se souciant peu des besoins du ménage. Alors devenu seul avec Rita il l’obligea donc à gagner sa vie, ce fut très dur pour elle, mais Rita avait beaucoup de cœur et accepta donc cette charge si pénible surtout pour une jeune fille de son âge.

Mais les choses ne durèrent pas longtemps ainsi car Alfred qui accablait Rita de reproches de toutes sortes parce qu’elle ne pouvait lui fournir tout l’argent qu’il aurait désiré pour ses caprices, lui disait qu’elle était paresseuse, que si elle avait plus de cœur elle trouverait sûrement le moyen de gagner plus d’argent et la fin de ces scènes se terminait toujours par des menaces qui forçaient Rita à remettre à son père tout l’argent qu’elle avait en sa possession, et celui-ci prenait aussitôt le chemin de l’auberge pour en revenir ivre et sous l’effet de l’alcool, recommençait une autre scène encore plus cruelle. Ces scènes finirent par faire germer dans l’esprit de Rita l’idée de s’enfuir vers Montréal engagée comme servante elle n’aurait plus de ces scènes et n’aurait plus qu’elle à penser. Elle l’eut plus d’une fois cette idée de s’enfuir mais il lui était impossible de se décider à la mettre à exécution jusqu’à ce qu’un soir Alfred étant entré plus ivre qu’à l’ordinaire et voulant se rendre coupable de voies de faits, elle s’enfuir dehors pour lui échapper et en sortant elle lui entendit crier dans sa rage de l’avoir échappé « Je ne suis pas ton père ».

Il voulut partir à sa poursuite mais la boisson eut raison de ses jambes et il tomba lourdement sur le plancher. Il proféra des jurons et tenta de se relever mais ce fut impossible. Et quelques minutes plus tard il tomba dans un sommeil de plomb.

Alors Rita qui le regardait par la porte restée entrouverte à sa sortie vit qu’il n’y avait aucun danger, rentra dans la maison, rassembla le linge qui lui appartenait, en fit un paquet et ayant mis son manteau et son chapeau, sortit aussitôt et sans hésitation elle prit la route qui conduisait à Montréal avec l’idée bien arrêtée de ne jamais revenir vers ce père qui venait de la renier.

Après qu’elle eut marché quelques milles, la fatigue ne tarda pas à se faire sentir surtout après avoir besogné ardûment toute la journée pour subvenir aux besoins de la maison.

Elle fut donc forcée de s’assoir de temps à autre, marchant par petites étapes qui se faisaient de moins en moins longues.

Après quelques heures de cette marche pénible, exténuée de fatigue, elle se laissa choir sur le bord du fossé afin de prendre un peu de repos mais cette fois la fatigue eut raison de sa volonté et de son courage et les premiers rayons du soleil la surprirent dormant d’un sommeil de plomb.

Quoiqu’il fût très à bonne heure, une automobile vint à passer. Le conducteur ayant aperçu la jeune fille ralentit son véhicule et arrêta quelques pas de Rita qui ne s’éveilla pas.

Un jeune homme bien mis en descendit. Faisons sa connaissance.

Un jeune homme de vingt-deux ans grand et svelte, à la figure énergique au regard intelligent, répondant au nom de Jacques, travaillant pour une agence de détectives dont son père en était le chef.

En voyant Rita, le jeune homme avait cru à un accident de machine qui était repartie aussitôt comme la chose se produit si souvent malheureusement, laissant sa victime sur le bord de la route.

Mais il se détrompa bien vite lorsqu’il fut près d’elle et croyant avoir devant lui une fille de rien, l’interpella en poussant rudement du pied.

— Levez-vous, vous allez attraper votre coup de mort.

Réveillée en sursaut, elle laissa échapper un cri de surprise mêlé de terreur et se levant aussitôt elle recula de quelques pas. Elle darda sur lui son regard de diamant noir. Don qu’elle avait hérité de sa mère. Et la crainte éprouvée au début se dissipa en lisant sur la figure de Jacques une sympathie qui allait de plus en plus croissante à mesure que se poursuivait l’étude qu’il faisait de sa personne.

Jacques avait remarqué au début qu’elle était belle, d’une beauté rare de fleur de neige. Car le sang paternel de cet Allemand blond mêlé à celui de sa mère fraîche fille de rentier, d’une beauté peu commune avait fait d’elle une petite fée. Et la terne cotonnade dont elle était vêtue lui donnait des airs de petite princesse déchue, et sa beauté brillait dans cette pauvrette comme une perle dans la cendre. Toutes ces observations furent faites en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. La bonté et la chasteté qui se reflétaient sur cette figure mignonne éveillèrent en Jacques le désir de s’intéresser au sort de cette pauvre petite malheureuse qui n’avait plus que la route pour chaumière et c’est d’une voix chaleureuse et sympathique qu’il lui dit.

— Excusez-moi mademoiselle de vous avoir abordé si brutalement et s’il m’était possible de réparer ce manque de délicatesse de ma part, je serais très heureux de pouvoir vous venir en aide.

— Loin de me devoir des excuses Monsieur, je vous dois des remerciements pour m’avoir éveillé car vous me prévenez sûrement d’une maladie qui aurait pu me coûter la vie. Mais pour ce qui est de votre aide, permettez-moi de l’accepter comme un noyé accepte une bouée de sauvetage. Je vous demanderais donc s’il vous est possible de m’indiquer un endroit où je pourrais avoir du travail.

— Si vous voulez monter avec moi je vais à Montréal, nous aurons sûrement plus de chance de trouver là ce que vous cherchez.

Rita se traîna beaucoup plus qu’elle marcha pour se rendre à la voiture car ses pieds endoloris et enflés la faisaient beaucoup souffrir. Elle prit place à côté de Jacques qui partit aussitôt à une allure de promeneur et en homme délicat comme sont tous les gens de sa profession envers ceux dont ils cherchent à savoir quelque chose, il se mit en devoir de se renseigner sur celle à qui il venait d’offrir sa protection.

Elle lui apprit son nom, d’où elle venait lui conta une petite histoire dont il s’aperçut ne pas tirer du vrai. Mais il n’en fit rien voir.

Et la voix douce et le regard caressant de Rita lui firent une telle impression que tout en voulant lui aider il voulut l’avoir dans son entourage. C’est pourquoi il décida de tenter de la faire entrer au service de son père comme servante.

CHAPITRE
V
JACQUES EST SUR LA BONNE PISTE

Depuis l’entrée de Rita au service de la maison Philip, Jacques passait la majeure partie de son temps de loisir en compagnie de Rita. Ce qui n’était pas tout à fait au goût du père de Jacques qui voyait son fils en relation de plus en plus intime avec une fille recueillie sur le bord du chemin. Mais Jacques ne la jugeait pas de la même façon surtout depuis ces derniers jours où il avait découvert (même à l’insu de Rita) que Alfred et Louise n’étaient pas ses parents. C’est pourquoi il la croyait beaucoup plus honorable que le prétendait son père, c’est pour cette raison que le lendemain du meurtre du Château Roy où il avait dû aller enquêter avec son père, qui avait été chargé des recherches, il demanda à son père.

— Est-ce vous qui avez fait enquête sur l’enlèvement de l’enfant de Melle Roy ?

— Oui c’est moi, mais pourquoi me demandes-tu cette question ?

Possédez-vous encore les notes détaillées de cette enquête ? J’aimerais bien les voir.

— Regarde dans la voûte, tu les trouveras dans les archives il y a 17 ans passés.

Jacques alla dans la voûte chercha quelque temps, en sortit avec une liasse de papiers dont il se mit aussitôt en frais de prendre connaissance. Après en avoir étudié à fond le contenu, il alla les déposer à l’endroit même où il les avait pris. En revenant près du bureau de son père qui était plongé dans une méditation profonde, cherchant sans doute une solution au meurtre de M. Roy, Jacques attendit que son père lui parla.

— Veux-tu quelque chose demanda tout à coup son père en se relevant la tête.

— Oui répondit Jacques. Vous avez engagé Melle Rita pour un mois seulement le temps de se trouver un autre emploi et comme le mois finit aujourd’hui je viens vous demander de renouveler son engagement pour un autre mois, car j’ai besoin de son aide dans des recherches dont vous serez sûrement content de connaître le résultat. Et comme je puis en avoir besoin en tout temps il est préférable qu’elle soit à la portée de ma main. Après avoir réfléchi quelques secondes M. Philip répondit.

— Je vais la garder encore un mois à mon service puisqu’il y a de ton intérêt. Mais voudrais-tu me dire si c’est par amour ou l’intérêt de la cause que tu me laisses entrevoir que tu lui fais si belle mine.

— Pour les deux reprit Jacques et je vous préviens qu’elle manquera à l’appel dans la maison cette après-midi puisque je dois l’amener avec moi.

Sur quoi il se retira pour aller prévenir Rita qu’il l’amenait avec lui faire un peu de natation.

— C’est impossible répondit-elle, lorsqu’il l’eut mise au courant de son intention. Je ne suis pas engagée pour me divertir mais pour travailler.

— C’est justement pourquoi je vous amène, car vous n’aurez jamais si bien travaillé tout en vous divertissant. J’ai prévenu mon père de cette intention et il a consenti. Et permettez-moi aussi de profiter de l’occasion pour vous annoncer que nous aurons le plaisir de vous compter encore un mois parmi nous. Et tout en s’apprêtant à sortir il lui recommanda.

— Si on me demande, je suis allé au Château pour cueillir et éclaircir certains petits points intéressants. Et si je manque à l’appel pour le dîner tenez-vous prête pour deux heures je viendrai vous chercher.

Rita se mit à l’ouvrage aussitôt que Jacques fut parti car elle ne voulait pas que cette petite excursion qu’elle devait faire avec Jacques lui fit laisser son ouvrage en arrière. Et la nouvelle qu’il venait lui apprendre qu’elle resterait encore un mois près de lui et la joie que cette nouvelle avait apportée dans son cœur, lui donna des ailes dans ses mouvements. Si bien qu’une heure et demie venait à peine de sonner qu’elle était déjà préparée pour partir. Elle fut donc forcée d’attendre une demi-heure car Jacques arriva seulement à l’heure qu’il avait fixée.

Il est trois heures Jacques et Rita viennent de sortir, d’une petite rivière, qui par une aussi charmante température avait attiré à elle plusieurs couples de jeunes baigneurs charmants.

Ils allèrent se reposer sur la verdure qui encadrait si bien cette charmante rivière et le parfum des fleurs environnantes qui arrivait jusqu’à eux, agissait sur leurs jeunes cœurs et faisait exalter leurs imaginations.

— Qu’il est bon disait Jacques de venir se reposer ici en compagnie d’une personne aussi charmante que vous.

Oh ! fit-il d’un air surpris en s’approchant d’elle pour mieux voir ce qui l’avait frappé.

Mais c’est une tache de naissance une feuille d’érable dit-il en rangeant la bretelle de son maillot de bain qui dissimulait à moitié la tache.

Oui répondit Rita, maman m’a toujours dit que je suis venue au monde avec cette marque.

— Mais à propos de vos parents n’avez vous pas d’incertitude que Louise et son mari pourraient n’être pas vos parents ?

Elle fut fort surprise de lui entendre poser cette question qui la hantait depuis le soir de son départ et dont elle croyait seule en avoir le doute.

— Je ne doute pas d’eux dit-elle. Surtout ma mère fut très bonne pour moi.

Je suis très heureux que Mme Louise ait été bonne pour vous et si Dieu ne l’avait pas rappelée à lui si tôt, je serais sûrement allé la féliciter de son dévouement à votre égard. Mais pour ce qui en est de son époux ma sympathie est loin de lui être acquise. Mais laissons les mauvais sentiments que je puis avoir de lui et renseignez-moi plutôt sur les occupations de vos parents.

— Mon père ne travaillait pas. C’est ma mère qui subvenait aux besoins de la maison.

— Où travaillait-elle ?

— Au Château Roy.

— A-t-elle travaillé longtemps au Château ? Que disait-elle des occupants ?

— Elle y travailla près de vingt ans sans jamais me parler de ses patrons. Mais quelques jours avant sa mort elle me recommanda de ne jamais aller travailler pour eux. Je ne pus en savoir davantage, mais mon père doit connaître la raison car quelques jours après la mort de ma mère, malgré la recommandation qu’elle m’avait faite, je fis part à mon père du désir d’y aller. Il me le défendit formellement. C’est tout ce que je puis vous en dire. J’aimerais pouvoir vous en apprendre davantage afin de pouvoir vous aider dans la cause dont vous chercher la solution.

— Je vous remercie beaucoup de l’attention que vous me témoignez par ce désir ardent que vous avez de m’être utile. Et soyez assurée que j’en garderai un précieux souvenir.

Et se relevant il la prit par la main pour l’aider à se relever.

— Si nous rentrions à l’eau encore une fois avant de repartir car il faut revenir à bonne heure afin d’aller monter la garde au Château avec mon père.

Revenus à la maison où le souper était servi attendant le retour de Jacques qui devait repartir aussitôt pour le Château, on se mit à la table et la conversation s’engagea entre Jacques et son père sur le meurtre de M. Roy.

— Avez-vous une solution au crime d’hier soir, demanda Jacques.

— C’est très enchevêtré repris son père mais nous allons en apprendre ce soir s’il ne manque pas à son rendez-vous.

— Je ne serais pas surpris qu’il y aurait une arrestation cette nuit dit Jacques mais je crains bien que ce ne soit pas le coupable qui soit arrêté.

— Prétends-tu que ce ne soit pas lui demanda son père fort surpris !

— Je fais plus que le prétendre, j’en suis positif.

— J’aimerais bien savoir sur quelle théorie tu travailles pour imaginer une telle chose, dont toutes les preuves sont convaincantes.

— C’est vrai que tout ce que vous savez prouve que c’est lui, mais ce que vous ne savez pas prouverait peut-être le contraire.

— Je te promets mon garçon que si je puis lui mettre la main au collet son affaire sera vite réglée.

— J’aimerais le voir moi aussi et surtout lui parler, mais pour ce qui en est de sa condamnation, mon dernier mot n’est pas dit.

Le souper venant de se terminer Jacques se leva prit son chapeau et sauta dans son cabriolet et prit la direction du Château pour marcher sur la piste qu’il avait découvert que l’on croyait être fausse.

CHAPITRE
VI
ARRESTATION DE WALTER

Après avoir été poursuivie dans le parc Walter ne retourna pas à son hôtel, c’est ce qui explique l’impossibilité de l’appréhender lors de la perquisition qui fut faite dans sa chambre. À peine fut-il en ville qu’il fit la rencontre de Roland son ancien confrère d’étude qui insista pour l’amener passer la nuit chez lui. Il accepta aussitôt de passer la nuit chez Roland (Devenu le cousin de Thérèse) Il y passa aussi la journée du lendemain. Ne repartant que le soir pour retourner dans le parc du Château à l’endroit même où il avait fixé rendez-vous à Thérèse.

Il y a près de deux heures que Walter attend la venue de Thérèse qui ne vient pas. Il consulte sa montre bracelet. Onze heures moins un quart, elle ne viendra pas se dit-il à lui-même. Si je me rendais près du Château j’aurais peut-être l’occasion de pouvoir communiquer avec elle. Et mettant aussitôt son idée à exécution il partit dans la direction du Château où il était attendu sans le savoir.

Aux abords du Château, Walter marcha à pas feutrés pour ne pas dévoiler sa présence. Il vit plusieurs fenêtres illuminées et se dirigea vers l’une d’elle mais à peine eut-il fait quelques pas qu’il s’entendit interpeller. Halte là. Un pas de plus vous êtes mort ! Le jet de la lumière d’une lanterne électrique fut projeté sur lui, suivi immédiatement d’une seconde et en moins d’une minute il fut entouré de six hommes qui le regardaient comme une proie convoitée. On le conduisit aussitôt au Château après lui avoir passé les menottes aux poignets.

Durant au delà d’une demi-heure Walter dut subir un interrogatoire serré qui n’apporta pas au détective la satisfaction qu’il aurait désiré.

À bout de patience M. Philip voulut le malmener pour le forcer à avouer le crime dont on l’accusait, mais Jacques intervint.

— Nous ne sommes pas ici pour faire le procès d’un meurtrier, mais mettre en état d’arrestation un homme que les preuves accablent et je crois qu’il serait préférable de le conduire dans une cellule en attendant le jour où un juge rendra son verdict suivant les preuves qui lui seront présentées.

M. Philip dut se rendre à la volonté de son fils qu’il voyait persister dans son idée qu’il qualifiait de sottise.

— Puisque tu le désires, répondit son père, conduis-le toi-même au poste.

Jacques prit Walter par le bras et l’entraina hors du salon. Comme ils s’apprêtaient à sortir, Thérèse survint.

— Puis-je lui dire quelques mots demanda-t-elle à Jacques et sans attendre la réponse elle demanda à Walter.

— Est-ce toi qui a enlevé notre enfant et assassiné mon père ?

— Me crois-tu capable de faire des choses aussi atroces !

— Toutes les preuves sont contre toi.

— Je le vois bien mais je ne suis pour rien dans ces deux crimes et je ne comprends pas très bien comment il se fait que mon couteau de chasse soit ici.

— Comment vas-tu prouver ton innocence ?

— Je n’ai aucune idée.

— Tu vas certainement être condamné si tu es dans l’impossibilité de prouver ton innocence.

— Il faut espérer qu’on éclaircira assez tôt ce malentendu.

Walter sentit la main de Jacques qui l’attirait, il comprit que l’entretien était terminé.

— Permettez-moi demanda-t-il de lui donner un baiser une dernière fois, puisque c’est la dernière chose que je puisse désirer sur cette terre.

— Il est impossible de vous permettre ce baiser puisqu’elle ne vous appartient pas. Attendez le jour vous appartenant l’un et l’autre, il vous sera permis d’épancher honnêtement votre amour et ce jour viendra soyez-en assuré puisque je le promets pour vous deux. Et ouvrant la porte il entraîna Walter qui disparut bientôt emporté dans le cabriolet de Jacques.

M. Philip qui arriva au poste avant Jacques et Walter fut fort surpris d’apprendre qu’ils n’étaient pas encore rentrés. Car le voyage qui pouvait s’effectuer dans une demi-heure tout au plus leur prit une bonne heure. Et sa surprise fut au comble lorsqu’il vit entrer Walter les mains libres causant avec Jacques comme s’ils avaient été de vieux amis, parlant d’une excursion prochaine. Jacques conduisit Walter à sa cellule et recommanda au gardien qui refermait la porte.

Ayez bien soin de cet homme car il est aussi honnête que vous et moi.

— Pourquoi enfermez-vous les honnêtes gens fit entendre une voix derrière lui ?

Jacques se retourna et aperçut son père.

— C’est pour réchauffer la place pour deux que vous croyez innocent répondit-il en se retirant.

Un doute passa dans l’esprit de M. Philip. « Il doit surement voir quelque chose pour qu’il soit aussi obstiné ». Je chercherai dit-il en revenant chez lui. Et je verrai s’il a raison.

Depuis quinze jours Walter est enfermé aux quartiers généraux de la police attendant le jour de son procès. Mais pendant ce temps il n’éprouva pas cette impression d’emprisonnement, car les recommandations de Jacques au gardien lui avaient valu une cellule confortable. On lui servait des repas bien apprêtés. Et puis, il avait cet espoir certain que Jacques le sauverait

Dix heures viennent de sonner, l’obscurité se fit dans la chambre. Walter eut un cri de joie et se jeta sur son lit et il se dit en lui-même. « C’est demain le jugement qui par les preuves, suffisantes de Jacques, sera mon acquittement. La lune vient découper sur sa poitrine l’ombre d’une grille celle de la fenêtre qui éclairait sa chambre durant le jour. Mais ce dessin ne lui fit aucune impression, il ne ressentait pas comme tant de détenus le désir désespéré de l’enfoncer pour s’enfuir.

Il ferma enfin les yeux. Il revit dans son imagination celle que le jeune détective lui avait promise. Il la revit malgré les tracas des années passées sur sa figure qu’elle n’avait rien perdu de son charme d’autrefois, et comme cette douce image évoquée eut apaisé son ennui, comme si la main fine se fut posée sur son front pour en chasser le tumulte, il s’endormit d’un sommeil béni qui fit écouler avec plus de douceur, les heures qui le séparaient de sa libération promise.

CHAPITRE
VII
LE PROCÈS

M. Philip vient de sortir de son bureau après avoir préparé toutes les preuves, qui selon lui, après avoir été présentées au juge seront suffisantes pour amener la condamnation de Walter.

— Jacques est-il entré demanda-t-il à Rita qui achevait de se vêtir afin d’être prête pour l’heure que Jacques lui avait recommandée.

— Je ne crois pas qu’il retarde puisqu’il m’a priée d’être prête pour dix heures.

— Il n’ira donc pas au procès de celui qu’il a essayé de me faire croire innocent.

— C’est justement là qu’il doit m’amener.

Cette réponse fit pivoter M. Philip sur les talons, qui prit aussitôt la direction du palais de justice où l’attendaient dans une salle, Jeanne, le docteur Pierre et Thérèse.

Dix heures viennent de sonner. Dans la grande salle qui est remplie à sa pleine capacité, Walter fait son apparition accompagné de gardiens en uniforme. Il sentit les regards méprisants de cet auditoire qui s’appesantissaient sur lui. Mais il les supporta sans broncher puisque, suivant la promesse de Jacques, il devait en sortir libre. Quelques minutes plus tard le juge entra suivi des gens de la cour, et après avoir prié Dieu d’éclairer la justice sur le verdict qui devra être rendu, on procéda aussitôt à l’entente des témoins.

Le détective Philip qui a fait l’enquête et opéré l’arrestation de Walter fut le premier témoin entendu.

Après avoir prêté le serment d’usage, il fit sa déposition, qui était si convaincante que seule, elle aurait suffi à condamner Walter. Preuves données, retour de Walter d’Allemagne quelques jours avant le crime, lettre adressée à Thérèse. La victime découverte ayant enfoncé dans la gorge le couteau de chasse de Walter, reconnu par ce dernier qui portait ses initiales sur le manche. Il est à remarquer que le couteau ne portait d’empreinte digitale. Le billet trouvé par Thérèse dans la fenêtre de sa chambre, le lendemain du crime, démontrant clairement les intentions de Walter d’arriver au but prémédité par n’importe quel moyen. La capture de Walter dans le parc du Château, l’accusé ne put fournir aucun alibi pouvant prouver où il se trouvait à l’heure que le crime fut commis.

Les autres témoins qui suivirent furent le Dr Pierre, Jeanne, l’épouse de la victime, Thérèse et les domestiques qui se trouvaient sur les lieux au moment du crime.

Les dépositions de ces derniers témoins furent identiques à celle du détective.

Ayant terminé l’audition des témoins de la couronne, le juge voulut alors faire défiler les témoins de la défense, aucun ne se présenta.

Le juge fit alors appel à l’accusé qui prit place dans la boite des témoins.

— Vous êtes donc revenu d’Allemagne deux jours avant le crime ?

— Oui votre honneur.

Le juge — Reconnaissez-vous cette lettre, comme venant de vous ?

L’accusé — Oui, votre honneur.

Le juge — Pouvez-vous nous dire où vous vous trouviez au moment du crime ?

L’accusé — Tel que désigné dans la lettre, j’attendais de 9 heures à 11 heures, dans le parc, celle que j’avais priée de venir me rejoindre.

Avocat de la couronne — Qui nous prouve que vous êtes demeuré dans le parc du Château, et que au contraire vous n’ayez pas pénétré dans le lieu même du crime, pour supprimer l’obstacle qui se trouvait entre vous et votre amie ?

L’accusé — Étant donné que j’étais seul, je ne puis prouver, mais je suis innocent du crime dont je suis accusé.

Le juge — Qu’avez-vous à dire de ce billet trouvé dans la fenêtre de votre amie.

L’accusé — Je ne reconnais pas ce billet pour l’avoir écrit, car ce n’est pas mon écriture.

Le juge — Comment se fait-il que répondant aux menaces écrites dans le billet, vous vous trouviez aux abords du Château le même soir ? N’était-ce pas pour mettre à exécution votre deuxième projet ?

L’accusé — Comme j’attendais déjà depuis assez longtemps, je décidai de m’approcher du Château dans l’espérance de pouvoir communiquer avec Thérèse étant donné qu’elle n’était pas venue à mon appel, le premier soir.

Le juge — Reconnaissez-vous ce couteau comme étant votre propriété ?

L’accusé — Ce couteau est bien ma propriété.

Le juge — Je suppose que c’est une autre coïncidence, que votre couteau soit trouvé dans la gorge de la victime.

Le juge s’adressant à la cour — Y a-t-il d’autres témoins de la défense à être entendus ?

L’avocat de la défense fit entendre qu’il n’y avait pas d’autres témoins.

Le juge à l’accusé — Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense.

Walter se leva et chercha du regard dans l’assistance, mais il s’aperçut qu’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait et sa figure devint aussi blanche que la neige, et comme un noyé désespéré qui ne voit aucune planche de salut pour s’y agripper, appela dans un cri désespéré monsieur Jacques !

Une voix se fit entendre en réponse à son appel de détresse. Me voici dit quelqu’un qui entrait accompagné de quatre agents de police en uniforme. En effet c’était Jacques qui arrivait.

Vous avez douté de moi dit-il en se dirigeant vers Walter, durant que les quatre policiers s’assuraient que Pierre et Jeanne ne portent aucune arme et continuaient de monter la garde comme ils en avaient reçu l’ordre afin qu’ils ne tentent pas de fuir. Jacques continuait de causer avec Walter.

Je vous avais pourtant demandé d’être tenace jusqu’à la fin, mais c’est excusable quand on est dans une situation aussi périlleuse que la vôtre.

— Que signifie tout cela intervint le juge.

— Que vous êtes en train de condamner un innocent, Votre Honneur répondit Jacques.

— Mais expliquez-vous.

— Certainement Votre honneur, si l’on me donne le temps voulu.

Le juge — Mais avant de commencer nous ferez-vous le plaisir de vous nommer ?

Jacques — Mais certainement, je suis un de ceux qui ont travaillé pour trouver la clef de ce mystère et je travaille sous les ordres de mon bien-aimé père M. Philip.

Le juge — Que savez-vous de toute cette affaire ?

Jacques — Je sais tout. Mais permettez-moi de vous exposer les faits par ordre tels qu’ils ont été exécutés. Et je vous prierai aussi de voir à ce que je ne sois pas interrompu dans mon récit, par ceux que j’accuserai, et lorsque j’aurai terminé il vous sera possible d’entendre les témoignages de tous ceux que je nommerai, puisque j’ai vu à ce qu’ils soient ici à la disposition de la justice.

Le juge — Nous vous écouterons.

Après avoir prêté le serment d’usage, Jacques entra dans la boîte aux témoins. Un silence général se fit tout à coup. Un silence de mort. Chacun de l’endroit où il était placé semblait retenir son haleine afin de mieux comprendre ce qu’allait dire cet homme qui ayant apparu au dernier moment semblait avoir en tête quelque chose que lui seul pouvait expliquer. Et Jacques semblant jouir de l’anxiété dans laquelle il avait plongé tous les gens de cette salle, promena sur eux un regard satisfait. Et revenant vers le juge, avant de commencer, il croisa le regard de son père dans lequel il vit un désir ardent d’entendre ce qu’il se décida enfin à dire.

RÉCIT DE JACQUES

Jacques — Si vous le voulez bien allons à dix-huit ans en arrière au temps où le docteur Pierre était étudiant en médecine. Nous apprendrons qu’il était en relations intimes avec Madame Roy alors qu’elle se trouvait fille dans ce temps.

Le 31 décembre de cette année chez le notaire de la famille Roy on reçut la visite d’une jeune fille que le notaire connut plus tard lorsqu’elle devint Mme Roy, elle était accompagnée d’un jeune homme qui, disait-elle, était neveu de la défunte Mme Roy fils de l’une ses sœurs.

Ils sont venus dit le notaire le soir que mourut mon petit Jean à l’hôpital. Ils voulaient prendre connaissance des dernières volontés de la défunte. Mais j’ai appris ces derniers jours que le plus âgé des dits-neveux ne pouvait avoir que six ou sept ans au plus, ce qui revient à dire que ce ne pouvait être un des neveux de Mme Roy la connaissance entre M. Roy et Mme Roy (sa seconde femme) se fit le premier jour de l’an, le lendemain de la visite chez le notaire et à partir de ce jour il n’y eut plus de relations publiques entre le Dr Pierre et la jeune fille.

Avant son second mariage, M. Roy permettait volontiers les relations de sa fille avec M. Walter Hines, mais après qu’il eut marié sa seconde femme tout fut changé, pour quelle raison ?

Voyons le testament de Mme Roy. Elle léguait à sa fille unique la somme de cent cinquante mille dollars qui devait lui être remis le jour de son mariage ou à la mort de son père.

Combien de jeunes gens seraient heureux d’épouser une jeune fille avec une dot aussi rondelette. C’est pourquoi elle fut forcée contre son gré d’abandonner M. Walter pour finalement épouser le Dr Pierre. Ce qui laissa entendre qu’il y avait eu complot entre Jeanne et le Dr Pierre, l’un devait épouser la fille et l’autre le père.

— Pourquoi ne se sont-ils pas mariés plus tôt demanda le juge puisque vous prétendez que c’était leur intention ?

— Tout simplement parce qu’ils n’ont pu faire consentir la jeune fille plus tôt.

Comme je l’ai dit, il était étudiant. Il dut donc faire un an d’école après le mariage de sa complice. À peine ses études terminées il dut aller servir dans l’armée durant la guerre qui dura quatre ans.

Après que l’armistice fut signé il dut demeurer deux ans et demi dans un hôpital pour blessure et affectation de gaz. De sa sortie de l’hôpital jusqu’à son retour il me fut impossible de connaître l’emploi de son temps. Mais revenons aux faits les plus intéressants.

La fille de M. Roy eut un enfant qui lui fut enlevé trois jours après sa naissance. Et d’après les rapports de l’enquête la fillette avait été baptisé du nom de Lucille et portait sur l’épaule droite une marque de naissance, une feuille d’érable bien dessinée.

Le juge — Pourquoi a-t-on enlevé cet enfant ?

Pour la bonne raison que M. Roy devait donner dix mille dollars à l’enfant, ce qui enlevait cette somme à Mme Roy après la mort de son époux.

Le juge — Qu’a-t-on fait de l’enfant ?

— Voilà un point très intéressant. Elle fut élevée par la cuisinière du Château qui reçut cinq cents dollars de Mme Roy pour prendre charge de l’enfant et le faire passer pour son propre enfant. Pour sauver l’honneur de la famille disait-elle.

La fillette vécut jusqu’à sa dix-septième année avec eux, c’est-à-dire jusqu’à la mort de la cuisinière. Car le mari qui est un ivrogne voulut lui faire la vie dure. C’est alors qu’elle s’est enfuie et depuis ce jour elle est entre bonnes mains en attendant d’être remise à sa mère.

— Comment se fait-il que personne ne soupçonna l’arrivée étrange de cette fillette ? demanda un avocat.

— Pour la bonne raison qu’un docteur simula avoir assisté la cuisinière dans sa maladie, le même qui a fourni les remèdes qui permirent de faire disparaître la feuille d’érable pour quelque temps. Et ce docteur n’est autre que le Dr Pierre.

— C’est faux dit le docteur Pierre en voulant se lever, mais les deux gardes vigilants qui l’entouraient le forcèrent au silence.

— Voyons à présent ce qui en est du meurtre de M. Roy reprit Jacques après que l’ordre fut établi.

L’arrêt de mort de M. Roy et de sa fille était signé depuis longtemps comme vous avez pu le voir mais les circonstances les forcèrent à retarder jusqu’à la date que vous connaissez. On profita du retour de M. Walter Hines à Montréal pour exécuter le forfait. Prenant tous les moyens possibles pour le faire passer pour le meurtrier. Afin d’être à l’abri de la justice.

À son arrivée M. Hines écrivit à son ancienne amie ; c’est pour cette raison que les deux complices ont pu savoir qu’il était à Montréal.

Aussitôt le Dr Pierre chercha à localiser l’hôtel où il se retirait afin de pouvoir lui dérober quelque chose, qui, trouvé sur les lieux du crime compromettrait M. Hines comme la chose s’est produite.

Lançant ainsi la justice sur une fausse piste. Je découvris cela lors de la perquisition dans la chambre d’hôtel de M. Hines, le maître de l’hôtel qui nous accompagnait m’apprit qu’un individu qu’il dit pouvoir identifier est venu demander M. Walter Hines quelques minutes après son départ de l’hôtel pour aller au rendez-vous qui avait été fixé.

Le soir de l’arrestation je me fis remettre la clef de la chambre afin de la remettre à son propriétaire. Mais avant de la rapporter je l’ai gardée quelques jours afin de pouvoir la confronter avec une clef que je trouvai, dans le bureau du Dr Pierre, les deux clefs sont identiques. C’est pourquoi il lui fut possible de s’introduire dans la chambre de l’accusé et c’est ce qui explique la présence du couteau de chasse qui portait ses initiales (W. H.) et qui fut trouvé dans la gorge de la victime.

Le juge — À votre dire, la fille de M. Roy devait subir le même sort que son père.

— Oui, Votre Honneur. Elle aurait sûrement subit le même sort s’il nous avait été impossible de mettre sous arrêt M. Walter qui paraissait avoir ces intentions. Mais voyons les faits.

Après la mort de M. Roy dans des circonstances mystérieuses on voulut procéder à celle de sa fille. On fit alors écrire un billet de menaces qui semblait venir de celui-là même qui fut arrêté. Il était donc impossible de tenter le coup pour la bonne raison qu’on aurait par le fait même prouvé son innocence.

Le juge — D’après vous, qui aurait écrit le billet ?

— Le mari de la cuisinière, celui-là même qui éleva la petite Lucille sous réception d’un dix dollars de Mme Roy il traça les lignes qu’on lui dicta. Et comme preuve de ce fait, la même encre qui servit à tracer ces lignes peut être trouvée sur le bureau de Mme Roy.

Le juge — Avez-vous découvert de quelle manière le meurtrier avait pu commettre son crime sans qu’aucun moyen d’entrer ou de sortir fût possible.

— Oui, Votre Honneur,

Le juge — Voudriez-vous, avant de vous retirer, expliquer ce fait à la justice.

— Lors de l’enquête après avoir vérifié la fenêtre qui était pourvue d’un verrou solidement fermé, on chercha partout si dans les murs il n’y avait pas un moyen de communication secret. On ne trouva rien. On sonda alors le plancher ainsi que le plafond sans plus de résultats. Il restait donc la porte qui au dire des serviteurs qui l’avaient enfoncée, se trouvait fermée à clef dans l’appartement et la clef se trouvait dans la serrure. Il me fut donc impossible le soir du crime de trouver une solution à cette énigme. Mais comme la nuit porte conseil, je décidai de me reposer.

Le lendemain en m’éveillant je me mis aussitôt à élaborer un plan pour donner à chacun le rôle qu’il avait tenir. Le meurtrier est dans le bureau du Dr Pierre, il faut qu’il agisse promptement, donc il lui faut absolument passer par la porte.

Comment peut-il entrer ? C’est ce à quoi j’ai réfléchi longuement, j’ai cru enfin avoir trouvé.

Après mon déjeuner je suis allé au Château j’examinai soigneusement la porte sans plus de résultats, je pris alors la clef et je l’examinai avec beaucoup d’attention, je vis que le bout de la clef avait quatre faces. Alors une idée me vint.

Je suis allé immédiatement dans la cuisine où je me suis emparé de la clef de l’horloge que je fixai au bout de la clef de la porte, elle adonnait très bien. Je revins à la bibliothèque j’introduisis la clef dans la serrure de l’appartement et à l’aide de cette clef d’horloge je tentai de faire fonctionner la serrure. Je réussis pour la bonne raison que la clef de l’horloge avait été travaillée à la lime afin qu’elle puisse entrer dans la serrure.

J’avais donc trouvé la clef du mystère. Et si le cœur vous en dit, tentez la même expérience que j’ai faite et vous aurez comme moi la certitude d’avoir découvert le secret de cette énigme.

Le juge — Permettez-moi avant de vous retirer, de vous remercier au nom de la cour pour le témoignage clair et précis que vous avez bien voulu apporter et vous pouvez être assuré que chacun aura ce qu’il mérite.

Jacques se retira accompagné de Thérèse, pour se diriger vers une salle voisine où il lui remit entre les bras sa Lucille chérie qu’elle avait tant pleurée.

CHAPITRE
VIII
DÉNOUEMENT

Après sa libération Walter engagé avec Jacques qui dut remplacer son père qui avait donné sa démission comme chef de la sureté. Donnant pour raison qu’il était assez vieux et que ses vieilles méthodes ne valaient plus les jeunes idées de son garçon… Et comme il avait prié les autorités de bien vouloir le remplacer par son fils et sa demande lui avait été accordée. L’ancienne place de Jacques restait donc libre. C’est pourquoi grâce à Jacques Walter fut engagé. Et à partir de ce jour ils furent mieux que deux frères ils ne se quittèrent jamais. Où l’on voyait l’un, on était certain d’y voir l’autre. Ils avaient tous deux les mêmes idées, les mêmes goûts et c’est même ensemble le soir qu’on les voyait partir pour se diriger vers le Château où ils étaient certain de rencontrer, l’un Lucille et l’autre Thérèse. Les voir tous les quatre rayonner de bonheur, on aurait cru que les mauvais jours d’antan n’avaient été pour eux qu’un mauvais rêve. Mais en réalité sauf la mort de M. Roy les trois mois qui s’étaient écoulés depuis le procès de Walter, le temps avait suffi à faire oublier le mauvais souvenir de Jeanne qui avait reçu une sentence d’emprisonnement à vie et l’exécution du Dr Pierre qui avait eu lieu un mois après le procès n’avait pas gardé plus de traces.

Thérèse auparavant, qui devait être tuée pour être dépouillée de tous ses biens, fut mise en possession de tout ce que possédait son père, pourvu qu’elle remît à Lucille la somme qui devait lui revenir. Elle ne se fit pas prier pour remplir cette obligation car elle doubla plusieurs fois la somme que sa mère avait fait marquer pour son enfant.

Et le jour du mariage de sa fille avec Jacques, qui fut le même jour qu’elle épousa Walter elle déposa dans la corbeille de Lucille une ronde somme, en signe de reconnaissance à Jacques qui leur avait promis un jour, à tous deux, le bonheur d’être unis.

Cette promesse leur avait paru impossible pour le moment mais elle venait enfin de se réaliser.


Il ne reste plus que quelques minutes pour le départ du bateau pour Paris.

Parmi la foule réunie sur le quai, nous pouvons reconnaître près de M. Philip, son fils Jacques et son épouse Lucille, Walter et Thérèse récemment mariés, entourés de parents et amis venus les reconduire.

Le capitaine lance un dernier avertissement aux passagers qui embarquent. Une dernière poignée de mains et on vit s’engager sur la passerelle puis disparaître dans le bateau.

La sirène se fit entendre on leva les amarres, le bateau pointa dans la direction de Paris les emportant vers un avenir plein de promesses.

Je suis heureux disait M. Philip en s’en retournant chez lui accompagné de quelques parents, car je sens que Jacques a non seulement trouvé la clef d’un mystère il y a quelques mois, mais aussi la clef du bonheur.

F—I—N

TABLE DE MATIÈRE

page