Les mystères de Montréal/3/04

Compagnie d’imprimerie Désaulniers, imprimeurs-éditeurs (p. 327-341).

CHAPITRE IV

la vie sauve


En mettant le pied sur la plage, Paul Turcotte se jeta à genoux et remercia le ciel de l’avoir sauvé d’une mort si imminente. Revenu de sa première joie, il se demanda si Dieu ne lui réservait pas une mort plus affreuse sur cette côte aride et désolée.

Durant un instant il se prit à regretter sa petite île où il avait vécu pendant les deux dernières années.

Il regarda autour de lui mais n’aperçut aucune trace d’être humain. À quelques arpents de là il y avait une petite colline, y étant monté, il vit qu’il était bien dans un pays inhabité. De tous côtés, des déserts.

D’après ses calculs géographiques, il était loin le Rio-de-Janeiro. Mais peut-être qu’en longeant la côte il arriverait à un poste habité.

Comme la nuit venait rapidement, il résolut d’attendre au lendemain.

La mer s’était apaisée et rejetait sur le rivage les débris informes du malheureux navire. Et parmi les cadavres gonflés d’eau, il reconnut celui de son infortuné capitaine. Paul Turcotte était bien le seul survivant de cette affreuse catastrophe.

Le lendemain, s’acheminant bravement vers le Sud, il marcha toute la journée sans rien apercevoir.

Vers le milieu du deuxième jour, il vit un nuage de poussière à l’horizon. S’étant avancé dans cette direction il reconnut une tribu de sauvages.

Ceux-ci, de leur côté, avaient vu le naufragé et piquèrent leurs chevaux pour arriver plus vite sur lui, en lançant des cris furieux d’anthropophage.

Cependant quand ils furent assez près pour distinguer ses vêtements, ils abaissèrent leurs lances, modérèrent leur course et semblèrent se consulter.

Turcotte attendait avec impatience la fin de cette consultation d’où dépendait sa vie. Enfin un sauvage qui était évidemment le chef de la tribu s’avança vers lui.

Il montait avec dignité un superbe cheval noir dont la tête ornée de panaches rouges écarlates se balançait gracieusement.

Le chef descendit de cheval et ayant fait deux fois le tour du Canadien, en dansant, il adressa une harangue dans une langue inconnue au naufragé. Cependant il vit qu’on lui adressait des paroles amicales et qu’on l’invitait à suivre la tribu.

Le Canadien, ayant fait signe qu’il acceptait l’invitation, tous les sauvages sautèrent sur le sable, comme un seul homme, et sur un geste du chef, commencèrent à danser en faisant retentir le désert de leurs cris gutturaux.

Turcotte se demanda si ce n’était pas là le prélude d’un festin où il serait servi en nourriture.

Ceux qui semblaient être les plus haut placés de la tribu ne passaient pas devant lui sans lui baiser les mains tandis que les moins haut placés se contentaient de lui baiser les pieds.

Cela rassura le Canadien qui comprit que c’était autant de marques d’amitié. Il fut rassuré davantage quand il vit les sauvages détacher les sellettes de leurs chevaux et en faire une espèce de palanquin.

Ayant mis Paul Turcotte sur ce palanquin, toute la tribu se mit en marche en poussant des cris de joie. Les chefs de la bande se disputaient l’honneur d’être au nombre des porteurs.

Après quatre jours de marche à travers un pays tantôt désert, tantôt couvert de forêts, la tribu arriva sur les bords d’un immense fleuve dont les eaux, en cet endroit, coulaient entre deux montagnes.

Le chef fit comprendre au Canadien qu’ils étaient arrivés au terme du voyage, et qu’il s’agissait maintenant de traverser sur l’île qu’il y avait au milieu du cours d’eau.

Paul Turcotte, pour montrer qu’il était aussi bon nageur que les sauvages, se jeta à l’eau et aborda le premier dans l’île.

C’était une île magnifique, de forme ovale et qui pouvait avoir deux lieues de tour. Ses côtes escarpées à certains endroits présentaient des sites d’où l’on pouvait observer la contrée d’alentour.

L’arbre à quinquina, le nopal et le palmier croissaient en abondance. Au milieu de ces touffes d’arbres et au pied d’un rocher, on voyait cent huttes alignées sur quatre rangs.

C’était un village sauvage, celui de la tribu des Guaranis qui avait recueilli le survivant du Scotland.

Les Guaranis viennent des bords du fleuve Parana et ont émigré vers le nord à la suite d’un événement connu dans l’histoire.

Au seizième siècle, lorsque les Jésuites vinrent établir leurs missions dans le Paraguay, ce pays appartenait à l’Espagne. Les fils de Loyola, avec cette ardeur et ce dévouement qu’ils mettent dans leurs actions, réussirent à faire abandonner aux Guaranis la vie vagabonde qu’ils menaient pour s’établir tous ensemble sur les bords du Parana.

On vit au centre de l’Amérique du Sud un peuple civilisé connaissant les mystères de la religion catholique et vivant dans la crainte de Dieu. Les Guaranis avaient abandonné leur vie errante pour se livrer à l’agriculture. Chaque soir, au son de l’angelus, ils se réunissaient sur la place publique et tous ensemble faisaient la prière.

Mais cette vie champêtre idéale, où tous les habitants étaient contents de leur sort, ne dura pas longtemps.

Un jour on apprit sur les bords du fleuve Parana que les Jésuites étaient rappelés en Espagne.

On les remplaça par des gouverneurs égoïstes et sans religion qui ne cherchaient qu’à amasser des trésors aux dépens de ceux qui étaient sous leur juridiction.

On conduisit les Guaranis avec dureté, on les força à travailler comme des bêtes de somme et à payer des impôts trop onéreux.

Pendant longtemps les enfants des pampas obéirent à ces gouverneurs inhumains. Ils patientèrent car les Jésuites leur avaient dit : « Nous reviendrons dans quelques mois. »

Mais un soir que les Guaranis rentraient dans leurs réductions devenues ennuyantes, un subalterne du gouverneur leur engagea chicane.

La patience des sauvages était à bout. Ils se soulevèrent comme un seul homme, massacrèrent plusieurs Espagnols, brûlèrent leurs réductions et s’enfuirent vers le nord.

Depuis ce temps ils ont repris la vie nomade qu’ils menaient avant l’arrivée des Jésuites au Paraguay.

Aujourd’hui le voyageur, assez audacieux pour pénétrer dans les régions inexplorées du haut Amazones, les distingue encore des autres tribus de l’Amérique du Sud.

Par les idées assez précises qu’ils ont d’un Dieu, il est facile de voir que leurs ancêtres ont eu des rapports suivis avec les blancs.

Cependant plus ils vont, plus ils retombent dans leur ancien état de barbarie, et dans un demi-siècle il est probable qu’on ne les distinguera pas des autres sauvages qui errent comme des loups féroces dans les contrées brûlantes du Sud.

C’était entre les mains de cette tribu que Paul Turcotte était tombé.

Lorsque les voyageurs furent dans l’île, un vieillard s’avança au devant d’eux.

En voyant un blanc il parut intimidé puis, ayant parlé au chef, il prit les mains du Canadien et les baisa avec respect. Et il lui adressa la parole, lui montrant tour à tour le ciel, la terre et l’eau.

Ensuite il l’amena à une hutte située au milieu du village et l’y ayant fait entrer, il lui présenta un fusil, une boîte de cartouches et tous les autres outils d’un chasseur.

À la vue de ces objets de fabrique européenne, Paul Turcotte fut très étonné. Comment se trouvaient-ils en cet endroit si retiré du monde civilisé ?

En même temps le vieux sauvage lui présenta une écorce de nopal sur laquelle étaient écrites en langue française les lignes suivantes :

« Île des Guaranis, rivière Tapajos, 15 mars 1831.

« Sur le point de mourir loin de mon pays, je veux laisser des notes qui seront utiles aux blancs, si les hasards en amènent jamais dans cette partie reculée du monde.

« Mon nom est Yves Lamirande. Je suis Français et natif de Brest. En 1829, je vins à Bahia pour tenter fortune dans les mines de diamants. Après un mois de séjour dans cette ville, je me joignis à un parti de mineurs qui allaient dans l’intérieur du pays, à la recherche de nouvelles mines.

« Nous marchions depuis quarante et un jours quand un matin je laissai mes compagnons pour aller faire la chasse. Le soir, je fus dans l’impossibilité de retrouver mon chemin. Depuis ce jour je ne les ai plus revus.

« Je continuai à marcher devant moi, chassant pour ne pas mourir de faim.

« Un soir j’arrivai à un cours d’eau. Non loin de la rive il y avait une île où campaient des sauvages. M’ayant vu, ils s’élancèrent sur moi en poussant des cris terribles. Je compris qu’avant le lever du soleil je leur aurais servi de nourriture. Cependant un hasard miraculeux me sauva.

« J’étais à peine parmi ces barbares qu’ils furent attaqués par une tribu ennemie et plus puissante. Ils allaient tous être massacrés quand je saisis mon fusil et mis les assaillants en déroute.

« Depuis cet exploit, les Guaranis m’ont considéré comme un demi-dieu. Je les ai conduits à la bataille et ils sont toujours revenus victorieux, chargés de dépouilles, grâce à mon fusil, grâce à la terreur qu’il inspirait aux indigènes.

« Je n’ai pas voulu enseigner aux Guaranis comment tirer du fusil, dans la crainte de voir diminuer mon prestige et de voir tourner leur savoir contre moi.

« Si jamais ces lignes tombent entre les mains d’un blanc, je lui conseillerais d’user du même procédé que moi. La tribu des Guaranis n’a pas besoin de l’arme à feu. Que chacune de ces tribus sauvages combattent à armes égales.

« C’est pourquoi j’ai séparé mon fusil en plusieurs morceaux. Celui qui voudra s’en servir n’aura qu’à les assembler par ordre de numéros. Ainsi les sauvages n’en comprendront jamais le mécanisme.

« Sur une autre écorce que je roule avec celle-ci est un petit dictionnaire de la langue des Guaranis. Puisse-t-il être utile !

« Je voudrais que ce billet fut remis comme souvenir à ma famille, à mon père, Jules Lamirande, maître ébéniste à Brest, ou à ses enfants, mes frères et sœurs.

« Quant à mon fusil, qu’on le laisse ici, si c’est possible, dans les mêmes conditions que je le laisse.

« Cette arme m’a conservé la vie durant deux ans, que ne me la conserve-t-elle encore en ce moment suprême où je sens la mort s’avancer vers moi à grand pas.

« J’ai été mordu la nuit dernière par une vipère venimeuse et je sens son venin envahir tous mes membres. Je vais mourir d’une mort affreuse, loin de mes compatriotes. J’ai fait un effort surhumain pour écrire ces lignes, je n’en peux plus… Que Dieu ait pitié de mon âme… Yves Lamirande.

Après la lecture de ce document, Turcotte, comprit l’histoire de son ovation. Il examina le fusil et en comprit aussitôt le mécanisme. Il assembla les morceaux, et, en ayant tiré un coup, il fit comprendre aux sauvages que tout était correct.

Les chants et les danses se prolongèrent fort avant dans la nuit, autour de la hutte du Canadien. Ce ne fut qu’à l’aurore qu’il put goûter un peu de repos.

Grâce au petit dictionnaire, laissé par l’infortuné voyageur français, il apprit quelque peu la langue des Guaranis.

Un soir, le soleil venait de disparaître brillant et radieux derrière les hautes cimes des Cordillières, et le crépuscule commençait à donner une teinte d’incertitude aux objets qui tantôt se dessinaient clairement sur l’horizon.

Dans le camp des Guaranis, les huttes étaient ornées de bouquets rouges, signes de force chez ces sauvages.

Une était décorée plus magnifiquement que les autres. C’était celle de Ratraca, le grand chef dont la suprématie est reconnue par tous les Guaranis. D’un côté elle regardait les cimes altières des montagnes qui longent la rivière Tapajos, et de l’autre le cours fougueux de cette rivière et les plaines qui s’étendent à perte de vue.

À la porte — si l’on eut pu donner ce nom à une ouverture irrégulière pratiquée dans la hutte — était un poteau auquel était attaché un jeune homme.

Une bataille avait eu lieu le matin entre les Guaranis et les Outeiros. Le Canadien avait répandu la terreur parmi ces derniers, en se servant de son fusil, qui leur rappelait de si terribles souvenirs. Depuis la mort du voyageur français, ils avaient toujours vaincu les Guaranis, et l’apparition de ce nouveau blanc, qui marchait au premier rang, en vomissant un plomb meurtrier, venait encore une fois changer les chose.

Le fils du chef des Outeiros avait été fait prisonnier.

C’est lui qui le lendemain, au lever du soleil, rassasiera de sa chair les instincts de cannibale des Guaranis.

Son nez aquilin, ses yeux vifs, ses membres mal développés et sa stature petite nous disaient qu’il appartenait bien à la nation des Outeiros, qui, de temps immémoriaux est en guerre avec les Guaranis.

Malheur à lui, car un destin fatal l’attend. Aussi il a été trop téméraire dans la dernière rencontre. Il payera pour toute sa nation.

Il connaît la mort horrible qu’on lui réserve. Pâle et défaillant, il regarde souvent dans le lointain, pour voir si sa tribu ne vient pas à son secours.

On danse en ronde autour du fils du chef des Outeiros. Les chants guerriers des Guaranis, retentissant à ses oreilles, lui font endurer des souffrances semblables à celles qui doivent lui enlever la vie.

Ratraca, le vieux rancuneux, regarde sa proie avec satisfaction. Un sourire cruel fait plisser ses lèvres épaisses. Il va pouvoir assouvir sa haine en buvant le sang et en mangeant la chair du fils de son plus mortel ennemi.

— Le Grand-Esprit, répète-t-il en se promenant au milieu de sa tribu, aime ses enfants les Guaranis, il fait tomber entre leurs mains des hommes blancs qui écrasent les ennemis… Dansons joyeusement autour du fils d’Itaka… C’est lui qui devait être le chef des Outeiros… Il devait s’abreuver de notre sang, se rassasier de notre chair, faisons-lui ce qu’il nous aurait fait… Toi, Kaposa, n’oublies pas la manière dont Itaka t’a enlevé l’auteur de tes jours…

À ces paroles un sauvage haut de six pieds, à l’œil noir, à la prunelle ardente, couché sur l’herbe, se leva avec l’agilité de la couleuvre. Il s’avança près du prisonnier et s’adressant à Ratraca :

— Grand chef, dit-il, si tu veux je donnerai le premier coup à ce vaurien.

Le vieux Guaranis parut réfléchir un instant, puis il dit en accentuant ses paroles :

— Kaposa, je connais ton dévouement à la tribu… Bien souvent tu nous as amené des Outeiros… C’est à moi qu’il appartient de donner le premier coup à tout ennemi de la nation, cependant je te cède ma place…

Kaposa fit un geste en signe de remerciement et jeta un regard sur l’espèce de poignard qui pendait à son côté.

— Qui donnera le deuxième coup ? demanda un jeune sauvage, qui depuis le commencement de cette scène était plongé dans une grande rêverie, qui donnera le deuxième coup ?

— Moi ! lui fit réponse le chef.

— Alors je donnerai le troisième.

— Et pour quelle raison passerais-tu avant les vieux de la nation.

— Ratraca a donc oublié l’injure sanglante que reçut mon père, quelque temps avant sa mort. Il n’a pas pu la venger, mais en mourant, il m’a fait promettre de donner le premier coup — si possible — au premier Outeiro qui tomberait entre nos mains. Si je ne puis donner ni le premier ni le second, que je donne le troisième.

— La volonté d’un père mourant est quelque chose qu’il faut respecter, répondit le vieux chef. Savanchez, ton père, était un brave. Souvent il rentrait au camp avec quatre chevelures à sa ceinture. Si tu lui as fait une telle promesse, accomplis-la.

— Mais le premier coup est promis.

— Peut-être que Kaposa te céderait sa place.

— Puisque nous avons tous deux des droits à cette place, si nous bandions nos arcs.

De tout temps, chez les sauvages de l’intérieur de l’Amérique du Sud, on a réglé les difficultés en tirant de l’arc. Celui qui vise le mieux a raison.

Le jeune Guaranis était un bon tireur. Il se faisait un jeu de tuer au vol les oiseaux les plus rapides. C’est pourquoi il venait de proposer ce moyen. Kaposa avait l’œil juste lui aussi mais il tirait comme le commun des sauvages.

— Kaposa, fit le vieux chef, voici un frère qui veut te disputer le premier coup de poignard… Tous deux méritez de faire couler la première goutte de sang de ce chien d’Outeiro… Je t’ai promis la place d’honneur parce que tu me l’as demandé le premier. Acceptes-tu le défi d’Ivanko ?

Refuser eut été un signe de peur d’être vaincu. Jamais un Guaranis, même le plus lâche, n’a reculé devant un défi. Plusieurs sachant que la mort les attendait en acceptant, n’ont pas décliné l’honneur de se battre. Ils sont morts mais ils n’ont pas dérogé à la coutume de leurs ancêtres.

Kaposa accepta le défi.

On coupa une branche de nopal : on y attacha un minerai brillant, et on planta le tout au sommet d’une hutte.

— À vingt pas ! dit Ivanko.

— À vingt pas ! répéta Kaposa.

En comptant la distance convenue on banda les arcs.

Le plus âgé tira le premier. La flèche de Kaposa siffla dans les airs et passa au-dessus de la hutte sans atteindre la branche de nopal.

Ivanko tira à son tour, après qu’il eût selon son habitude visé durant quelques secondes.

Toute la tribu fit entendre un hourrah formidable : le minerai venait de tomber à terre.

Kaposa avait bandé son arc pour tirer une seconde fois, ne pensant pas que son adversaire triompherait au premier coup. Il la brisa de dépit sur son genoux et la jeta dans les buissons, puis il s’éloigna pour aller passer sa déception sur la grève de l’île.

La nation continua ses danses et ses chansons.

Il était onze heures quand les sauvages, après avoir jeté un dernier coup d’œil à leur prisonnier, se retirèrent dans leurs huttes pour prendre un peu de repos, afin d’être mieux disposés pour le repas du lendemain matin.

Les cris des Guaranis s’éteignirent peu à peu et le village rentra dans le calme de la nuit.

Un gardien se promenait auprès du poteau où était attaché l’Outeiro. Celui-ci était au désespoir. Que faisaient donc son père et ses guerriers qu’ils ne venaient pas à son secours ? L’homme blanc leur avait donc fait bien peur.

Il regardait son gardien avec des yeux suppliants et celui-ci répondait par des sourires moqueurs.

Trois heures se passèrent ainsi. Dans une heure le soleil se lèvera pour assister à la fête de ces anthropophages. Ils sont tous couchés qui rêvent à ce festin.

Cependant si l’on eut examiné toutes les huttes avec attention, on eut vu que dans l’une, située près de celle du grand chef, un homme au lieu de dormir prêtait l’oreille au moindre bruit.

De temps en temps il se sortait la tête par la porte de sa hutte.

Tout-à-coup il sort de son abri et s’avance sur la pointe des pieds derrière le gardien, et avant que celui-ci ait le temps de se retourner, il lui assène un violent coup de massue sur la tête.

Le gardien tomba baignant dans son sang, sans pouvoir prononcer une parole. Alors l’auteur du coup de massue coupa les liens du prisonnier.

L’Outeiro crut que son dernier moment était arrivé. Avant qu’il fût revenu de sa crainte extrême, l’homme qui avait coupé ses liens lui dit :

— Sauve-toi, tu n’as pas une minute à perdre !

Le sauvage crut que ses oreilles le trompaient.

— Qui es-tu, demanda-t-il en tremblant, et pourquoi fais-tu cela ?

— Je suis Turcotte. Et toi, ton nom !

— Irisko, fils du grand chef Olitara !

— C’est bien, souviens-toi de mon nom et regarde-moi comme il faut, afin de me reconnaître, si tu me rencontres un jour.

— Je te reconnaîtrai… Et je suis libre ?

— Oui. Fuis.

— Je me souviendrai de toi.

Et Irisko partit avec l’agilité du chevreuil.

Son libérateur regagna sa tente.

Un quart d’heure après, le gardien évanoui reprit ses sens ; il poussa un cri formidable et toute la tribu fut sur pied.

On s’approcha du poteau. Le prisonnier n’y était plus. Comme des chiens enragés les Guaranis s’élancèrent à sa poursuite.