LA CONFESSION

Philippe décidait de se confesser. Il remettait toujours ses confessions à demain, puis enfin se décidait. En route, il songeait déjà à éluder les aveux trop pénibles. Non pas qu’il voulût mentir, il craignait que le prêtre ne comprît rien à ses subtilités. Il méprisait ce prêtre d’avance. Surtout, il avait peur que le prêtre le méprisât, qu’il le confondît avec les pénitentes du commun.

Philippe se donna du temps. Il prit par le plus long. C’était un beau samedi d’automne. Ça sentait le congé. Aux arrêts de tramway, il y avait plus de jeunes femmes, mieux maquillées, dans des manteaux plus neufs. Les hommes, eux, se pressaient moins. Ce n’était pas tout à fait la lenteur des dimanches, et ce n’était pas non plus la précipitation de la semaine. Il y avait aussi plus de jeunes chiens qui couraient. Sur les marches des maisons, les jeunes filles prenaient plus de temps à vérifier leur rouge dans le petit miroir. Tout le monde s’acheminait au théâtre, au cinéma. Philippe allait à confesse.

Il hésitait. Peut-être que l’abbé qui va vite ne serait pas là : il lui faudrait alors se confesser à un autre, qui le tiendrait longtemps, tout rouge dans la chaleur du petit réduit. Mais déjà son scrupule, qui tout à l’heure minimisait ses péchés, le voyait en état de péché mortel. Un instant, il eut peur d’être damné. Pourtant il savait bien que, s’il était loin de Dieu, loin de la présence de Dieu, le plus souvent, c’est à peine s’il n’avait pas arrêté assez tôt les tentations. Rien de positif, et cela l’énervait d’autant.

Cependant, il craignit encore plus le prêtre que l’enfer. Sa religion était devenue tout à fait matérielle, et Philippe s’écœurait du contraste entre ses frousses de vieille fille et la splendeur de ce samedi. Le ciel avait l’azur des fins de semaine réussies. L’automne mettait une dernière coquetterie, une coquetterie avisée et raisonnée dans les petites feuilles qui restaient aux arbres et qui, sous la brise, s’agitaient avec le sans-gêne et l’imprudence de l’été. La verdure se donnait toute, dans sa ménopause. Vernissées, nickelées, les autos glissaient avec un air de printemps. Le soleil, plus clair, n’avait pas cette fièvre de l’automne, c’était un soleil qui avait envie de durer.

Philippe se voyait déjà dans l’église obscure, indécis, laissant passer les pénitents les uns après les autres, pour être le dernier à se confesser. Ou bien, il voulait se glisser entre deux, afin que l’absolution fût bâclée.

Il était déjà à l’église. Là, on sentait le factice de ces derniers beaux jours, l’église dégageait un froid inquiétant, qui n’était pas la fraîcheur voluptueuse des églises d’été, ni le froid tout rond de l’hiver, les matins de basses messes. Philippe, après avoir trempé ses doigts dans le bénitier, se coula dans l’ombre, pas très loin d’un confessionnal. Il voulait déjà rebrousser chemin.

Il s’avisa plutôt de faire son Chemin de croix. Les va-et-vient de l’allée le dérangeaient, et Philippe avait déjà les joues rouges des aveux. Au lieu de compatir aux douleurs du Christ, sous le poids de la Croix, il cherchait inconsciemment à se débarrasser en catimini de ses péchés. Comme la contrition lui était aisée devant Dieu seul ! Machinalement, il priait, « nous vous adorons et nous vous bénissons, à cause de votre sainte Croix… ». Par instants, il avait des remords : « C’est le Christ qui tombe là, devant toi, l’épaule lourde de ce bois… Et c’est toi qui le regardes avec les yeux ironiques de la curiosité… » Alors, il essayait un acte de contrition sincère, et tout de suite il raisonnait : « J’ai évidemment la contrition parfaite… Je ne me rappelle plus mes péchés, mais qu’importe, je ne peux que regretter tous les péchés du monde, parce que le péché, c’est le mal, la bêtise par excellence… » Un sentiment d’orgueil se faufilait : « Si je disais ça au prêtre, comprendrait-il ? Peut-être serait-il émerveillé, abasourdi devant une si sincère compréhension du péché… »

Lorsqu’il approcha du confessionnal, Philippe fit un rapide demi-tour, et c’est avec soulagement qu’il baissa la tête devant la huitième station. Il pria pour ceux qui se confessaient, il s’unit à toutes les saintes âmes qui, avec les saintes femmes, accompagnent dans les siècles des siècles Jésus sur son Chemin. Avec ferveur, devant le Crucifiement, il s’agenouilla longtemps, renouvelant ses actes de contrition pour lui et pour les autres.

À son banc, il se dit : « J’ai la contrition parfaite… Tant pis si le prêtre comprend mal. L’absolution effacera tout… » Il ne s’en traitait pas moins de pharisien, et de plus en plus il craignait de faire une confession sacrilège.

Enfin, Philippe prit sa place à côté du confessionnal. Entre deux distractions, il eut le temps d’un Ave. De l’autre côté, un homme faisait une confession interminable : Philippe voyait les pieds qui dépassaient le compartiment. Il avait chaud pour ce pauvre diable, et Philippe vit son péché : il était étendu à côté d’une femme laide. Philippe méprisait ces péchés de pauvre, ce qui le ramenait à lui-même, à des aventures aussi pitoyables.

Les jambes remuèrent, disparurent, puis surgit, sous la tenture, le vieux qui l’agaçait à la messe, chaque matin. Philippe eut un sursaut : « Ce n’est pas un adultère, mais une gourmandise de vieux garçon. » Et Philippe à son tour entra dans le confessionnal. Il y avait un grand Christ de métal, qui brillait faiblement : Philippe pensa aux pénitences stupides que lui donnerait le prêtre, et il commençait déjà un article sur la statuaire ecclésiastique, se revisant après : « C’est vieux tout ça, après Huysmans et Ghéon… »

Derechef, il s’excita à la contrition, il en fit encore un acte : arrive que pourra maintenant, il avait regretté ses péchés.

Derrière la grille, le prêtre remuait, et il entendait un murmure. Philippe s’approchait, se collait à la grille, que ses lèvres touchèrent avec dégoût : ainsi ses péchés ne seraient pas entendus de ses compagnons, ses péchés dont il n’était plus sûr maintenant. Un vide se faisait en lui, et une courte terreur de n’avoir plus rien à dire, de rester bouche bée.

Il faisait très chaud dans cette guérite, et Philippe détacha son manteau, il respirait une odeur sure, et il imaginait la mauvaise haleine du prêtre, comme de ce prêtre aux dents pourries à qui il s’était déjà confessé. Il revoyait cet autre qui avait toujours le mouchoir à la main, qu’il portait à sa bouche, pour éviter l’haleine des pénitents. Quelle pénible corvée que la confession !

Cependant Philippe remarquait que d’autres prêtres donnaient avec une grande joie l’absolution aux vieux pécheurs et qu’alors, ils se sentaient vraiment l’instrument de Dieu, qu’ils donnaient en vérité l’absolution au nom du Christ.

Un remuement, un bruit de jambes, et la grille s’ouvrit. Le prêtre penchait l’oreille, et Philippe prenait maintenant l’attitude de la confidence explicative, de la confidence psychologique. Philippe s’entendait prononcer des phrases de roman d’analyse. Il présentait un cas. Le prêtre ne disait mot. C’était plus fort que lui, Philippe ne confessait pas Philippe, il confessait un autre. Inconsciemment, il quêtait la lueur d’admiration qu’il observait dans l’œil de ses amis, lorsque son orgueil confessait littérairement ses turpitudes.

Cet aveu pénible, fait et arrangé en phrases, avec virgules, points-virgules et points d’exclamations, Philippe était certain maintenant de n’avoir pas commis de péché mortel, il n’était qu’un scrupuleux, et, comme s’il jouissait de la fatigue pleine après un travail de bonne prose, il était heureux, soulagé, soulagé non tant d’avoir avoué, que d’avoir élucidé et écrit. Et, avec le pharisaïsme de celui qui est heureux de n’avoir à confesser que des péchés bénins, il s’empressa d’avouer un quelconque gros péché de sa vie passée.

Ensuite, sa tâche étant finie, Philippe écouta distraitement les deux, trois phrases du prêtre. Il se recueillait pour un acte de contrition qu’il sentirait vraiment, ce qui ne lui était jamais arrivé dans la honte du confessionnal. Même, il ajouta : « Mon Dieu, je vous offre toute cette honte. »

Quand le prêtre lui demanda de prier pour lui, Philippe reprit d’un air sournois : « Priez aussi pour des âmes que je voudrais convertir. » Philippe se redressait dans la fierté de son apostolat.

Il sortit, se rappelant surtout que le prêtre lui avait donné comme pénitence à lire l’épître du dimanche : « Il y a des prêtres plus intelligents que ceux qui nous demandent de prier dix fois la Bonne Sainte Anne. »

Agenouillé, libéré, Philippe s’abandonnait à l’amour de Dieu. Plus de craintes d’avoir fait une confession sacrilège. Il priait de toutes ses forces pour les autres et pour lui. Et c’est avec allégresse qu’au sortir de l’église, il alluma une cigarette, qu’il jeta pour manger, au restaurant, une tablette de chocolat. Philippe était en état de grâce spirituel et corporel. Le monde était beau, et il aurait entonné le Cantique des Trois Enfants, si la poésie ne lui en avait point paru trop maigre pour sa joie.