Les fleurs poétiques, simples bluettes/04/07

C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 169-172).

LES PLAINTES DE MINVANE

Poème ossianique
À M. NAPOLÉON LEGENDRE

Du sommet du Morven, qui domine les mers,
Ses longs cheveux épars, l’âme toute éplorée,
Minvane interrogeait l’étendue azurée,
Et d’un œil anxieux fixait les flots amers.

Elle vit revenir nos guerriers intrépides
De leurs armes couverts.
Soudain elle pâlit ; ses lèvres sont livides ;
Ses longs cris de douleur font retentir les airs :
— « Ryno, mon bien-aimé ! Ryno ! s’écria-t-elle,
Ne reviendras-tu pas vers Pâmante fidèle ?… »

Nos regards abattus, aussi nos cœurs brisés,
Lui disaient que Ryno n’était plus ; que son ombre
Était montée au sein des nuages rosés ;
Qu’on entendait sa voix, comme un murmure sombre,
Sur les coteaux boisés.

— « Quoi ! le fils de Fingal mort dans la plaine verte !
Il était bien puissant le bras qui l’a détruit !
Et moi je reste, hélas ! pour déplorer sa perte !

Pourquoi ne suis-je morte en cette triste nuit ?…
Je ne resterai pas seule ainsi dans ce monde.
Ô vents ! qui soulevez mes cheveux longs et noirs,
Je ne répondrai plus, par ma plainte inféconde,
À vos gémissements qui troubleront mes soirs…
J’irai trouver Ryno pour dormir dans sa tombe…
Je ne te verrai plus, ô mon unique amour !
Revenir de la chasse à l’heure où la nuit tombe,
Tout brillant de jeunesse et beau comme le jour.
L’ombre de la nuit plane,
Entourant le héros bien-aimé de Minvane ;
Un silence de mort
Habite sous la terre avec Ryno qui dort !…
Où sont tes boucliers et ta lance brillante ?
Qu’as tu fait de ton glaive agile comme l’air ?
Ton arme était terrible, — elle était si vaillante !
Elle frappait soudain comme frappe l’éclair !
Mais, hélas ! j’aperçois tes armes entassées

Et couvertes de sang, au fond de ton vaisseau.
Pourquoi tes compagnons ne les ont-ils placées
Dans ta sombre demeure, ô bien-aimé Ryno ?…
L’aurore, de sa voix, ne viendra plus te dire :
— « Lève-toi, les chasseurs sont déjà dans les bois,
« Poussant des cris joyeux qu’emporte le zéphire,
« Et poursuivant le cerf qui s’enfuit aux abois !… »
Efface tes lueurs, tendre et vermeille aurore :
Ryno ne te voit plus ; il est avec les morts.
Ô mon héros chéri ! Minvane te déplore…
Je descendrai sans bruit dans le lit où tu dors !…
Mes compagnes iront à travers les montagnes
Et suivront en chantant la trace de mes pas ;
Mais je n’entendrai plus vos chants, ô mes compagnes !
Je vais avec les morts ; vous ne me verrez pas ! »