Les fleurs poétiques, simples bluettes/04/05

C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 161-164).

À CRÉMAZIE

MORT AU HAVRE (FRANCE), EN JANVIER 1879

Donnez, du souvenir ressuscitant la flamme,
Une fleur à la tombe, une prière à l’âme,
Ces deux parfums du ciel qui consolent les morts.

Priez pour l’exilé qui, loin de sa patrie,
Expira sans entendre une parole amie…

OCTAVE CRÉMAZIE.


Poète à l’âme pathétique,
Poète aux accords ravissants,
Dont la lyre patriotique
Rendait de sublimes accents,

Vaincu, brisé par la tempête
Qui se déchaîna sur ta tête,
Tu t’endormis avant le soir.
Redisant de ta lèvre pâle
Le nom de la terre natale
Que tu ne devais plus revoir !

Sur ton front penché la souffrance,
Hélas ! avait marqué son sceau,
Au seuil même de l’existence.
Dans les langes de ton berceau :
Une douleur vague, infinie,
Avait consacré ton génie !
Victime d’un funeste sort
Qui brisa ta vaste carrière,
À longs traits dans la coupe amère
Tu t’abreuvas jusqu’à la mort !


Mais Dieu pardonne à ceux qu’il aime ;
Et la mort, sonnant leur réveil,
Orne leur front d’un diadème
Plus éclatant que le soleil.
Et ta belle âme, ô Crémazie !
Pleine d’amour, de poésie,
Rayonne, céleste flambeau,
Aux feux de la suprême aurore
Que ton cœur brisé vit éclore
Et s’élever du noir tombeau !

Tu dors, infortuné poète.
Sans regards, sans vie et sans voix ;
Près de toi ta lyre est muette
Qui jadis vibrait sous tes doigts !
Mais de la mort l’aile glacée,
T’effleurant, rouvrit ta pensée

Qui prit son essor vers les deux.
Elle rendit à ta grande âme
Ses rayons, son ardeur, sa flamme,
Et ses hymnes harmonieux !

Dans l’exil, reçois la prière
Que tes amis, vêtus de deuil,
N’ont pu déposer sur la pierre
Qui couvre ton lointain cercueil.
Ni tes souffrances, ni ta gloire
Ne périront dans leur mémoire.
Un jour à tes restes mortels
Ils donneront une demeure
Au pays natal qui te pleure,
À l’ombre de ses saints Autels !

Avril, 1879.