Louis Perrault, imprimeur (p. 470-475).

V.



L’ON conçoit facilement les fréquentes surprises qui interrompirent la lecture du manuscrit de Gustave. Louise avant tout y avait trouvé son compte. Elle avait identifié ses souvenirs effacés avec la réalité. Elle avait reconnu le Grand de la caverne en voyant son frère. Mais elle ne s’en rapportait pas sûrement à ses pressentiments dont l’expression aurait infailliblement blessé la sensibilité de son frère, s’ils se fussent trouvés faux. D’autant plus encore, qu’elle se croyait si fortement tenue à la fidélité du serment qu’elle avait prêté, que sa conscience peu éclairée lui imposait toujours le même silence. Quand elle ne put douter plus longtemps sur l’identité de son frère avec le brigand, elle manifesta un tel étonnement qu’elle fut forcée d’en dire la cause. Ses amis furent encore plus enchantés de cette découverte que du récit de Gustave, pour lequel leurs sentiments ne changèrent aucunement. Il ne restait plus pour rétablir l’intimité entière et concilier le frère et la sœur que de découvrir à Gustave la partie du petit roman, à laquelle avait concouru Louise. L’affaire était délicate. Gustave était déjà assez abattu par la gêne qu’il inspirait à sa sœur pour l’attaquer de front par un dénouement d’une simplicité brusque. Louise se chargea de terminer les souffrances de son frère d’une manière amusante pour chacun. S’étant procurée des habits pareils à ceux qu’elle avait lors de son départ pour Chateaugay, elle l’attendit dans un appartement obscur, éclairé d’une faible lueur de flambeau. Elle était dans tout son appareil de voyage, ses pistolets et son poignard pour ornements. Quand Gustave entra, elle était assise près d’une bougie, le coude appuyé sur la table. On lui avait dit en entrant que les dames étaient allées à Montréal, et ne soupçonnant rien de leur dessein il marchait à plein pied vers la pièce qu’on lui indiquait. La vue de cette pâle lueur qui se reflétait sur un grand nombre d’armes suspendues aux murs le reporta instantanément dans ses caveaux sous-terrains.

— Que diable, qu’est-ce donc, dit-il aux amis, avez-vous pris goût au métier en lisant mon mémoire ? Mais comment voilà mon jeune homme de Chateaugay ! Louise ! quoi ! c’est elle ! ah ! je comprends l’horreur que je lui inspirais !…

— Il n’y avait pas d’horreur, répondit Louise en lui tendant la main, c’était une terreur de femme, un souvenir… mais je ne fuirai plus ce souvenir. Car il me dira que je l’ai connu noble au sein de la dégradation… Il me dira que c’est à moi qu’est dû ton retour à la vertu. Oublions ce qui a pu restreindre l’épanchement fraternel qui devait régner entre nous. Tu m’as valu, il est vrai, quelques peines, mais je te devrai toujours une partie du bonheur de ma vie. Car tu as aussi travaillé à l’union dont les jouissances ne seront plus heureuses sans ta présence et l’oubli du passé. »

La scène évoquait de trop puissants souvenirs pour leur permettre de ne s’attacher qu’à l’originalité de l’action de Louise. Il y eut quelques larmes de part et d’autre, mais ce furent les larmes de la joie… Le frère et la sœur entrèrent dès ce moment dans la plus tendre intimité. St. Felmar était toujours dans les mêmes dispositions. Il vit avec déplaisir ce pacte de cœur. Mais il n’y pouvait rien faire. À quelques jours de là, Gustave partit pour un voyage qui devait durer un mois et dont il ne dit les motifs à personne. Il était revenu puissamment riche nonobstant ses prodigalités Européennes. Il emporta avec lui tout ce qui lui restait de sa formidable fortune. Le Canada était alors infesté d’un grand nombre de brigands qui violaient chaque jour la fidélité qu’ils avaient jurée aux institutions de leur ancien chef. Les meurtres et les vols les plus audacieux étaient les anecdotes de chaque jour. Gustave connaissait la retraite de tous ces bandits ; il entreprit d’en purger le Canada. Il visita toutes leurs loges, fit l’inventaire des biens qui s’y trouvaient, et les partageant entre eux il leur donna le goût d’une vie honnête et leur défendit de recommencer leurs brigandages sous peine de le voir lui-même à leur poursuite. Ils le connaissaient trop bien pour oser lui désobéir. Personne en effet ne pouvait leur nuire autant que lui. Chacun retira une part assez grande du partage pour finir une vie aisée sans craindre ce qui les avaient forcés à ce métier… le travail. Quand les produits du partage n’étaient pas suffisants, il y suppléait par ses propres deniers. Ainsi mourut en Canada cette terrible ligue qui avait exercé ses ravages pendant de si longues années.