Mercier & Cie (p. 115-128).

IX

CE QUE PEUT CONTENIR LE SAC DE VOYAGE D’UN ÉVÊQUE


Si l’intrigue dont Dolbret cherchait le nœud lui causait bien des ennuis et des inquiétudes, elle lui procurait, en revanche, de bons moments passés en compagnie de celle qu’il aimait, car ses intérêts de cœur marchaient de pair avec les autres, et comme Berthe Mortimer lui était sincèrement dévouée, il pouvait la voir et lui parler souvent. Le lendemain du jour où P’tit-homme avait émerveillé Stenson et Wigelius par sa force et sa souplesse, la jeune fille causa une grosse joie à Dolbret en lui disant :

— J’ai découvert quelque chose ; laissez-moi faire et vous ne le regretterez pas.

— Comme je vous en suis reconnaissant, mademoiselle, et comme en même temps j’en suis peiné.

— Ce n’est pas joli de votre part.

— Oui, je regrette que ce ne soit pas moi qui travaille pour vous.

— Vous revenez toujours au même point.

— Vous ne devez pas m’en vouloir de désirer faire quelque chose pour vous ; n’en êtes-vous pas digne de toutes manières ? Malheureusement je ne puis rien, et il n’y a rien de triste comme de vouloir se dévouer à ceux qu’on aime et de s’apercevoir que non seulement on ne peut rien pour eux, mais qu’on a besoin d’eux.

— Vous êtes sombre aujourd’hui, monsieur Dolbret, la conspiration ne vous vaut rien.

— Ne raillez pas, Miss Mortimer, vous ne comprenez pas quel bonheur ce serait pour moi de vous être bon à quelque chose, vous ne pouvez le comprendre, ou plutôt vous ne voulez pas le comprendre, car je ne me résigne pas à croire que vous ne seriez pas touchée de ce qu’on fait pour vous ; acceptez mes services de bon cœur.

En ce moment, le Dean arrivait vers eux, tout souriant. S’adressant à Miss Mortimer, il lui dit :

— Mademoiselle, vous viendrez sans doute au bal costumé ?

— Oui, monsieur, si vous voulez bien m’y conduire.

— Enchanté, enchanté, dit le Dean.

Se tournant vers Dolbret :

— Je n’invite pas monsieur le docteur, attendu qu’il ne sa mêle pas beaucoup

— Pardon, monsieur le Dean, reprit Dolbret, je ferai exception pour le bal.

— Vraiment ? enchanté, enchanté…

— Oui, je me costumerai de fameuse façon. Vous verrez.

— Tant mieux, tant mieux.

Et il partit, la bible sous un bras et Miss Berthe à l’autre.

En s’en allant, Miss Mortimer se retourna et montra à Dolbret le volume de Shakespeare.

« Ma foi, se dit Pierre, tout le monde s’en mêle de cette conspiration, puisqu’il y a conspiration. Maintenant, il faut que je voie José et que nous nous entendions pour ce soir. Pourvu toutefois que l’évêque vienne chez le Dean. Ils doivent avoir bien des choses à se dire au sujet de leurs missions et de leurs ouailles ».

La journée se passa sans incident. Il y avait un peu plus d’agitation que de coutume à cause des préparatifs du bal. Ce n’était pas une mince affaire que de trouver un costume, avec les ressources que peut fournir une garde-robe de voyage. Quant à Dolbret il ne songeait même pas au sien ; pourtant il avait promis quelque chose de nouveau. Vers huit heures du soir, il se retrouva dans la cabine avec ses deux amis. Stenson s’amusait à empiler les dollars qu’il avait gagnés au pari sur la course du bateau ; il y en avait peut-être deux cents…

— Vous me croirez si vous voulez, docteur, mais j’ai beau faire mon possible pour acheter les plus mauvais numéros, je gagne toujours ; vous n’avez pas idée d’une chance pareille.

— Dommage que vous ne soyez pas dans ma peau, mon cher ami, vous seriez vite satisfait : moi c’est le contraire, je rate toujours tout ce que j’entreprends.

— Vous avez bien de la chance.

— J’espère que ça changera quand je travaillerai pour la maison Stenson, Waitlong et Co., de Philadelphie.

— Moi, je m’ennuie de toujours réussir. Il n’y a qu’une chose où je voudrais réussir, c’est l’amour ; mais je suis trop timide.

— C’est peut-être pour cela que la chance vous sourit ; il faut bien qu’il y ait des compensations.

— L’explication n’est pas satisfaisante. À propos de chance en amour, je voudrais vous faire une confidence

— Pardon, fit Dolbret, quelqu’un vient d’entrer de l’autre côté.

— En effet. Un autre maintenant. Je vais voir.

— Il referma la porte qu’il venait d’ouvrir en disant :

— L’évêque entre chez le Dean.

— Pourvu que José vienne, dit Dolbret nerveux.

— Au même moment on entendait la voix de Polson et, comme Bilman entrait :

— Voilà le chapitre au complet, murmura Dolbret ; je me demande ce que fait José.

— Il n’est que neuf heures moins dix minutes, dit Wigelius ; vous lui avez donné rendez-vous pour neuf heures.

— Vous avez raison, attendons.

On entendait les quatre compagnons causer et rire. De temps en temps l’un d’eux frappait du pied, on aurait dit un appel d’escrimeur. Puis ils se turent et un autre, le Dean, se mit à parler à mi-voix. Il semblait être écouté attentivement. Un pas léger glissa sur le tapis du corridor : c’était José qui revenait.

— Vite, entre, il est grand temps, lui dit Dolbret en le voyant, et grimpe.

D’un bond José fut dans le lit supérieur et Dolbret l’y suivit. Par précaution il avait ôté sa chemise et son faux-col, afin de pouvoir respirer plus librement. Il se coucha de toute sa longueur sur P’tit-homme qui, raidissant ses bras, le souleva au plafond ; puis, se retournant vers Wigelius et Stenson.

— Je vois parfaitement :

Le moment était solennel : les trois amis tendaient l’oreille. Pierre pouvait voir assez difficilement, même il n’aurait peut être rien vu si la cabine voisine eut été de la dimension de la sienne. Mais elle était spacieuse et heureusement les lits ne touchaient pas à la cloison de séparation, de sorte que rien n’empêchait de voir même jusqu’à terre.

— Es-tu fatigué dit Dolbret à José, qui commençait à haleter et dont le bras gauche faiblissait.

— Ne vous occupez pas de moi, docteur, ça va bien.

Bilman, Polson et Ascot étaient assis tous les trois au bord du lit inférieur, tandis que l’évêque avait pris un pliant et s’adossait à la cloison. Ils étaient bien tels qu’on les voyait tous les jours. L’évêque et le Dean caressaient leurs barbes tout en causant, et de l’air le plus naturel du monde. Dolbret en fut presque désappointé. Il entendit Ascot qui disait :

— Combien y a-t-il de Durban à Lourenço-Marquès ?

— Je ne sais pas, répondit le Dean, il faudra nous en assurer.

— Le nommé Stenson nous renseignerait là-dessus dit l’évêque.

— Ah ! oui, ce grand fadasse qui pleurniche aux côtés de la belle Miss Mortimer.

— Qu’importe sa couleur, s’il peut nous renseigner, reprit l’évêque. Il y a une autre chose sur laquelle je venais vous consulter.

— Faites, milord, dit d’un ton sentencieux le Dean, en se courbant jusqu’à terre. Et les deux autres en firent autant.

— Voilà de bons ministres, dit l’évêque en riant. D’ailleurs, continua-t-il, cela importe peu ; arrivés à Durban, nous trouverons bien moyen de nous faufiler jusqu’à Lourenço et de là, de nous rendre chez le Portugais…

— Qui est un Américain, dit Bilman.

— Peu importe, reprit l’évêque, qu’il s’appelle Camoens ou Mortimer, pourvu qu’il nous donne le plan.

— Qu’il nous donne… en voilà une bonne, dit le Dean.

— Je veux dire, pourvu que nous puissions lui ôter le plan d’Halscopje.

— À propos, comment entendez-vous vous y prendre pour avoir ce plan ?

— Si vous voulez m’attendre une seconde, je vais vous le dire.

— Parfait.

L’évêque sortit. Dolbret descendit du lit, il se mourait littéralement de fatigue. Son premier mot fut :

— Mes amis, j’avais plus que raison, ce sont des filous.

— Tant mieux pour vous, ou tant pis, fit Stenson. Voulez-vous que je prenne votre place ?

— Non merci ; comme j’ai entendu le commencement, il vaut mieux que je voie la fin. Je vais en avoir de belles à vous raconter. Wigelius, allez dire à Miss Berthe de prendre garde à elle, si elle a des parents à Lourenço-Marqués. Allez vite, c’est tout ce que je peux dire dans le moment. Voilà l’évêque qui revient. Es-tu prêt, José ?

José se remit courageusement au poste. Wigelius revenant en disant qu’il n’avait pu rencontrer Miss Mortimer. La situation était palpitante, et pour Dolbret qui entrevoyait déjà le fond du mystère, et surtout pour Wigelius et Stenson qui n’en connaissaient encore rien.

Comme nous venons de le dire, l’évêque était revenu ; il tenait à la main un petit sac de voyage. Un solide fermoir de cuivre se détachait sur le noir du cuir. Il plaça soigneusement le sac sur le pliant, prit lentement, avec précaution, un trousseau de clefs dans sa poche et se mit en frais d’ouvrir le fermoir, puis étendit les deux sections ouvertes sur le fond du pliant. Il en sortit un petit volume relié en cuir vert foncé, précisément la bible qui intéressait tant Miss Mortimer, et l’éleva d’un geste solennel à la hauteur de la lampe électrique en disant d’un ton grave :

Biblios !

Les trois autres se regardèrent en riant. Puis, enlevant du sac une sorte de mouchoir de toile déplié dans toute sa grandeur, il montra du geste les objets contenus.

— Afin de vous les faire mieux voir, dit-il, permettez-moi de vous montrer moi-même, l’un après l’autre, les objets de voyage que j’ai cru devoir apporter avec moi. Commençons par le commencement. Voici un souvenir d’une expédition dans le Natal, un souvenir bien cher et une arme de valeur.

C’était un pistolet ancien à la crosse en ivoire très bien travaillée, et à quatre canons, l’embryon du pistolet à cylindre universellement connu aujourd’hui. Il reprit :

— Je ne me sépare jamais de cet objet de fantaisie ; non pas qu’il me soit d’une grande utilité, car il n’est pas très perfectionné, comme vous pouvez le voir, mais parce que, en une circonstance difficile, il m’a sauvé la vie. Voici maintenant, deux autres pistolets, de vrais, ceux-là, ce qu’il y a de plus perfectionné en fait de pistolets. Je les ai choisis moi-même chez Van Orson et Cie à Londres, en 1896. Ils ne manquent jamais leur homme.

— C’est trop d’humilité, milord, interrompit Ascot ; c’est vous qui ne manquez jamais votre coup.

— Merci, Ascot, c’est gentil de votre part.

Il plongea de nouveau sa main dans le sac et en retira un poignard tout petit :

— Un poignard de petite fille, ou plutôt d’enfant de chœur, dont la pointe est fine, comme vous pouvez le voir. Touchez, Polson.

En même temps il piqua, en riant, la main tendue de Polson, très légèrement, mais pas si légèrement qu’il n’en sortît un rubis liquide.

— By Jove ! dit le Dean, je plains le Portugais, celui que vous appelez le Portugais.

— Vous voulez savoir pourquoi je l’appelle le Portugais ? Ce n’est pas bien important, c’est tout simplement parce qu’il était marié à une Portugaise avant de devenir l’ami d’Oom Paul. Ce n’est pas de ce petit canif que je voudrais me servir pour lui ; j’aurais peur de lui faire trop peu de mal.

Dolbret n’en pouvait croire ni ses yeux ni ses oreilles. José lui demanda :

— Achevez-vous ?

— Non.

— Il est temps que ça finisse, je vais perdre connaissance.

On lui permit de se reposer. Dolbret en profita pour dire à ses amis :

— L’évêque est rentré avec un sac plein de revolvers et de poignards et il leur a montré la bible en riant. C’est de la canaille, nous allons en apprendre de belles. Je reprends mon poste. Es-tu là José ?

— Essayons, dit le pauvre garçon. Tout de même ça ne paie pas de se vanter ; si je ne vous avais jamais dit que j’étais léger comme une mouche !

Dolbret plaignait le brave José, mais le nom de Mortimer prononcé par l’évêque lui faisait entrevoir des dangers pour Miss Berthe et il fallait à tout prix qu’il sût à quoi s’en tenir ; c’était peut-être là une occasion pour lui d’être utile à la jeune fille.

L’évêque avait probablement continué à exhiber le contenu de son sac de voyage et lorsque Dolbret se hissa de nouveau au plafond, grâce aux bras de fer de José, les pistolets et les poignards avaient repris leur place et le sac était refermé.

— Maintenant, messieurs, continuait l’évêque, vous devez être renseignés sur les moyens (il appuya sur « moyens ») que j’ai à ma disposition pour obtenir le plan de la grotte de Halscopje. Je me demande tous les jours si cette jeune fille a quelque relation avec Mortimer.

— Vous ne vous en êtes jamais informé ?

— Non. Pour moi, je ne vois aucune ressemblance entre ce vieux singe de Mortimer et la belle fille que courtise notre ami Natsé. Maintenant si le chapitre me le permet, je vais me retirer.

— Pardon, milord, dit le Dean, vous oubliez votre bible.

— C’est pourtant vrai, merci.

Il prit le petit volume et, avant de le mettre dans sa poche, il le feuilleta machinalement. C’était une merveille de reliure et d’impression. Après la feuille de garde, le mot « Compendium » s’étalait en lettres gothiques rouges au-dessous desquelles venaient de plus petites lettres, noires. Les coins étaient enluminés et une ligne d’or encadrait chaque page. Ce ne devait pas être le livre d’heures d’un ascète, mais plutôt d’un abbé de cour, si cette sorte de « clergymen » existait encore. Horner allait le refermer quand un geste de surprise lui échappa. Il l’ouvrit de nouveau, chercha une feuille, celle qui l’avait frappé, puis, une fois la feuille trouvée, il se mit à la contempler, approcha le livre de la lampe, l’examina de près, de loin, et le tendant au Dean, il lui dit en tremblant : — Voyez-vous ça, Polson, voyez-vous cette tache ?

Le Dean prit le livre, le regarda attentivement, puis :

— Une tache d’encre ? Rien d’extraordinaire à cela.

— Rien d’extraordinaire ? mais vous badinez.

— Une tache d’encre est une tache d’encre, et voilà tout.

J’en conviens, mais je vous prie de remarquer une chose, c’est que cette tache est précisément sur la première page de la lettre du docteur Aresberg, que la lettre n’est dans la bible que depuis mon départ de Boston, que la tache n’y était pas auparavant, lorsque Ascot m’a remis la lettre ; que je n’ai pas écrit une seule fois avec une plume depuis mon départ et que, par conséquent…

— Et que ? dirent les trois autres, haletants.

— Et que la tache a dû être faite par une autre personne. Ceci peut tout perdre.

— Mais, dit Polson, cela ne peut toujours par faire disparaître le trésor.

— Non, dit l’évêque, dont les yeux lançaient des flammes, mais si quelqu’un a notre secret, il ira trouver le Portugais, il lui donnera la lettre et pour le récompenser, Mortimer lui donnera les millions.

— Que faire ? dit le Dean.

— Si j’avais su que vous ne la garderiez pas mieux que ça, dit Ascot, vous n’auriez jamais eu cette lettre. Il ne fallait pas se donner tant de mal pour en arriver là. Il faut savoir immédiatement comment il se fait que cette tache soit là, sur la marge de la première page.

— Comment faire ? dit l’évêque.

— Vous vous inquiétez pour peu de chose, dit Bilman, n’avez-vous pas Natsé à votre disposition ?

— Oui en effet, Natsé, le roi des détectives. Allons le voir tout de suite.

— Il est trop tard.

— Non, allons tout de suite, dit l’évêque. Et maintenant, voulez-vous savoir une chose, messieurs ?

— Quoi ? firent le Dean, Bilman et Ascot en même temps.

— Je vous jure que nous saurons qui a vu la lettre d’Aresberg ; et une fois que nous le saurons, je vous jure que celui qui l’a vue le paiera cher. Si le trésor nous est enlevé, le Portugais le paiera de sa vie. Je le jure. Et vous, Polson ?

— Par ma barbe, dit Polson on s’arrachant d’un seul coup la belle barbe grisonnante qui ornait son menton.

— Moi aussi, dit l’évêque en faisant le même mouvement. Maintenant allons chez Natsé.

— Reprenez votre barbe, milord, dit Ascot, en la lui rendant.

— Oui, c’est plus prudent pour sortir d’ici. Reprenez la vôtre Polson.

— Pas nécessaire, répondit Polson, le premier qui ose s’étonner de me voir sans elle, je l’assomme. Du reste, tout le monde est couché.

— Comme vous voudrez, mon cher. Tout de même il vaut mieux vous cacher.

Polson s’enveloppa le menton dans le haut de sa robe de nuit comme en une cravate d’incroyable et sortit de la cabine, suivi de l’évêque et des deux ministres.

Durant ce temps, Wigelius avait remplacé José deux fois.

Les deux hommes étaient à bout de force ; quant à Dolbret il sentait des douleurs insupportables dans les reins, dans les bras et les jambes. Tous trois furent au moins un quart d’heure sans pouvoir parler, et Stenson avait beau interroger son ami, il n’obtenait qu’un seul mot :

— Attendez.

Enfin, quand il put parler, il serra fiévreusement le bras de Stenson et lui demanda :

— Vous avez remis le volume de Shakespeare à Miss Mortimer ?

— Oui, docteur, je vous l’ai déjà dit.

— Et saviez-vous ce qu’elle voulait en faire ?

— Elle ne me l’a pas dit, mais je m’en doutais.

— Elle voulait le substituer, n’est-ce pas, à la bible afin de voir ce que contenait la lettre ?

— Probablement, et c’est probablement ce qu’elle a fait.

— Alors sa vie est en danger.

— Comment, dit Stenson en pâlissant.

— Je dis que sa vie est en danger.

Et il commença le récit de ce qu’il venait d’entendre et de voir.

Quand il eut fini, Stenson lui dit d’une voix émue :

— Mon ami, pardonnez-moi d’avoir douté de vous. Plus que jamais je suis tout à vous dans ce que vous entreprendrez pour démasquer ces gens-là, surtout maintenant qu’il peut y avoir un danger quelconque pour Miss Mortimer. Il est de notre devoir de veiller sur elle. N’est ce pas Anton ?

— Oui, répondit Wigelius, vous pouvez compter aussi sur moi, je vous aiderai de toutes mes forces.

— Merci, dit Pierre. Demain nous aviserons, car nous ne pouvons songer ce soir à voir Miss Berthe. Maintenant, toi, José, tu peux aller te coucher.

— J’allais vous en demander la permission, docteur, je crois que j’ai bien gagné cela.

— Oui, mon vieux, tu as gagné cela, et si Dieu me prête vie, tu gagneras bien plus. En attendant, si tu veux aller me chercher une grande broche à la cuisine, je vais pêcher un peu.

— J’y vais, mais c’est la première fois que j’entends parler d’aller à la pêche avec une broche de cuisine.

— Va tout de même, tu comprendras plus tard.

José revint au bout d’un instant avec la broche demandée. Dolbret en recourba le bout en le mettant sous son pied, puis grimpant sur le lit, il introduisit avec précaution son engin de pêche dans la cabine voisine. La fausse barbe du Dean était accrochée, comme nous l’avons vu, à un clou au-dessus du pliant, de sorte qu’elle était à portée.

— Docteur, dit José, est-ce que ça mord ?

— Pierre ne répondit pas, mais il tira lentement à lui la broche, au bout de laquelle la barbe s’était attachée, et, sans se retourner il la mit à son menton. Puis, descendant ainsi affublé :

— Voici, messieurs, mon déguisement pour le bal de demain !