Les deux La Fayette

LES DEUX LA FAYETTE.

le soldat.

Bon villageois, quel est le maître
Du château qui paraît là-bas ?

le villageois.

La Fayette.

le soldat.

Dieu ! c’est peut-être
Le chef dont j’ai suivi les pas.

le villageois.

Non, non, il sourit à nos fêtes,
Sans envier d’autres honneurs,
Et s’il fit jamais des conquêtes,
C’est parmi nous et dans nos cœurs.

le soldat.

Ce n’est donc pas l’homme célèbre
Qui, jeune encor, vit autrefois
Son nom, comme un tocsin funèbre,
Gronder sur la tête des rois.

le villageois.

Qu’à votre héros Dieu pardonne !
Le nôtre est ami de la paix ;
Peut-il faire trembler personne ?
Il n’est armé que de bienfaits.

le soldat.

À la lueur de la mitraille,
Quand son épée, auprès de moi,
Brillait sur le champ de bataille,
Combien il inspirait d’effroi !

le villageois.

Que l’autre inspire de tendresse,
Lorsque, sur ses genoux tremblants,
L’enfance implore une caresse
Et joue avec ses cheveux blancs !

le soldat.

Le feu, pour embraser la France,
S’échappe-t-il de l’encensoir,
On le nomme, et, dans sa souffrance,
Le peuple encor sourit d’espoir.

le villageois.

Si les plaintes de la disette
Troublent la paix de ces beaux lieux,
Le villageois, chez La Fayette,
Entre en pleurant et sort joyeux.

le soldat.

Eh bien ! à ces deux La Fayette,
Ami, rendons le même honneur.
Buvez au chef que je regrette ;
Je bois à votre bienfaiteur.
Ils mériteraient que l’histoire
Les couronnât d’un lustre égal,
Et dans le sentier de la gloire
Chacun d’eux n’a qu’un seul rival.