Les députés des Trois-Rivières (1808-1838)/BERTHELOT, Amable

Les éditions du « Bien Public » (p. 18-24).

III

Amable Berthelot

(1777-1847)


Amable Berthelot descendait de Charles Berthelot, né à Saint-Etienne-du-Mont, en 1705, fils de Claude-Denis Berthelot et de Marguerite de Saint-Saulier, de la paroisse de Saint-Etienne-du-Mont, Paris, France. Charles épousa Thérèse Roussel, à Québec, le 25 septembre 1727.

Notre député était le fils de Michel-Amable Berthelot d’Artigny (1744-1815), avocat, et pendant plusieurs années l’un des membres marquants de l’Assemblée législative du Bas-Canada, et de Geneviève Bazin. Fille de Jean Bazin et de Marie-Angélique Ratté, elle était née à Saint-Vallier le 15 septembre 1746.

Amable naquit à Québec le 10 février 1777, fit ses études au Séminaire de cette ville, puis son droit, et fut admis au barreau le 16 janvier 1799. Il vint s’établir aux Trois-Rivières et ne tarda pas à s’y distinguer. Ses succès lui attirèrent bientôt une clientèle considérable pour l’époque.

M. Berthelot servit durant la guerre de 1812-15 en qualité de capitaine au premier bataillon de la division des Trois-Rivières, commandé par le lieutenant-colonel Louis-Charles Foucher. Il représenta, conjointement avec M. Charles-Richard Ogden, la ville des Trois-Rivières à l’Assemblée législative, du 13 mai 1814 au 29 février 1816, et, de nouveau, cette fois avec M. Ranvoyzé, du 28 août 1824 au 5 juillet 1827.

À la mort de son père, survenue le 10 mai 1815, Amable avait hérité d’une grande fortune. Il abandonna alors la pratique du droit, ferma son bureau aux Trois-Rivières, et retourna demeurer à Québec afin de s’y livrer à l’étude, en particulier à celle de l’histoire du Canada.

Quelques intérêts de famille[1] et le désir de voir Paris l’avaient engagé à y passer en 1820. Il y demeura près de cinq ans et y acheta une bibliothèque contenant un grand nombre d’ouvrages sur l’histoire du Canada et de l’Amérique. Cette bibliothèque devint par la suite le noyau de la bibliothèque du parlement de Québec.

Revenu à Québec, M. Berthelot devint de nouveau député de la ville des Trois-Rivières comme on l’a vu plus haut.

Il fit un nouveau voyage en France en 1831 et y passa deux ans.

Dans son Voyage en Europe,[2] M. François-Xavier Garneau, notre futur historien, eut le plaisir de rencontrer M. Berthelot.

« Je fus assez heureux cette fois pour rencontrer M. Berthelot, avec qui je ſis une partie de mes courses. M. Berthelot était un ancien avocat de Québec, en possession d’une belle fortune, et qui avait abandonné depuis longtemps la pratique pour se livrer entièrement à l’étude. Des parents et des intérêts de famille l’avaient déjà appelé une fois ou deux en France. Je ne pouvais avoir de meilleur cicerone.

Nos relations amicales formées à Paris ont duré jusqu’à la fin de ses jours. M. Berthelot est mort pour ainsi dire dans mes bras. C’était un homme instruit et ennemi de cet esprit d’intrigue et de comédie qui sert tant aujourd’hui aux adorateurs de la fortune, Il était revenu de beaucoup d’erreurs courantes dans son bas âge, de ces erreurs que l’esprit inépuisable de Voltaire avait fait agréer partout au milieu du rire inextinguible dont il avait accablé l’hypocrisie et la corruption de son temps. Il s’ennuyait de sa vie de célibataire, et regrettait souvent la société d’une épouse bien-aimée qui aurait embelli la solitude de sa vieillesse. »

De retour au Canada, M. Berthelot entra de nouveau au parlement comme député de la haute-ville de Québec qu’il représenta du 22 novembre 1834 au 27 mars 1838 quand la constitution de la province ſut suspendue.

Sous l’Union, M. Berthelot représenta le comté de Kamouraska du 8 avril 1841, jusqu’à sa mort survenue le 24 novembre 1847.

« Excellent parleur au parlement provincial, dont il était membre, dit Bibaud[3] s’il ne sut pas plus que d’autres prévoir les suites inévitables d’une politique outrée, il les déplora à temps et mourut retiré en 1848… »

M. Berthelot fut membre de la Société Littéraire et Historique de Québec, prit beaucoup d’intérêt à ses travaux et publia à Québec en 1827, « Dissertation sur le Canon de Bronze », trouvé en 1826, sur un banc de sable, dans le Fleuve Saint-Laurent, au-devant de la paroisse de Champlain, dans le district des Trois-Rivières.

« Dans la première partie de cet écrit, dit M. G.-B. Faribault[4] l’auteur entreprend de prouver que Jacques Cartier ne fit pas naufrage sur un rocher, auquel une tradition erronnée a conservé en Canada, le nom de « La Roche de Jacques Cartier  ». Dans la seconde partie, l’auteur conjecture que le Canon de Bronze ainsi trouvé a dû appartenir à Verrazzani, et que c’est ce dernier qui fit naufrage dans ce même endroit.

« L’auteur a bien établi sa première proposition ; mais il n’en est pas de même à l’égard des conjectures qu’il hasarde sur ce canon, et du naufrage présumé de Verrazzani. Qu’on lise attentivement Marc Lescarbot ; on y verra tout au contraire, que la pantomime que l’auteur ſait jouer aux sauvages dans leur entrevue avec Cartier, n’avait aucun rapport avec le naufrage de Verrazzani, mais que c’était, comme dit Lescarbot, une finesse et ruse des sauvages pour empêcher Cartier de faire le voyage de Hochelaga. »

Nous avons aussi, de la plume de M. Berthelot, « Discours à la Chambre pour la publicité de l’hypothèque » (1827) ; « Essai de grammaire française suivant les principes de l’abbé Girard » Québec, 1842, et « Dissertation sur la découverte des restes de la petite Hermine, avec une carte de Québec », 1844.

M. Berthelot avait été nommé commissaire pour administrer le serment d’allégeance, le 24 janvier 1834.

« Patient et studieux, lit-on dans le Bulletin des Recherches Historiques[5], M. Berthelot était un des hommes les plus savants de ce pays. Il s’adonna à plusieurs sciences. Le droit, l’économie politique, l’histoire, la botanique, la grammaire ont occupé successivement ses loisirs, la dernière surtout absorbait presqu’exclusivement tout son temps dans les dernières années de sa vie. Il a consigné le fruit de ses recherches et de ses réflexions sur cette branche dans plusieurs dissertations qui ont vu le jour, et dans deux ouvrages moins remarquables par leur volume que par l’ingénuité et la profondeur de l’auteur, et publiés sous le nom de Essai de grammaire francaise (imprimé à Québec en 1840), et Essai d’analyses grammaticales (imprimé en 1843). S’appuyant sur les principes du célèbre abbé Girard, le premier des grammairiens modernes, et l’auteur si délié et si fin des synonymes français, M. Berthelot a introduit dans ses deux ouvrages, comme partie essentielle et fondamentale, l’analyse logique de la phrase, à laquelle il a donné une nomenclature qui explique la nature constructive de chaque mot en la désignant, à peu près comme les chimistes ont fait pour nommer les substances et leurs combinaisons. Il a simplifié ainsi considérablement l’étude de la grammaire à laquelle il se proposait de rattacher la logique et la rhétorique, séparées d’elle depuis quelques siècles, dans un travail qu’il a laissé inachevé. La méthode de M. Berthelot a eu ses détracteurs et ses incrédules comme toutes les nouveautés, mais elle a fait aussi de nombreux adeptes, à la tête desquels l’on peut placer le surintendant de l’éducation du Bas-Canada. Elle a été adoptée par le collège Sainte-Anne, et elle est suivie dans plusieurs des meilleures écoles élémentaires.

« M. Berthelot a publié aussi quelques opuscules historiques dans les journaux du temps ou sous forme de brochures. Celui qui a attiré l’attention davantage, est le mémoire dans lequel il prétend, sur un canon de bronze trouvé accidentellement dans le Saint-Laurent, au-dessus de Québec, que le fameux navigateur Verrazzani a découvert ce fleuve avant Jacques Cartier. Mais cette assertion, fondée sur une simple hypothèse, n’a pas été admise, et ne peut l’être sans preuve plus forte contre les droits du navigateur français, qui a toujours joui sans contestation jusqu’à nos jours de l’honneur d’avoir le premier découvert le Canada.

« Plus homme de cabinet qu’homme d’activité et de mouvement, M. Berthelot s’est distingué dans le parlement moins par l’initiative qu’il a prise dans les affaires, que par sa modération, sa fermeté et sa loyauté à la couronne. Fier et indépendant par caractère, il a toujours marché avec le parti libéral, et ne s’est jamais séparé de la cause de ses compatriotes, qu’il a constamment soutenus dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. En 1837, il eut le courage de se prononcer contre l’agitation naissante dans l’assemblée publique qui eut lieu à l’école des Glacis, alors que le peuple murmurait tout haut, dans son désappointement, contre la politique astucieuse de la métropole, et il se rendit auprès des chefs canadiens pour leur communiquer ses craintes sur l’avenir d’après la tournure que prenaient les choses, ne cessant pas en même temps cependant, et en toute occasion, de parler en faveur des droits de ses compatriotes, bien contraire en cela à certaines gens qui criaient dans ces jours de trouble comme des démagogues forcenés sur les places publiques, et qui sont devenus, aujourd’hui que l’Angleterre fait peser son joug plus fort sur leurs compatriotes, les serviles adulateurs de ses ministres les plus méprisés et les plus méprisables. Doué de plus d’esprit analytique que d’imagination, et timide par nature, prononcer un discours, c’était pour lui, comme il le disait, un travail pénible ; mais sa diction était toujours correcte et pure, quoiqu’il vécut dans un temps où l’on ne se piquait pas, comme à présent, de perfection sur ce point, et ses raisonnements étaient enrichis de recherches qui annonçaient une vaste lecture. Quoique sévère et chaste dans son style, il était, chose singulière, sujet à tomber dans l’exagération dans les intonations de sa voix et dans son geste, ce qui détruisait quelquefois l’effet de ses paroles chez le commun de ses auditeurs.

« Dans la vie privée, M. Berthelot avait, comme l’a dit un journaliste d’esprit, cette urbanité et cette politesse facile et délicate de l’ancienne société française dont le type s’efface tous les jours au contact des manières raides et empesées des uns, ou des allures brusques et grossières des autres. Ami sûr et sincère dans le commerce de la vie, il fut toujours étranger à tout esprit d’intrigue, et mit le plus grand soin à se tenir à l’écart de ces coteries dont l’égoïsme forme le principal mobile et que le peuple, dans sa mauvaise humeur, flétrit d’un nom ironique, car ces coteries finissent toujours par pénétrer dans le champ de la politique pour exploiter, à l’avantage de leurs inimitiés, la bonne foi du peuple et les faveurs du gouvernement auxquelles elles aspirent en secret. Tel fut l’homme dont nous venons de retracer brièvement la vie, et que nous avons tâché de représenter tel que nous l’avons connu. Sa perte sera longtemps regrettée par les amis des lettres et de l’éducation, choses dont ils savent que le pays a besoin pour tenir sa place à côté des états éclairés qui nous avoisinent. »

M. Berthelot ne s’était pas marié. Il laissa deux enfants illégitimes ; Adèle, née en 1813, épousa à Québec, le 9 juillet 1831, sir Louis-Hippolyte La Fontaine. Elle mourut à Montréal le 24 mai 1859, âgé de quarante-six ans. Elle n’avait pas eu d’enfants ; Amable épousa Zoé Desrochers. Il était docteur en médecine et demeurait à la Rivière-du-Chêne. Il fut arrêté en 1837. « Son seul crime, écrivait La Fontaine, est d’être médecin et surtout d’être mon beau-frère.[6]

Une sœur de notre député, Geneviève, épousa Joseph Badeaux, notaire et député.

L’abbé Charles Berthelot, chapelain des Ursulines des Trois-Rivières de 1825 à 1829, était le cousin d’Amable. Une des sœurs de l’abbé épousa le notaire Joseph-Bernard Planté, de Québec, qui fut membre de l’Assemblée législative de 1796 à 1809, et l’un des fondateurs du journal Le Canadien, en 1806.

Une plaisante anecdote pour terminer.

Lorsque M. Berthelot demeurait aux Trois-Rivières, il occupait, rue Saint-François, une antique maison, qui fut longtemps la demeure du shérif Ogden.

Un jour, rencontrant le grand vicaire Caron, M. Berthelot lui dit : « Je viens de découvrir dans ma cave une belle cachette : douze bouteilles de vieux vin, enterrées profondément ; je l’ai tout bu, il était excellent, »[7]

M. Berthelot était évidemment un fin gourmet.

Le juge Joseph-Amable Berthelot, né à Saint-Eustache, le 8 mai 1815, du mariage de Joseph-Amable Berthelot, notaire, et de Marie-Michelle Hervieux, était le cousin d’Adèle Berthelot, fille de notre député et épouse de sir Louis-H. La Fontaine. Il est mort à Montréal le 24 juillet 1897. Il avait, lui aussi, été arrêté et détenu en prison en novembre 1838.

Le marché Berthelot et les rues Sainte-Geneviève, Saint-Michel, Saint-Amable et d’Artigny, à Québec, portent les noms de Michel-Amable et de ses trois enfants, noms qui leur furent donnés par Charles-Amable Berthelot, lorsqu’il fit la division du grand terrain qu’il avait acheté, en dehors de la porte Saint-Jean, vers la fin du dix-huitième siècle, suivant le juge Joseph-Amable Berthelot, de Montréal.

Dans un contrat de mariage passé devant Télesphore-Antoine Kimber, notaire, et déposé aux Archives judiciaires à Montréal, sous le numéro 354, Amable et Michel Berthelot signèrent comme témoins pour leur nièce, Julie-Angélique Badeaux, fille de leur sœur, Geneviève, qui épousa Louis-Charles Cressé, avocat, le 15 juillet 1825.

  1. Bulletin des Recherches Historiques, 1903, p. 282.
  2. Édition de 1881, pp. 152-153.
  3. Panthéon Canadien.
  4. Morgan H.-J. — Bibliotheca Canadensis.
  5. Vol. IX, pp. 283-286.
  6. Lettre de La Fontaine à sir John Colborne, citêe dans «La Fontaine et son temps » de M. A.-D. de Celles.
  7. Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, II, 433.