Les députés de Saint-Maurice (1808-1838) et de Champlain (1830-1838)/Louis Picotte

Députés de Saint-Maurice
VII
Louis Picotte
(1780-1847)

Pour tenir les rênes du char de l’État et guider sa course, à travers les aspérités de la route, vers ses destinées ultimes, nous avons eu parmi nos députés de singuliers personnages, des types de toutes sortes et de tous les métiers. De fait, toutes les classes de la société y furent représentées. Nous y trouvons des seigneurs, des avocats, des notaires, des arpenteurs, des marchands, des navigateurs et des cultivateurs. Les qualifications requises étaient qu’il fallait avoir vingt et un ans révolus, être sujet britannique, avoir résidé dans la province au moins un an avant la date de l’élection et être soit propriétaire, soit locataire d’un immeuble.

Dès le début du régime parlementaire nous eûmes même un Menut — quel nom prédestiné ! — cuisinier et restaurateur ; un Bouc fut expulsé de la Chambre à la suite d’un jugement le condamnant pour vol ; un Panet qui renia sa famille et sa race et, last but not the least, un juge de Bonne, le grand chef des Chouayens. Parmi les trafiquants de fourrures et les courreurs de bois enrichis, citons Montour, Chaboillez, Mayrand et Picotte, pour ne parler que des Canadiens. Tous ces hommes se distinguaient du commun des mortels par quelques traits de leur caractère. Au demeurant, tous braves gens. Du peu que nous connaissions de lui, Picotte, si l’on en juge par l’anecdote de M. Malchelosse, ne fut peut-être pas le moins original.

Si cette anecdote est authentique — et nous n’avons aucune raison de ne pas la croire telle, car elle est bien dans le genre de joyeusetés des jeunes avocats du temps tel que les rapportent les Mémoires de M. de Gaspé — Louis Picotte avait lui-même le sens de la plaisanterie et de l’ironie joliment développé. Esprit prime-sautier, toujours prêt à la riposte, il ne faisait pas bon de l’attaquer ou de lui marcher sur les pieds. On aurait pu lui appliquer ces vers :

Cet animal est fort méchant,
Quand on l’attaque, il se défend.

Fils de Jean Picotte, Acadien, revenu de l’exil après le grand dérangement, et d’Hélène Desjarlais, de la Rivière-du-Loup en haut, Louis naquit en cet endroit le 14 mars 1780 et il y épousa, le 25 septembre 1810, Archange, fille de Jean-Baptiste Desjarlais et de Madeleine Pratte.

Le premier Picault ou Picot dont fasse mention le Dictionnaire de Mgr Tanguay se prénommait Pierre. Il était le fils de Pierre et de Marie La Blanche, de Neuville-Beaumont, diocèse de Coutances, Normandie. Il épousa le 25 novembre 1720, Marie-Madeleine, fille de Nicolas Brousseau[1] et de Marie-Madeleine Huppé, de Charlesbourg. Une autre famille de ce nom s’établit en Acadie. C’est de celle-ci, dit-on que descendait notre héros.

La première mention des Picotte dans les registres de la Rivière-du-Loup en haut et celle du mariage de Jean Picotte en 1775. C’est le père de notre député.

Louis Picotte représenta, conjointement avec Pierre Bureau, le comté de Saint-Maurice à l’Assemblée législative, du 11 avril 1820 au 6 juillet 1824. Il ne fut pas candidat aux élections du mois d’août suivant parce que ses affaires requéraient tout son temps.

Attiré tout jeune par le goût des aventures en pays lointains, méprisant le danger et ne rêvant que voyages, courses dans les bois et dans la prairie, en un mot, vie libre et errante comme celle des Peaux-Rouges, M. Picotte fut pendant nombre d’années employé de compagnies de fourrures puis il s’établit à son propre compte dans ce commerce lucratif.

Le nom de Louis Picotte est mentionné dans un avis de vente par le shérif des Trois-Rivières, paru dans la Gazette de Québec du 26 novembre 1807. Il s’agit de la vente de la terre de Jean-François Leclerc, située dans la paroisse de Saint-Léon, fief de Grandpré, concession de Saint-Barthélemy, joignant une propriété de Louis Picotte. Ce Picotte est-il notre député ?

Le 24 septembre 1821, Louis Picotte, de concert avec MM, Jean-Thomas Taschereau, député du comté de Gaspé, et Robert Christie, futur représentant de ce même comté, sollicitait un octroi de terre sur la rivière Restigouche, de douze lieues de front sur la profondeur ordinaire, le tout en fief et seigneurie. Ils exposaient leur projet de colonisation dans cette partie éloignée de la province. Le terrain très-fertile présentait beaucoup d’avantages aux nouveaux habitants canadiens et anglais qui voudraient s’y établir et promettait de les indemniser largement de leurs peines et leurs travaux. Le 16 janvier 1822, MM. Taschereau et Christie réitèrent leur demande (M. Picotte ne signe pas cette seconde requête) et se disent prêts à procéder. Cette seconde pétition donne des détails nouveaux sur le projet. Les promoteurs auraient préféré une concession en fief et seigneurie, mais si l’on soulève des objections, ils demandent la concession en franc et commun socage. Ils suggèrent trois cantons dont ils seront les leaders.

Le 24 du même mois, le colonel John Ready, secrétaire civil de lord Dalhousie, écrivait au juge en chef lui disant que son Excellence voyait d’un bon œil ce projet de colonisation et qu’il voulait le soumettre au Conseil exécutif pour régler les questions de détail. Le juge en Chef mit-il devant le Conseil cette référence du gouverneur ? Il est permis d’en douter. En tout cas, la requête ne paraît pas avoir été prise en considération par l’Exécutif et le plan échoua.

M. Gérard Malchelosse a publié dans La Vie Canadienne du mois d’octobre 1930, un fort intéressant article intitulé : Un Député oublié : Louis Picotte. En voici une analyse succincte.

Louis Picotte n’était ni un grammairien ni un humaniste. À peine savait-il assez lire et écrire pour conduire ses affaires. Il ne manquait cependant pas d’esprit naturel et, à l’occasion, il montrait que son défaut d’instruction ne l’empêchait pas de tirer son épingle du jeu avec les hommes les plus brillants. On a conservé de lui des bons mots qui peignent son esprit narquois. On rapporte, par exemple, certaine séance de la Chambre où le député Picotte avait tenu tête au Canadien réputé le plus spirituel de son temps, Joseph-Rémy Vallières de Saint-Réal, qui occupait alors le fauteuil présidentiel. Ironiste irrésistible d’ordinaire, dit M. Malchelosse, Vallières ayant à se prononcer sur une interpellation de Picotte, eut la malencontreuse idée de le tourner en ridicule en lui servant une suite de citations de textes espagnols, grecs et latins. Nullement dérouté par ces remarques, Picotte répliqua aussitôt en esquimaux, en cris, en algonquin et… en français. Il mit les rieurs de son côté, Vallières avait largement reçu la monnaie de sa pièce, au grand amusement de l’auditoire peu habitué à pareil spectacle.

Louis Picotte fut un grand voyageur et un chasseur émérite. Il parcourut le continent de l’Atlantique aux Montagnes Rocheuses et il vécut tour à tour la vie des Algonquins du haut Saint-Maurice, des Esquimaux du Labrador et des Cris des plaines de l’Ouest. Qui racontera ses odyssées, qui dégagera cette figure pittoresque de l’ombre, demande, en terminant, M. Malchelosse.

En attendant l’histoire romancée de ce brave homme, que quelqu’un pourra peut-être nous donner un de ces jours, continuons de recueillir tout ce qui pourrait jeter un peu de lumière sur le personnage. Ce sera toujours autant de gagné.

Le notaire Richard Lessard, de Sainte-Ursule, qui occupe ses moments de loisir à étudier notre petite histoire, surtout celle qui comprend la région qu’il habite, fait au sujet de l’instruction prétendue rudimentaire de M. Picotte, une mise au point qui va quelque peu à l’encontre des vues de M. Malchelosse.

« Contrairement à ce qu’on a semblé croire, Louis Picotte possédait une instruction plus que rudimentaire et il avait une fort belle écriture si on en juge par sa signature aux registres de la paroisse de la Rivière-du-Loup. Ce qui nous confirme dans cette idée c’est que Louis Picotte remplit des fonctions à l’emploi des compagnies de fourrures de l’Ouest, qui demandaient des connaissances assez grandes de la langue française et de la comptabilité. »[2]

Il nous sera permis d’ajouter que les Archives Publiques à Ottawa possèdent un document portant sa signature qui n’est pas, certes, celle d’un ignorant mais bien d’un homme habitué à manier la plume. Il paraphe comme un vrai notaire !

Après avoir passé une vingtaine d’années dans les pays de chasse, Louis Picotte revint à la Rivière-du-Loup avec quelque bien et s’y installa. Le choix de Louis Picotte comme candidat à l’Assemblée se fit sans doute à la suggestion d’Étienne Mayrand, aussi de la Rivière-du-Loup, député sortant de charge et qui connaissait bien Picotte pour avoir voyagé avec lui dans les pays d’en haut.

Louis Picotte mourut à la Rivière-du-Loup et fut inhumé le 8 mai 1847.[3]

Benjamin Sulte dit[4] que Picotte a joué un certain rôle dans la politique de son temps, mais il reste dans le vague et ne donne pas de détails. Voici, d’après les journaux de la Chambre d’assemblée, en quoi consiste ce rôle d’un homme que l’on a voulu faire passer pour un quasi-illettré. Sans être très brillant, il ne fut pas absolument nul, loin de là. Jugeons-en par ce qui suit.

Dès la session de 1820-21, il fit partie de pas moins de six comités de l’Assemblée et l’on sait que, encore aujourd’hui, le gros de l’ouvrage se fait dans les comités permanents et spéciaux. On y examine et discute les questions soumises puis, après mûre délibération, l’on fait rapport à la chambre qui décide en dernier ressort.

Le 19 décembre 1820, M. Picotte fut nommé l’un des membres du comité auquel était référée la requête d’Aaron Hart demandant la permission d’ouvrir des rues et de concéder des lopins de terre sur la propriété que lui avait cédée sa mère.

Le 23 du même mois, Picotte est l’un des membres du comité nommé pour s’enquérir s’il est expédient de restreindre l’importation des chevaux, du gros bétail et autres animaux vivants. Le même jour, il faisait partie d’un comité pour étudier l’amélioration des chemins d’hiver.

Le 26, il votait contre la proposition autorisant le greffier de la Chambre à fournir aux journaux le résultat des votes de cette chambre. La proposition fut rejetée.

Le 29, Picotte était membre du comité nommé pour faire rapport sur la requête de Michel Dubord qui demandait le droit de construire un pont sur la rivière Champlain. Le même jour, il faisait partie d’un comité nommé pour étudier les différents rapports du bureau de la vaccine établi sous l’autorité de l’Acte de la 57e Geo. III, cap. XV. Le lendemain, le comité auquel avait été référée la requête de Dubord faisait un rapport favorable, mais posait certaines conditions à observer.

Le 4 janvier 1821, le nom de Picotte était ajouté au comité auquel avaient été référées les requêtes de M. E. Lambert Dumont et de M. Hyacinthe Saint-Germain.

Le 9, M. Taschereau appuyé par Picotte, proposait que les comptes mis devant la Chambre ce jour, par ordre de Son Excellence le gouverneur, fussent référés au comité qui s’occupait de l’estimation de la liste civile. M. Cuvillier ayant proposé en amendement un comité de cinq membres, sa proposition fut rejetée et la motion de M. Taschereau passa alors à l’unanimité.

Le 2 février, Picotte s’opposa à la dernière lecture du bill appropriant une somme d’argent pour les chemins de l’Île d’Orléans.

Le 3, notre député s’opposait à ce que le comité étudiant le bill pour incorporer le Barreau continuât de siéger et, le 5, il vota contre la décision du président de la Chambre au sujet de l’incorporation du Barreau, mais cette décision n’en fut pas moins acceptée par la Chambre.

Le 14, Picotte vote en faveur d’une résolution de la Chambre à l’effet que la harangue du gouverneur en chef (lord Dalhousie) contenait une censure de l’Assemblée.

Le 19 il vote contre l’octroi pour la construction d’un palais de justice et d’une prison à New-Carlisle.

Le 3 mars, il faisait partie d’un comité nommé pour étudier la question de la construction d’un palais de justice aux Trois-Rivières. M. O. Larue, maître-maçon des Trois-Rivières, ayant fait rapport sur ce qui restait à faire pour terminer cet ouvrage, M. Picotte demanda que le rapport de son comité fut référé à un comité plénier de la Chambre. Un bill fut passé le 8 mars et M. Picotte fut désigné pour le porter au Conseil législatif.

Le 5 mars, il était contre le prolongement de la charte de la Banque de Montréal pour dix ans et proposait un terme de cinq ans, mais il n’eut pas gain de cause.

Le 8 mars, M. Picotte votait en faveur du bill accordant une nouvelle somme d’argent pour compléter les travaux du palais de justice et de la prison de New-Carlisle. Il votait également, le même jour, pour imposer des nouveaux droits sur divers articles et pour régler pour un temps limité, le commerce par terre avec les États-Unis.

Le 9, il présidait un comité plénier de la Chambre sur la question d’établir des nouveaux droits, &c. Son rapport fut accepté par la Chambre.

Le 17, avait lieu la clôture de la session.

On voit par ce qui précède que M. Picotte n’avait pas été inactif à cette session.

Il fit encore de bonne besogne aux sessions suivantes, mais nous ne pouvons le suivre ainsi pas à pas dans sa carrière parlementaire. Cela prendrait trop d’espace. Contentons-nous de mentionner une mesure qui a trait aux Trois-Rivières.

À la session de 1821-22, sur motion de M. Ogden appuyée par M. Picotte, ce dernier fit partie d’un comité de cinq membres pour examiner une requête des citoyens des Trois-Rivières au sujet de nouvelles concessions dans la commune. Ce comité ayant entendu le témoignage de Pierre Bureau recommandant d’accorder la requête, le comité fit un rapport favorable qui fut renvoyé à un comité plénier. Celui-ci se montra favorable et les syndics de la commune furent autorisés à réserver un morceau de terre situé dans la commune et borné par devant par la rue Saint-Philippe, en profondeur joignant les propriétés de George Carter, de Joseph Dubord dit Lafontaine et des représentants de feu François Dessureau et François Garceau, d’un côté d’icelui à la rue Saint-Roch, et de l’autre côté à la rue Saint-Georges, soit pour une place de marché ou comme site de bâtisses publiques. Un bill fut présenté à cet effet et devint loi.

M. Picotte ne fit pas grand’chose à la session de 1823, étant souvent absent. Il ne paraît pas avoir pris part à celle de 1824.

Pour résumer notre pensée sur Picotte, nous croyons qu’il n’était pas si ignorant qu’on l’a cru. Il avait appris beaucoup de choses dans la grande école qu’est la vie, surtout celle d’un voyageur, d’un homme actif, intelligent et désireux de parvenir. Son instruction primaire, suppléée, pour ne pas dire complétée — ce qui dépasserait notre pensée — suppléée, disons-nous, par un travail constant et un esprit d’observation toujours en éveil, finit par faire de lui un homme bien renseigné, un homme pratique.

  1. Ce nom s’écrivait aussi Brosseau d’après Mgr Tanguay et Mgr David Gosselin, l’auteur de la Généalogie des Familles de Charlesbourg.
  2. Charles Drisard, (pseudonyme du notaire), dans « L’Echo de Saint-Justin » de janvier 1928.
  3. Renseignement fourni par le notaire Richard Lessard, de Sainte-Ursule.
  4. Cité par Malchelosse dans l’article mentionne ci-dessus, p. 4.